Il n’est pas rare que la dépression ne soit pas diagnostiquée chez les patients âgés, car les symptômes dépressifs typiques passent au second plan par rapport aux symptômes physiques. La dépression n’est pas une conséquence normale du vieillissement, mais elle peut l’influencer défavorablement et le compliquer de manière durable. Le traitement de la dépression est également prometteur chez les seniors, mais il doit prendre soigneusement en compte leur vulnérabilité particulière (capacité cognitive, comorbidité physique, polypharmacie). Pour les dépressions légères, les interventions psychothérapeutiques peuvent suffire. En cas de dépression plus grave, une combinaison de médicaments est généralement indiquée. Pour la pharmacothérapie, les ISRS sont le premier choix. Ceux-ci – ainsi que d’autres antidépresseurs possibles – doivent être dosés en fonction de leur efficacité et de leur tolérance, selon le principe “start low, go slow”. Un traitement antidépresseur efficace doit être maintenu à la même dose pendant une période prolongée – plusieurs mois – afin d’éviter les rechutes.
La prévalence ponctuelle des épisodes dépressifs majeurs chez les seniors varie entre 5 et 10%, celle des épisodes légers à modérés entre 5 et 35%. La grande variabilité s’explique notamment par des populations différentes. Ainsi, la prévalence de la dépression est 10 à 20 fois plus faible chez les seniors autonomes intégrés dans la communauté que dans les maisons de retraite et de soins [1]. L’acceptation parfois limitée du diagnostic et le malentendu apparent selon lequel la dépression est une conséquence normale de l’âge peuvent contribuer aux faibles taux de prévalence.
Par rapport aux jeunes dépressifs, les principales différences résident dans l’interaction entre la dépression et le corps vieillissant, notamment les comorbidités somatiques et psychiques qui l’accompagnent ou la polypharmacie qui en résulte. Les facteurs biologiques, sociaux et psychologiques associés à l’âge influencent le diagnostic et le traitement. Le vieillissement peut s’accompagner de changements sociaux radicaux, comme la perte d’un conjoint ou un déménagement pour cause de maladie. De tels changements peuvent favoriser le développement de la dépression chez les personnes vulnérables.
Interactions entre la dépression et les maladies somatiques
La dépression peut être à la fois un facteur de risque et une conséquence des maladies somatiques. De telles interactions affectent le pronostic et augmentent la mortalité de la dépression et de la maladie physique (tableau 1). Ces interactions existent par exemple entre la dépression et l’insuffisance rénale chronique, les maladies pulmonaires obstructives chroniques et les maladies cérébrovasculaires ou cardiovasculaires [2]. Un bon traitement antidépresseur permet de minimiser les interactions défavorables.
Les liens entre la dépression et la démence sont multiples. Il existe des preuves que la dépression à des stades antérieurs de la vie est un facteur de risque potentiel de démence associée à l’âge [3]. De plus, la dépression peut être le prodrome d’une démence, en particulier si le premier épisode dépressif survient après 60 ans. Enfin, la dépression survient également au cours de la démence, ce qui peut entraîner des pertes supplémentaires de cognition ou de fonctions quotidiennes. Chez les personnes atteintes de démence, la distinction clinique entre dépression et apathie est souvent difficile à faire : parfois, seul un essai thérapeutique pragmatique avec un antidépresseur peut aider.
Des troubles cognitifs sont observés chez 30 à 40% des seniors souffrant de dépression. Les troubles de l’attention, les altérations de la vitesse de traitement et des fonctions exécutives sont typiques. Les troubles exécutifs sévères dans le contexte d’une dépression sont souvent associés à un pronostic plus sombre [4]. La plupart du temps, les profils de performances cognitives des personnes dépressives sont peu révélateurs par rapport à la population normale, car la cognition est affectée de manière non spécifique. De nombreux dépressifs ont de grandes difficultés à collaborer de manière motivée et concentrée pendant un test cognitif. Ils abandonnent rapidement en situation de test ou s’expriment de manière nihiliste. Cela doit être pris en compte lors de l’interprétation des résultats cognitifs. Toutefois, un examen de dépistage cognitif au début d’un traitement antidépresseur aide à évaluer l’évolution et à différencier la dépression de la démence.
Physiopathologie de la dépression chez les personnes âgées
Les troubles associés au stress et leurs effets sur la régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien jouent également un rôle dans la genèse de la dépression chez les personnes âgées. De plus, l’imagerie fonctionnelle et structurelle révèle des changements dans le cerveau frontal et sa connexion avec le système limbique ou striatal. Il s’agit typiquement de changements atrophiques dans la substance grise ou de changements microvasculaires dans la substance blanche, qui sont en partie corrélés à la sévérité des symptômes cliniques, par exemple la sévérité de la dysfonction exécutive [4]. Les liens entre les modifications vasculaires et la dépression sont complexes et ne sont pas définitivement établis.
Présentation clinique de la dépression chez les personnes âgées
Les critères de dépression de la CIM-10 ne tiennent pas compte de l’âge. Les patients âgés rapportent moins d’abattement et mettent plus souvent en avant des symptômes physiques comme les troubles digestifs, les douleurs, les troubles du sommeil ou la fatigabilité (tableau 2). D’autres se font remarquer par un comportement bourru et grincheux. Les troubles cognitifs et les états d’agitation sont plus fréquents chez les seniors que chez les patients plus jeunes. Chez les patients âgés en particulier, la dépression compte parmi les facteurs de risque de suicide : les tentatives de suicide sont plutôt rares chez les seniors, alors que les suicides accomplis sont plus fréquents, en particulier chez les hommes. Les changements physiques et sociaux peuvent favoriser le désespoir et le suicide [5].
Diagnostic
L’anamnèse (éventuellement complétée par une anamnèse externe) revêt une importance particulière dans le diagnostic, car elle permet de connaître les troubles initiaux, leur évolution et les troubles actuels. L’anamnèse permet d’évaluer l’évolution de la maladie (unipolaire vs bipolaire ou premier épisode vs évolution récidivante). L’anamnèse porte sur les risques, en particulier la tendance au suicide, les comorbidités médicales et psychiatriques, l’abus de substances addictives (benzodiazépines ou alcool) et la médication actuelle.
L’échelle “15item Geriatric Depression Scale” peut être utilisée comme outil de dépistage de la dépression [6]. Comme de nombreux malades présentent des variations diurnes, la dépression peut être plus difficile à appréhender lors d’une exploration en soirée. C’est pourquoi il est utile de procéder à des examens de suivi.
L’anamnèse est complétée par un statut somatique et psychologique ainsi que par un dépistage cognitif, par exemple avec le Mini Mental Status (MMS) [7] ou le Montreal Cognitive Assessment (MOCA) [8]. Le MMS permet moins bien de quantifier les troubles exécutifs que le MOCA. Les examens de laboratoire aident à identifier les comorbidités somatiques (figure 1).
Principes du traitement antidépresseur
Le traitement de la dépression chez les seniors est trop complexe pour être présenté ici de manière exhaustive. Actuellement, un groupe d’experts en Suisse élabore de nouvelles directives basées sur des preuves pour le diagnostic et le traitement de la dépression chez les personnes âgées. Nous nous contenterons ici de résumer quelques points essentiels du traitement.
Chez les seniors également, la combinaison de la thérapie psychopharmacologique et psychothérapeutique est d’une efficacité supérieure dans le traitement aigu de la dépression modérée à sévère. Pour les dépressions légères, la psychothérapie peut être supérieure à la pharmacothérapie. Les interventions psychothérapeutiques liées à l’âge et aux troubles cognitifs sont utilisées avec trop de réticence, bien que des adaptations méthodologiques soient disponibles. Des études ont démontré l’efficacité des interventions de révision de vie ou de résolution de problèmes.
Les antidépresseurs sont efficaces chez les personnes âgées, même si l’on peut s’attendre à une résistance au traitement légèrement plus élevée. La gestion de la médication peut être compliquée par des interactions avec des comorbidités physiques, des effets secondaires ou des interactions médicamenteuses résultant d’une polypharmacie ou d’une modification de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie. Avant de commencer un nouveau traitement antidépresseur, la médication actuelle doit être soigneusement revue afin de minimiser le nombre de médicaments et d’interactions et d’exclure les états dépressifs co-induits par les médicaments.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ou les antidépresseurs à double action (sérotoninergique et noradrénergique) (IRSN) sont souvent utilisés dans le traitement aigu. Ces deux groupes sont considérés comme le premier choix en raison de leur bonne tolérance. Toutefois, dans le cas des substances noradrénergiques, il convient de tenir compte, entre autres, de la possible augmentation de la pression artérielle en tant qu’effet secondaire. Il est possible que les syndromes de sécrétion inappropriée d’ADH (SIADH) et les troubles électrolytiques qui en résultent soient plus fréquents chez les seniors que chez les patients plus jeunes. Les antidépresseurs tricycliques classiques ne sont pas un traitement de première intention en raison des effets secondaires anticholinergiques (difficultés mictionnelles, constipation, dysrégulation orthostatique, accentuation des déficits cognitifs).
Une cause fréquente de l’absence de rémission est la réticence à arrêter le traitement antidépresseur. La dose antidépressive initiale recommandée pour les seniors est souvent plus faible que pour les patients plus jeunes (dans le sens “start low, go slow”), mais la dose doit être soigneusement augmentée en cas de bonne tolérance et de persistance des symptômes, avant d’envisager des alternatives telles que la conversion, l’augmentation ou les thérapies combinées. La durée d’un traitement antidépresseur ne peut pas être déterminée au début du traitement. Si l’antidépresseur est bien toléré, il doit être poursuivi à dose inchangée pendant la rémission (“the dose that gets you well, keeps you well”).
Chez les seniors, le taux de rechute est élevé et le risque de rechute augmente en cas de réduction de la dose ou d’arrêt de la médication. Des études à long terme indiquent que les traitements d’entretien sont efficaces pendant plus de trois ans après la rémission [9].
La prophylaxie au lithium est efficace dans les troubles bipolaires, même à un âge avancé. Des études à long terme montrent que les troubles bipolaires ne deviennent pas asymptomatiques avec l’âge. Malheureusement, il n’existe pas de recommandations sur le moment où le traitement prophylactique au lithium doit être interrompu en cas d’insuffisance rénale chronique. Certains patients atteints de troubles bipolaires développent de graves rechutes après l’arrêt de la prophylaxie, ce qui justifie une analyse risque/bénéfice très attentive lors de cette décision.
Dans une grande étude, aucune différence n’a été observée entre le traitement par verum et le traitement par placebo chez des patients atteints de démence et de dépression traités par la sertraline et la mirtazapine [10]. On ne peut cependant pas conclure de tels résultats que la dépression ne doit pas être traitée dans le contexte de la démence, car les études montrent des effets antidépresseurs avec tous les traitements et la dépression chez les personnes atteintes de démence est associée à une diminution de la qualité de vie ou à une accentuation des déficiences.
Littérature :
- Chapman DP, Perry GS : Depression as a major component of public health for older adults. Prev Chronic Dis 2008 ; 5(1) : 1-9.
- Teply RM, et al : Traitement de la dépression chez les patients atteints de maladies cardiaques concomitantes. Prog Cardiovasc Dis 2015 pii : S0033-0620(15)30022-0 [Epub ahead of print].
- Diniz BS, et al : Late-life depression and risk of vascular dementia and Alzheimer’s disease : systematic review and meta-analysis of community-based cohort studies. Br J Psychiatry 2013 ; 202(5) : 329-335.
- Baldwin R, et al : Treatment response in late-onset depression : relationship to neuropsychological, neuroradiological and vascular risk factors. Psychol Med 2004 ; 34(1) : 125-136.
- Minder J, Harbauer G : Le suicide chez les personnes âgées. Archives suisses de neurologie et de psychiatrie 2015 ; 166(3) : 67-77.
- Sheikh JI, Yesavage JA : échelle de dépression gériatrique (GDS) : preuves récentes et développement d’une version plus courte. In Gérontologie clinique : un guide pour l’évaluation et l’intervention, éd. TL Brink, pp. 165-73. New York : The Haworth Press, 1986.
- Folstein MF, et al. : Mini-Mental State (une méthode pratique pour évaluer l’état des patients pour le clinicien). Journal of Psychiatric Research 1975 ; 12 : 189-198.
- Nasreddine ZS, et al : The Montreal Cognitive Assessment, MoCA : A brief screening tool for mild cognitive impairment. JAGS 2005 ; 53 : 695-699.
- Reynolds CF 3rd, et al : Maintenance treatment of major depression in old age. N Engl J Med 2006 ; 354(11) : 1130-1138.
- Banerjee S, et al : Sertraline or mirtazapine for depression in dementia (HTA-SADD) : a randomised, multicentre, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2011 ; 378(9789) : 403-411.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2016 ; 14(3). 28-30