Le patient diabétique de type 2 reste un sujet à haut risque sur le plan cardiovasculaire. Le dépistage systématique à large échelle n’est plus indiqué, car ces patients ne peuvent plus être considérés comme des équivalents coronariens. Les scores basés sur les facteurs de risque classiques ne sont pas suffisamment discriminant pour repérer quel sont les patients qui pourraient bénéficier d’un dépistage de l’ischémie silencieuse, par des méthodes non-invasives. Le score calcique des artères coronaires permet de mieux classer les patients par rapport au risque d’ischémie silencieuse. Sur le plan thérapeutique, la stratégie de traitement de l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaires est indiquée avec des effets particulièrement bénéfiques pour les statines. Les nouveaux antidiabétiques oraux telles que les gliptines n’ont pas encore démontré de bénéfices au niveau de la prévention des événements coronariens. Certaines données récentes suggèrent même une augmentation du risque d’insuffisance cardiaque.
Depuis la publication de l’étude Framingham, le diabète sucré est reconnu comme un des facteurs de risque cardiovasculaire majeur. Il augmente globalement par un facteur deux à trois le risque relatif d’athérosclérose coronarienne. La maladie coronarienne est souvent plus diffuse, avec probablement des risques de ruptures de plaques plus élevés. A la fin des années 90, cette maladie métabolique a été considérée comme un équivalent coronarien [1]. Par ailleurs, la maladie coronarienne chez un patient diabétique peut avoir des présentations cliniques différentes telles que les ischémies silencieuses, morts subites et un pronostic moins favorable en cas d’infarctus du myocarde STEMI ou non-STEMI avec dégradation plus marquée de la fonction systolique et diastolique. Ces différents éléments ont amenés plusieurs groupes d’experts européens et américains à proposer des dépistages systématiques chez la plupart des patients diabétiques de type 2 [2].
Cependant, les résultats de l’étude DIAD publiés en 2009 [3] ont complètement remis en question le dépistage systématique chez la grande majorité des patients diabétiques de type 2. En effet, cette étude a révélé des taux d’événements coronariens identiques entre les patients ayant bénéficié d’un dépistage systématique versus un suivi habituel. Probablement, en raison du risque cardiovasculaire supposé de ces patients, les deux groupes ont bénéficié des mêmes traitements.
Actuellement, nous sommes donc rentrés dans une zone d’incertitude par rapport à l’attitude à adopter face au dépistage de la maladie coronarienne chez le patient diabétique asymptomatique selon la fameuse phrase de Shakespeare: «to be or not to be… screened».
Ceci est la première question en suspend. La deuxième question que nous allons explorer: si le dépistage systématique n’est plus justifié, quelle pourrait devenir la meilleure stratégie de dépistage de la maladie coronarienne? Nous pourrions ainsi proposer une approche basée sur des arguments relativement solides mais dont il faudra évidemment tester la pertinence par la méthode scientifique d’essais randomisés ou de revues systémiques de la littérature.
Les arguments pour un dépistage de la maladie coronarienne
La prévalence du diabète de type 2 est globalement en forte augmentation. La politique a pris conscience de la nécessité de réduire le poids économique et humain de cette maladie métabolique. Parmi les objectifs de santé publique, le dépistage et le traitement de la maladie coronarienne restent un objectif majeur. Nous devons donc développer des critères basés sur l’efficacité mais aussi sur des bons niveaux de preuve sur le plan scientifique. Il est actuellement clairement démontré que les critères de dépistage basés uniquement sur les facteurs de risque cardiovasculaires ne sont pas suffisamment discriminants. Les scores de risque tels que «UKPDS risk-engine» sont utiles, mais probablement insuffisants. En effet, ces scores utilisent aussi presque exclusivement les facteurs de risque cardiovasculaires ainsi que l’ethnicité.
Une autre méthode serait d’inclure des mar-queurs d’atteintes vasculaires micro- et macro-angiopathiques. En effet, ces marqueurs vasculaires témoignent déjà d’atteintes vasculaires infra-cliniques et sont aussi associés à un risque augmenté d’événements cardiovasculaires. Dans l’étude STENO, 50% des patients diabétiques de type 2 étaient décédés après une durée de suivi de 13 ans [4]. Dans cette étude clinique, tous les patients avaient comme marqueurs de risque une micro-albuminurie pathologique. Les taux de mortalité étaient comparables au pronostic de certains cancers. Il est donc clairement indiqué de tout faire pour diminuer l’impact négatif du diabète sur les taux de survie.
Quelle stratégie de dépistage de la maladie coronarienne chez le patient diabétique?
Le dépistage systématique de la maladie coronarienne silencieuse chez tous les patients diabétiques type 2 n’est plus recommandé. La présence des facteurs de risque cardiovasculaires n’est pas suffisamment discriminante car la plupart de nos patients diabétiques sont porteurs de plusieurs facteurs de risque. Ces recommandations ont été largement modifiées. En effet, les recommandations de l’ADA sur le dépistage de la maladie coronarienne sont devenues très explicites: le dépistage systématique de la maladie coronarienne chez les patients avec des probabilités faibles à moyennes n’est pas approprié [5]. En effet, les résultats finaux de l’étude DIAD sont très clairs. La prévalence d’ischémie silencieuse, détectée par scintigraphie myocardique de stress chez les patients avec diabète de type 2 est de 18%. Il s’agit donc d’une complication macro-vasculaire fréquente. Cependant, les atteintes coronariennes importantes ne représentent que 5% des patients. Les patients à hauts risque sont donc une très faible minorité, ce qui ne justifie plus un dépistage systématique de plus de 70 à 80% des patients sur le simple critère des facteurs de risque cardiovasculaires classiques.
De plus, l’étude du suivi des patients de la cohorte DIAD a aussi révélé des résultats très intéressants: le nombre d’événements cardiovasculaires était plus bas par rapports aux prédictions des investigateurs. Par ailleurs, il n’y avait aucune différence au niveau des thérapies de prévention cardiovasculaire entre les patients dépistés par scintigraphie et les patients avec un suivi habituel. Tous les patients étant considérés à haut risque ont ainsi bénéficié d’une thérapie de prévention cardiovasculaire multirisque.
Si le dépistage systématique de la coronaropathie n’est plus indiqué…
…comment essayer tout de même d’identifier les patients à plus haut risque? En effet, les patients à plus haut risque pourraient certainement bénéficier d’un dépistage de l’ischémie silencieuse afin d’avoir des thérapies plus agressives au niveau des facteurs de risque cardiovasculaires voire des indications pour des stents ou des pontages aorto-coronariens.
Quelles sont alors les meilleures stratégies de dépistage de la maladie coronarienne silencieuse chez les patients diabétiques? Pour répondre à cette question, nous devons reprendre quelques notions d’épidémiologie clinique. L’objectif de ce dépistage de la coronaropathie est double: identifier les patients à haut risque et exclure les patients à bas risque. L’examen idéal étant un examen à la fois sensible et spécifique à 100%. Ce type d’examen n’est que rarement disponible en médecine.
Le degré de précision d’un examen de dépistage peut être évalué grâce à la courbe de ROC qui mesure la performance d’un test pour évaluer la capacité de discrimination des vrais et des faux positifs. Considérant cette démarche statistique, il ressort clairement que le score calcique coronaire est un des examens non-invasifs les plus performants simple et rapide. Cet examen évalue la quantité de calcium déposé dans les artères coronaires par CT-scan. Cet examen est rapide, avec une faible quantité d’irradiation correspondant à l’équivalent d’une mammographie. Un score <100 est associé à des risques d’athérosclérose très faible. Entre 100 et 400, le risque est intermédiaire et au-delà de 400, le risque est élevé. Cet examen rapide (en général moins de 20 minutes) permet de mieux sélectionner les sujets qui devraient alors bénéficier d’un dépistage de l’ischémie silencieuse par des méthodes non-invasives sensibles. Il faut insister sur les faibles performances de l’ergométrie qui est très peu sensible.
Les méthodes non-invasives telles que la scintigraphie myocardique, l’IRM de stress ou le PET-scan ont malheureusement aussi leurs limites. Elles sont sensibles pour dépister l’ischémie silencieuse mais peu prédictives pour l’infarctus du myocarde. Ces examens ne permettent pas d’identifier les plaques vulnérables qui sont à haut risque de ruptures et de thromboses coronariennes, car elles ont souvent de faibles degrés de sténose.
Thérapies de prévention cardiovasculaire chez les patients diabétiques (risques modérés à élevés)
L’étude STENO a clairement montré la voie. Pour rappel, cette étude à démontré que chez les patients diabétiques de type 2 avec micro-albuminurie positive, la prévention cardiovasculaire prévoit un traitement de l’hypertension par au minimum les inhibiteurs de l’enzyme de conversion voire la combinaison de plusieurs antihypertenseurs, une statine, l’aspirine.
De même, une meilleure hygiène de vie permet une réduction des complications vasculaires, des événements cardiovasculaires et de la mortalité globale sur une durée de suivi de 13 ans. Le traitement de l’hyperglycémie par la metformine, la gliclazide et/ou l’insuline est aussi bénéfique. Par ailleurs, les études plus récentes telles que ACCORD et VADT ont aussi clairement démontré les limites de viser la normo-glycémie à tout prix chez des patients âgés et poly-morbides. L’étude ACCORD a révélé une surmortalité dans le groupe de patients avec traitement intensifié par rapport au groupe contrôle sans bénéfice sur la prévention cardiovasculaire.
PD Dr méd. Juan Ruiz
Références:
- Haffner SM, et al.: Mortality from coronary heart disease in subjects with type 2 diabetes and non diabetic subjects with and without prior myocardial infarction. N Eng J Med 1998; 339: 229–234.
- Puel J, et al.: Identification of myocardial ischemia in the diabetic patient. Joint ALFEDIAM and SFC recommendations. Diabetes Metab 2004; 30: S3–18.
- Young L, et al.: Cardiac outcomes after screening for asymptomatic coronary artery disease in patients with type diabetes. JAMA 2009; 300: 1547–1555.
- Gaede P, et al.: Effects of a Multifactorial Intervention on Mortality in Type 2 Diabetes. NEJM 2008; 358: 580–591.
- Bax JJ, et al.: Screening for coronary artery disease in patients with diabetes. Diabetes Care 2007; 30: 2729–2736.
- The ACCORD Study Group: Long term effects of intensive glucose lowering on cardiovascular outcomes. NEJM 2011; 364: 818–828.
CARDIOVASC 2013; 12(6): 16–18
HAUSARZT PRAXIS 2014; 9(7): 22–24