Les preuves s’accumulent que l’aspirine® peut être efficace dans la prévention du cancer, mais aussi dans l’inhibition des métastases. L’un des chercheurs les plus renommés et le représentant le plus connu de ce nouvel optimisme s’appelle Peter M. Rothwell. Il a présenté des études récentes lors du congrès ESMO de cette année. Les résultats concernant le cancer colorectal, en particulier, sont prometteurs. Pour d’autres formes de cancer, de nombreuses incertitudes subsistent.
(ag) Des études randomisées et contrôlées à long terme, qui ont examiné l’aspirine dans la prévention des événements vasculaires, montrent, selon le professeur Peter M. Rothwell, Oxford, que la prise quotidienne d’acide acétylsalicylique (ASA) réduit l’incidence des cancers colorectaux ainsi que leur métastase.
“Cependant, en l’absence de preuves statistiques d’un effet sur les cancers rares et ceux des femmes, les résultats doivent être complétés : Une revue [1] publiée en 2012 a donc ajouté des informations provenant de plusieurs études d’observation fiables. Celles-ci concluent également que la prise régulière d’aspirine réduit le risque à long terme de mourir d’un cancer colorectal. En outre, des résultats similaires peuvent être trouvés pour les cancers de l’œsophage, de l’estomac, de la vésicule biliaire et du sein. Le nombre de métastases à distance diminue, mais pas celui des métastases locales”.
Doses élevées vs. faibles
“Dans l’ensemble, les conclusions des essais contrôlés randomisés et des études d’observation sont donc cohérentes et plaident en faveur d’une bonne efficacité de l’aspirine dans la prévention du cancer”, conclut le professeur Rothwell. “Des doses élevées de 300 mg ou plus par jour, prises pendant cinq ans, entraînent une prévention primaire efficace du cancer colorectal. Toutefois, cet effet ne se manifeste qu’avec une latence de dix ans [2]. En outre, les effets secondaires peuvent limiter le potentiel de l’aspirine dans la prévention à long terme”.
La question est de savoir si des doses et des fréquences de prise plus faibles donnent des résultats aussi bons. Les premières indications provenant de suivis allant jusqu’à 20 ans [3] montrent que l’administration pendant plusieurs années d’au moins 75 mg/jour de peut déjà réduire l’incidence et la mortalité à long terme du cancer colorectal, en particulier du côlon proximal.
Effet également en rythme alterné ?
Une étude de suivi de dix ans [4] portant sur 33 682 femmes âgées de 45 ans ou plus (“Women’s Health Study”) n’a pas mis en évidence d’association entre la prise d’aspirine à faible dose un jour sur deux et le nombre total de cancers du sein ou du poumon, mais le nombre de cancers du côlon proximal. La réduction s’est manifestée au bout de dix ans. “Les auteurs estiment donc que la prise à long terme d’aspirine à faible dose, même à un rythme alterné, réduit le risque de cancer colorectal chez les femmes en bonne santé”, a déclaré le professeur Rothwell. “Néanmoins, il serait évidemment erroné de faire des recommandations pour un usage généralisé, les bénéfices et les risques doivent être soigneusement pesés et varier selon le sexe”.
Effet sur les cancers non colorectaux
Le Dr Cristina Bosetti, Milan, a évoqué l’effet préventif de l’aspirine également sur d’autres maladies, telles que les cancers du poumon, du sein, de la prostate, des ovaires et de la vessie. Elle a présenté les résultats d’une méta-analyse [5] : Si l’on passe en revue plusieurs études d’observation, on constate à nouveau une réduction significative du risque de cancer colorectal et d’autres cancers du tube digestif, mais seulement une faible association pour les cancers du sein et de la prostate, et aucune pour les cancers de l’ovaire ou de la vessie. Bien que le risque de cancer du poumon ait été significativement réduit dans les études cas-témoins, il ne l’a pas été dans les études de cohorte. “Dans l’ensemble, les résultats sont hétérogènes à travers les études et l’influence de la dose et de la durée de la prise reste incertaine”.
En résumé , les conclusions suivantes peuvent être tirées sur l’utilisation préventive de l’aspirine :
- Les études d’observation montrent une faible réduction (environ 10%) du risque de cancer du sein, du poumon et de la prostate.
- Certaines études font également état d’une association inverse possible avec les cancers endométriaux et ovariens.
- Un petit nombre d’études cliniques randomisées soutiennent l’idée que l’aspirine pourrait avoir un effet bénéfique sur la prévention du cancer de la prostate, mais pas du sein.
- Les résultats concernant le cancer du poumon sont incohérents.
- La causalité et les implications pour le système de santé restent incertaines. D’une part, parce que les résultats sont hétérogènes et influencés par d’éventuels biais, et d’autre part, parce qu’il n’existe pas de données claires sur le rapport dose-risque et durée-risque.
Prévention personnalisée : de la musique d’avenir ?
“L’aspirine est puissante dans la chimioprévention. Cependant, les symptômes gastro-intestinaux et, dans certains cas, les saignements importants suscitent des inquiétudes quant à la mise en œuvre à grande échelle du médicament dans cette fonction”, a conclu le Dr Cornelia Ulrich, Heidelberg. “En outre, le rapport bénéfice/risque varie. A l’avenir, il faudra faire une distinction entre les différentes populations pour savoir si la prévention personnalisée est envisageable. Les personnes ayant des facteurs de risque faibles pour certains cancers, mais une forte prédisposition génétique aux saignements et aux effets secondaires ne doivent pas prendre d’aspirine. Mais pour ceux qui risquent génétiquement de développer des polypes, des cancers ou des maladies cardiovasculaires, une administration peut être utile”.
La pharmacogénétique, qui prédit comment les patients répondent aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, doit en fin de compte montrer qui bénéficie de ces médicaments et qui n’en bénéficie pas. En outre, l’âge, l’IMC, les antécédents familiaux et d’autres biomarqueurs sanguins sont déterminants pour permettre une chimioprévention personnalisée par l’aspirine.
Source : “Aspirine – A Wonder Drug in the Fight Against Cancer ?”, séminaire du 38e congrès ESMO, 27 septembre au 1er octobre 2013, Amsterdam
Littérature :
- Algra AM, Rothwell PM : Effects of regular aspirin on long-term cancer incidence and metastasis : a systematic comparison of evidence from observational studies versus randomised trials. Lancet Oncol 2012 mai ; 13(5) : 518-527. doi : 10.1016/S1470-2045(12)70112-2. Epub 2012 Mar 21.
- Flossmann E, Rothwell P : Effet de l’aspirine sur le risque à long terme de cancer colorectal : preuves cohérentes issues d’études randomisées et observationnelles. The Lancet 2007 ; 369(9573) : 1603-1613. doi:10.1016/S0140-6736(07)60747-8.
- Rothwell PM, et al : Long-term effect of aspirin on colorectal cancer incidence and mortality : 20-year follow-up of five randomised trials. Lancet . 2010 Nov 20 ; 376(9754) : 1741-1750. doi : 10.1016/S0140-6736(10)61543-7. Epub 2010 Oct 21.
- Cook NR, et al : Alternate-Day, Low-Dose Aspirin and Cancer Risk : Long-Term Observational Follow-up of a Randomized Trial. Ann Intern Med 2013 ; 159(2) : 77-85. doi:10.7326/0003-4819-159-2-201307160-00002.
- Bosetti C, et al : Aspirine et risque de cancer : une revue quantitative à 2011. Ann Oncol 2012. doi : 10.1093/annonc/mds113 Première publication en ligne : April 19, 2012.
- Lin Y, et al. : Augmentation de l’expression de COX-2 chez les patients atteints de cancer de l’ovaire. African Journal of Biotechnology 2011 ; 10(66) : 15040-15043.
CongrèsSpecial 2014 ; 6(1) : 17-18
InFo Oncologie & Hématologie 2014 ; (2)1 : 39-40