La perte aiguë de l’acuité visuelle est un symptôme phare en ophtalmologie, qui peut également servir de guide diagnostique dans d’autres domaines de la médecine. Pour le patient, une baisse aiguë de la vision est toujours un événement perçu comme particulièrement menaçant. Il s’agit d’établir rapidement et avec certitude un diagnostic différentiel et de mettre en place un régime thérapeutique qui permette à la fois d’éviter d’autres réductions de la fonction visuelle (par exemple au niveau de l’œil du partenaire) et d’éviter des conséquences pouvant mettre la vie en danger. Cet article a pour but de donner un aperçu des aides possibles en matière de diagnostic et de traitement des patients souffrant d’une perte aiguë de la vision.
Chaque examen commence par une anamnèse ophtalmologique et générale complète, mais aussi ciblée. La durée et la localisation de la détérioration de la vision ainsi que d’autres limitations de la fonction visuelle telles que la vision double, la perte du champ visuel et la diminution de la vision des couleurs aident à établir le diagnostic (tableaux 1 et 2).
L’évaluation de la gravité de la perte de vision se fait par un examen de l’acuité visuelle : l’acuité visuelle avec la meilleure correction possible (c’est-à-dire avec des lunettes ou des lentilles de contact) pour la vision de loin et la vision de près doit être examinée séparément pour chaque œil. Dans certains cas, il est possible de détecter un début de presbytie banale si les troubles visuels ne sont signalés que de près. En revanche, si le patient plisse les yeux, on peut éventuellement conclure à une myopie sous-corrigée.
Les examens neuro-ophtalmologiques de base comprennent le test Swinging-Flashlight pour exclure une affection unilatérale au niveau du nerf optique (déficit afférent relatif de la pupille). Les défauts du champ visuel peuvent être détectés par périmétrie digitale. Les pathologies strabologiques sont détectées par le test Cover/Uncover, les parésies musculaires oculaires par le test de motilité dans les neuf directions du regard.
Une lampe à fente (manuelle) est nécessaire pour examiner la partie antérieure de l’œil, un ophtalmoscope pour la partie postérieure. Cela permet de détecter aussi bien des pathologies telles que l’érosion cornéenne que le gonflement de la papille.
Des douleurs oculaires concomitantes peuvent encore affiner le diagnostic : elles sont le signe d’une lésion organique de l’œil, mais des céphalées peuvent également orienter le diagnostic, par exemple en cas de problèmes de pression intracrânienne ou d’anévrisme (tableau 3).
Nous énumérons ci-dessous les pathologies typiques qui peuvent le plus souvent entraîner une réduction de l’acuité visuelle unilatérale ou bilatérale.
Occlusion de l’artère centrale (OAC)
En cas d’occlusion de l’artère centrale (OCC), la perte de vision est si aiguë que le patient peut souvent donner une heure précise de l’événement. Il n’existe classiquement pas d’autres symptômes, de sorte que le CLA est également décrit comme une cécité aiguë, indolore et unilatérale. Le fond d’œil révèle la “tache rouge cerise” pathognomonique de la macula : le centre de la rétine, avec la choriocapillaire bien visible, se distingue de la rétine environnante, oedémateuse, blanchâtre et faiblement perfusée (fig. 1).
En cas d’occlusion incomplète, il peut arriver qu’une seule branche de l’artère centrale (appelée occlusion de la branche artérielle) se développe avec un œdème rétinien dans le territoire courant correspondant. L’ampleur de la réduction de l’acuité visuelle dépend alors de l’implication de la macula.
Les causes sont souvent des embolies, par exemple de sténoses carotidiennes. L’intérêt d’une éventuelle thérapie par lyse est très controversé et n’est généralement plus pratiqué à l’heure actuelle, d’autant plus que le délai entre la lésion irréversible de la rétine (30 minutes à quelques heures au maximum) et le début du traitement est généralement déjà dépassé. Initialement, on peut essayer de faire progresser l’embole central vers la périphérie rétinienne en abaissant la pression intraoculaire ; cela peut être réalisé par une ponction de la chambre antérieure par paracentèse ou par l’administration d’inhibiteurs systémiques de l’anhydrase carbonique (acétazolamide, Diamox®).
Il est important de déterminer rapidement les causes possibles : Outre les examens vasculaires et cardiaques (doppler carotidien, échographie cardiaque, etc.), les examens standard de médecine générale en font partie.
Une forme particulière de la maladie est la symptomatologie de l'”amaurose fugace” : Dans ce cas, le patient retrouve une vision complète en peu de temps (quelques secondes à quelques minutes) grâce à une dissolution spontanée de l’embole. Comme un tel événement peut évidemment être suivi d’une embolisation complète, les mêmes considérations diagnostiques et thérapeutiques doivent être appliquées.
Occlusion veineuse rétinienne
La perte d’acuité visuelle dans les occlusions veineuses, contrairement aux occlusions artérielles, est d’une dynamique moins aiguë ; elle se manifeste souvent pendant des heures, voire des jours. L’examen endoscopique du fond d’œil révèle des veines congestionnées et sinueuses ainsi que des hémorragies en forme de taches et de bandes sur tout le pôle postérieur (Fig. 2).
Les occlusions veineuses peuvent également affecter une partie (occlusion de branche veineuse, OBV) ou la totalité de la rétine (occlusion de la veine centrale, OVC).
Les facteurs de risque chez les patients plus jeunes sont les contraceptifs oraux, l’obésité et l’abus de nicotine.
Le pronostic visuel dépend également, entre autres, de la présence d’une forme ischémique ou non ischémique du RVC. La distinction est possible grâce à l’angiographie par fluorescence, qui fait partie du diagnostic standard dans les grands centres ophtalmologiques. Dans la forme ischémique, de plus mauvais pronostic, un traitement panrétinien au laser est indiqué.
Les gonflements au niveau de la macula (œdème maculaire) sont accessibles à un traitement par injections intravitréennes de préparations anti-VEGF ou d’implants stéroïdiens, éventuellement en association avec une coagulation focale au laser.
Les thérapies systémiques par hémodilution ne sont généralement pas (plus) pratiquées.
Neuropathie optique ischémique antérieure (AION)
Comme dans le cas de la ZAV, la réduction de l’acuité visuelle dans la neuropathie optique ischémique antérieure (AION) est indolore, aiguë et unilatérale. L’œil atteint présente un déficit afférent relatif de la pupille (RAPD), un gonflement de la papille peut être détecté à l’aide d’un ophtalmoscope. Il est essentiel de penser au diagnostic différentiel de l’artérite à cellules géantes (maladie de Horton). Les symptômes typiques du patient, tels que les nouveaux maux de tête, les douleurs à la mastication, la fatigue, la fièvre, la perte de poids, l’hypersensibilité du cuir chevelu et l’artère temporale indurée et dolente à la pression (Fig. 3), constituent des éléments d’orientation.
L’âge moyen de début de la maladie est de 75 ans, les femmes sont deux à trois fois plus touchées. Les analyses de laboratoire révèlent une augmentation du taux de sédimentation et des paramètres inflammatoires (CRP). Pour éviter une réduction de l’acuité visuelle de l’œil du partenaire, une corticothérapie systémique immédiate à haute dose doit être instaurée (par ex. 4× 250 mg de méthylprednisolone [Solumedrol®] i.v. pendant trois jours, suivie de 1,5-2 mg/kgKG de prednisone p.o.). Pour confirmer le diagnostic, une biopsie de l’artère temporale doit être réalisée dans les sept à dix jours : L’histologie révèle une inflammation granulomateuse de la tunique moyenne avec un rétrécissement massif de la lumière du vaisseau (figure 4).
Après la diminution des symptômes et la normalisation des paramètres inflammatoires, une réduction prudente du traitement par stéroïdes peut être effectuée, mais généralement pas dans les quatre premières semaines suivant le début du traitement IV ; la réduction hebdomadaire ne devrait pas dépasser 10% de la dose initiale. Il faut être attentif au développement ou à l’aggravation de l’ostéoporose. Des contrôles ophtalmologiques réguliers doivent être effectués toutes les semaines au début, puis tous les mois. Dans l’ensemble, le traitement systémique peut être nécessaire pendant des mois, voire des années, et la dose dépend strictement des paramètres de l’inflammation et des symptômes du patient.
névrite des nerfs optiques (NNO)
Dans le cas de la névrite des nerfs optiques (NNO), la période de diminution de la vision est variable et peut aller de quelques jours à quelques semaines. La douleur typique liée au mouvement de l’œil affecté et le RAPD sont des signes révélateurs. En règle générale, toutes les parties de l’œil sont normales et les pathologies de la papille sont rares, d’où l’expression “le patient ne voit rien, le médecin ne voit rien”. La plupart du temps, ce sont des femmes jeunes qui sont touchées. Un examen neurologique avec la question de la présence de lésions typiques de la SEP (foyers de démyélinisation dans la substance blanche) à l’IRM et, le cas échéant, une ponction de LCR doivent être effectués rapidement. Comme de nombreuses NNO guérissent sans autres conséquences et sans aucun traitement, le diagnostic de suspicion de sclérose en plaques ne devrait être posé par le neurologue traitant que dans des cas justifiés, notamment pour des raisons psychologiques. Un traitement stéroïdien systémique à haute dose ne doit être administré que si l’IRM révèle la présence d’au moins deux plaques typiques de la SEP et s’il n’existe aucune contre-indication.
Décollement de la rétine (amotio retinae)
Les symptômes typiques du décollement de la rétine sont la vision de la suie, d’un rideau (d’en haut) ou d’un mur (d’en bas), qui entraînent d’abord une réduction du champ visuel périphérique. La forme la plus courante est l’amotie rhegmatogène, qui se caractérise par des déchirures au niveau des points d’attache du vitré avec la rétine.
Aucune douleur ou modification externe de l’œil n’est constatée. Si le décollement de la rétine progresse vers la macula, il y a en plus un scotome relatif dans la zone de la rétine décollée et donc une réduction de l’acuité visuelle centrale. Le pronostic est défavorable en cas d’atteinte de la rétine centrale.
Différentes techniques chirurgicales peuvent être utilisées à des fins thérapeutiques. L’objectif de toutes les procédures, qu’il s’agisse d’une intervention externe par plombage ou d’une vitrectomie interne, est de recréer la rétine sur l’épithélium pigmentaire rétinien.
Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est la première cause de cécité dans le monde occidental. La réduction de l’acuité visuelle est généralement progressive, mais elle peut aussi se manifester de manière aiguë lorsqu’une hémorragie au centre de la rétine survient dans le cadre de la maladie (Fig. 5).
La baisse d’acuité visuelle de la forme exsudative (“humide”) est plus nette et évolue plus rapidement que celle de la forme non exsudative (“sèche”). Le “test d’Amsler” peut être utilisé comme symptôme supplémentaire : Sur un papier quadrillé, le patient indique que les lignes droites sont tordues. Cela est dû à un œdème au centre de la rétine.
Le traitement de la forme sèche est difficile, pour laquelle on recommande actuellement des compléments alimentaires (“vitamines oculaires” ; préparations à base de lutéine). Dans le traitement de la forme humide, les médicaments anti-VEGF injectés dans le corps vitré (Lucentis® [Ranibizumab] et Eylea® [Aflibercept]) se sont imposés.
Lésions traumatiques de la cornée : Erosio, corps étranger, kératite
Toute perturbation de l’intégrité de l’épithélium cornéen entraîne des symptômes typiques tels que douleur, sensation de corps étranger, épiphora (écoulement de larmes) et, selon l’emplacement de la lésion, une baisse aiguë de l’acuité visuelle. La plupart du temps, ce sont des blessures mineures telles que des traumatismes de l’ongle, des branches, des bords de papier, etc. qui entraînent une érosion cornéenne. Une coloration à la fluorescéine et l’utilisation d’une lampe à lumière bleue permettent de délimiter assez rapidement le défaut. (Fig. 6).
Pour exclure la présence d’un corps étranger, les paupières supérieure et inférieure doivent être ectopiées. Le traitement consiste en des gouttes et/ou des pommades oculaires humidifiantes et une protection antibiotique locale. Si les circonstances de l’accident ne sont pas claires ou si une rougeur ou une inflammation oculaire persiste, il est judicieux d’orienter le patient vers un ophtalmologue. Pour pouvoir traiter correctement des inflammations plus graves dues à des germes tels que des champignons ou des acanthamoeba, une évaluation ophtalmologique est obligatoire pour les porteurs de lentilles de contact.
Dr. méd. Johannes P. Eisenack
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Une anamnèse approfondie sur le type, la durée et la localisation de la perte d’acuité visuelle fournit des indications sur l’étiologie de la maladie.
- Des outils de diagnostic simples permettent d’affiner l’étiologie.
- En cas de cécité soudaine et indolore, l’accent est mis sur les examens internes et neurologiques.
- En cas d’affection oculaire directement identifiable, il convient de procéder rapidement à un examen ophtalmologique.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(7) : 34-38