Le prurit n’est pas seulement une sensation sensorielle, il est également imbriqué avec des aspects affectifs et cognitifs. Les processus psychologiques, comme le stress, peuvent se manifester par voie cutanée. C’est pourquoi il vaut la peine de procéder à une évaluation et à une thérapie psychologiques.
Le prurit chronique est un symptôme fréquent des maladies de la peau et peut avoir un impact important sur la qualité de vie en raison de son caractère pénible. Inversement, il peut être l’expression ou un aspect partiel d’un trouble mental. Ces dernières années, l’étude de ces relations psychosomatiques a permis de mettre en évidence des liens évidents et d’identifier des options de traitement psychothérapeutique. L’article suivant donne un aperçu des facteurs d’influence psychologiques, des mécanismes psychoneuroimmunologiques et des formes de traitement.
Les aspects psychosomatiques des maladies de la peau sont connus depuis de nombreuses années. Dans le cadre du modèle biopsychosocial, on entend par là l’influence du stress psychosocial sur les dermatoses et, inversement, l’effet des dermatoses sur le psychisme. En particulier, les effets du stress sur la modulation de l’inflammation, le traitement des affects et des cognitions négatives (par exemple, l’anxiété), ainsi que la gestion et l’intégration de la maladie dans la vie actuelle.
Suggestion, effets placebo et nocebo
Le prurit, comme la douleur, est un phénomène sensoriel complexe qui comprend des composantes discriminatives, cognitives, motivationnelles et affectives. En conséquence, de nombreuses études ont montré qu’en plus des zones sensorielles, des zones motrices et affectives (centres centraux de la peur, amygdale, hippocampe) sont activées dans le cerveau lors de l’apparition du prurit. Même en l’absence de dermatose, le prurit peut être subtilement provoqué. Ainsi, des études expérimentales menées sur des sujets sains ont permis d’induire de manière fiable des démangeaisons et des comportements de grattage en présentant des stimuli visuels liés au prurit (images d’insectes rampants, personnes se grattant) [1,2]. Outre cette induction mentale, des effets placebo et nocebo peuvent également être mis en évidence. Dans une étude expérimentale, des suggestions verbales visant à augmenter l’anxiété d’anticipation ont permis d’augmenter significativement l’intensité du prurit après des stimuli mécaniques, électriques et à l’histamine chez des sujets sains [3]. Inversement, chez les personnes en bonne santé, l’intensité subjective du prurit après l’application d’histamine a pu être réduite de manière significative par une minimisation verbale [4]. Il est intéressant de noter que ces effets placebo peuvent être exploités à long terme à des fins thérapeutiques en combinant la suggestion verbale et le conditionnement [5,6].
Stress et comorbidités psychologiques
L’influence négative du stress sur l’évolution des maladies cutanées chroniques telles que la dermatite atopique et le psoriasis est connue depuis des années. Mais dans la population générale également, l’apparition et l’étendue du prurit sont en corrélation avec le stress psychosocial [7,8]. Les formes de stress étudiées incluent les anomalies quotidiennes, les expériences de vie stressantes et les traumatismes (“life events”) ainsi que certains traits de personnalité (perfectionnisme, faible tolérance).
Par ailleurs, les personnes souffrant de prurit chronique présentent souvent des troubles psychologiques tels que l’anxiété et la dépression. Les maladies de peau sont généralement associées à une comorbidité accrue pour les maladies mentales, les personnes atteintes de maladies de peau présentant une prévalence presque deux fois plus élevée (29%) de troubles affectifs tels que l’anxiété ou la dépression par rapport à la population générale [9]. Les patients souffrant de prurit chronique semblent également plus souvent souffrir de troubles psychologiques. Une évaluation psychiatrique de ce sous-groupe (n=109) a permis de poser un diagnostic psychiatrique chez plus de 70% des personnes concernées et de recommander un traitement psychothérapeutique chez plus de 60% d’entre elles [10]. Comme mentionné au début, les mécanismes neurofonctionnels de ces troubles se chevauchent. Pour simplifier, on peut parler ici d’une tension anxieuse accrue qui exerce une influence favorisant le prurit.
Le grattage entraîne une relaxation à court terme, mais à long terme, il provoque des lésions cutanées et un comportement conditionné. Le grattage est immédiatement ressenti comme un soulagement et une réduction de la tension, mais il aggrave généralement l’état de la peau. En cas de tension psychique, si aucune autre forme de relaxation n’est disponible, la mémoire active automatiquement le cercle de grattage des démangeaisons. Briser ce cercle vicieux est difficile pour de nombreux patients, car l’interdiction de se gratter qu’ils s’imposent eux-mêmes ne réussit généralement pas. Des programmes comportementaux structurés tels que l’entraînement au renversement de l’habit peuvent être plus efficaces pour remédier à cette situation.
Comment le stress entre dans la peau
Outre le chevauchement neurofonctionnel déjà mentionné, il existe également des interactions psychoneuroimmunologiques au niveau cellulaire [11]. En principe, le système immunitaire réagit à toute réaction de stress. Ainsi, des récepteurs pour les médiateurs du stress se trouvent sur chaque cellule du système immunitaire qui se trouve sur la peau ou qui l’infiltre. Par l’intermédiaire des trois axes de stress que sont l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), l’axe sympathique et cholinergique et l’axe neuropeptide-neurothrophine, le cortisol, la noradrénaline, l’acétylcholine et les neuropeptides agissent sur l’environnement humoral de la peau. Le stress chronique provoque ainsi une inflammation humorale périphérique et a un effet pro-allergène et pro-autoimmun. Dans ce contexte, les mastocytes sont en contact étroit avec les fibres nerveuses qui transmettent les signaux et peuvent être activés par un stress psychosocial. Ces neurones sont capables d’agir de manière efférente en libérant des neuropeptides tels que la substance P (SP) et de transmettre une inflammation périphérique neurogène. Le SP modifie de manière systémique la réponse au stress en inhibant l’axe HPA et en augmentant la perception sensible et les démangeaisons de la peau. Dans le modèle animal, le stress entraîne ainsi une augmentation des contacts entre ces neurones et les mastocytes, suivie d’une dégranulation des mastocytes et donc d’une libération d’histamine. Dans ce cas, la libération de SP induite par le stress sensibilise également les mastocytes à d’autres stimuli. Conformément à ces liens entre le prurit et les facteurs psychologiques (Fig. 1) , il est évident qu’en plus des thérapies dermatologiques, des psychotropes et des interventions psychologiques devraient être utilisés et se sont avérés efficaces.
Thérapie
Le traitement psychosomatique est basé sur le profil biopsychosocial de la personne concernée et ne doit pas être uniquement basé sur les symptômes. Tout commence par une anamnèse psychosociale élargie. Le profil de stress et les indices de maladie mentale et d’antécédents psychiatriques doivent y être consignés.
Psychoéducation : dans un deuxième temps, il convient de mettre en évidence les liens entre le stress psychologique et le prurit ou la maladie de peau. Cela permet de développer une compréhension plus large de la maladie, ce qui rend possible un traitement psychologique.
Pharmacothérapie : sur la base de l’implication affective mentionnée dans le prurit chronique, une approche psychopharmacologique peut être envisagée. Les antidépresseurs les plus étudiés et les plus utilisés sont les ISRS (paroxétine, sertraline, escitalopram) [12]. Les tricycliques tels que la doxépine et l’amitriptyline peuvent également être utilisés par voie orale et même topique, car ils ont un effet antihistaminique [13]. Plus récemment, des analogues du GABA comme la gabapentine et la prégabaline ont été utilisés pour leur effet anxiolytique [14].
Procédures de relaxation : Si le prurit est associé à un niveau de stress élevé, des techniques de relaxation spécifiques sont appropriées et doivent être pratiquées quotidiennement pendant au moins quatre semaines. Parmi les méthodes les plus étudiées et présentant une efficacité similaire pour réduire le prurit, on trouve le training autogène (AT) et la relaxation musculaire progressive (PMR) [15]. En PMR, la relaxation est obtenue par la contraction et le relâchement consécutifs de groupes de muscles. L’utilisateur est donc actif et conserve une sensation de contrôle physique. Il existe des variantes de durée variable, mais il est plus important de pratiquer quotidiennement, ce qui permet de s’entraîner à cette réaction de relaxation. L’AT met l’accent sur l’influence auto-suggestive sur les muscles volontaires et lisses. L’utilisateur se concentre sur des régions spécifiques du corps et imagine des perceptions telles que la lourdeur, la chaleur ou la profondeur de la respiration, ce qui permet à la relaxation de s’installer au fil du temps. En ce qui concerne le prurit, il est également possible d’inclure des suggestions spécifiques à la peau, telles que “la peau est détendue et fraîche”.
Contrôle des démangeaisons, entraînement au renversement de l’habit (HRT) : l’HRT est particulièrement recommandé lorsque le comportement de grattage nuisible aggrave le prurit ou constitue le problème principal (cercle de grattage des démangeaisons). Cette méthode a été utilisée à l’origine pour les troubles obsessionnels compulsifs et vise à modifier le comportement de grattage et de démangeaison déjà conditionné. L’HRT se compose de trois étapes : l’entraînement à la perception, la pratique d’une action de substitution et le feedback social positif. La perception est approfondie par une description détaillée de la perception des démangeaisons et de la réaction au grattage. Ensuite, ils s’entraînent à une action de substitution, comme par exemple fermer le poing ou saisir un objet. Enfin, l’environnement social est impliqué, car il donne un feedback positif sur les comportements réussis.
Conclusion
D’un point de vue fonctionnel, la peau est un organe polyvalent. Outre ses fonctions classiques de délimitation, de perception et de protection, elle est aussi un organe d’expression et de rencontre. Au sens large, les processus internes – et donc psychiques – remontent à la surface. Les démangeaisons peuvent ainsi signaler une tension interne accrue et induire une attention à ce processus. L’idéal est d’explorer les processus sous-jacents. Qu’est-ce que le corps exprime qui n’est pas accessible à la personne concernée ? Que communique-t-il par la peau dont il ne peut pas parler ? Le fait de se gratter symbolise un acte de soulagement à court terme pour réduire les tensions, qui est plutôt néfaste à long terme. Au sens figuré, elle représente tous les modèles de réaction à court terme à des processus internes dysfonctionnels non détectés. Le corps exige ainsi de l’homme conscient une attention et une introspection avec une disposition au changement de perspective, à la réflexion et au changement.
Messages Take-Home
- Le prurit est une expérience multidimensionnelle qui, outre les aspects sensoriels, comprend également des aspects affectifs, cognitifs et comportementaux, et peut être déclenchée et modulée par des effets placebo et nocebo.
- Le prurit chronique est souvent associé à un stress psychosocial et à des troubles affectifs tels que l’anxiété et la dépression, et doit être évalué dans ce contexte.
- Le traitement psychologique doit être adapté à la problématique sous-jacente (niveau de stress, comorbidité psychologique, contrôle des démangeaisons) après une explication approfondie du contexte psychosomatique.
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