Le franchissement de la barrière hémato-encéphalique est une condition importante pour l’efficacité des antidépresseurs. Le composant essentiel de la barrière hémato-encéphalique est la glycoprotéine P, codée par le gène ABCB1, qui empêche la plupart des antidépresseurs de passer dans les tissus. Le gène ABCB1 humain contient des variantes qui peuvent avoir une influence considérable sur le résultat du traitement. La prise en compte du résultat du test ABCB1 lors du traitement par antidépresseurs augmente les chances d’obtenir un effet plus rapidement et une rémission complète.
Les médicaments qui doivent produire leurs effets dans le cerveau n’ont pas seulement à supporter le passage dans le tractus gastro-intestinal et la dégradation prématurée dans le foie. Ils doivent également franchir la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau de l’intrusion de molécules susceptibles de l’endommager. Le cerveau est très vulnérable et ses cellules nerveuses ont une capacité de régénération extrêmement limitée. Notre organe le plus précieux a un besoin urgent d’un apport continu de nutriments, car il ne peut pas faire de réserves. Bien qu’il ne pèse que 2% du poids total du corps, plus de 20% de nos apports alimentaires sont consommés par notre cerveau. L’apport en nutriments est assuré par un vaste réseau de capillaires dont la longueur totale atteint le chiffre impressionnant de 600 km. La surface totale des parois de ce réseau de capillaires est d’environ 20 m². Avec une surface de contact aussi importante entre la circulation sanguine et le cerveau, on comprend pourquoi la nature a dû développer un système de protection assez sophistiqué sous la forme de la barrière hémato-encéphalique. Leur composant le plus important sont les cellules endothéliales, qui sont étroitement maintenues ensemble par des éléments de jonction (“tight junctions”), empêchant ainsi la diffusion des vaisseaux sanguins dans le tissu cérébral. Outre cette protection passive, les cellules endothéliales peuvent également synthétiser une grande molécule, la glycoprotéine P (P-gp), qui transporte activement la plupart des petites molécules dans la circulation sanguine dès qu’elles s’apprêtent à pénétrer dans la paroi vasculaire (Fig. 1).
La plupart des antidépresseurs font partie de ces petites molécules. Tout antidépresseur qui se lie à la P-gp, c’est-à-dire qui est un substrat, est pompé en retour par la P-gp de la cellule vers l’intérieur des capillaires. La P-gp est donc une sorte de “molécule sentinelle” qui revêt une importance clinique considérable non seulement pour le traitement par antidépresseurs, mais aussi pour le traitement par antiépileptiques, antipsychotiques et analgésiques.
Des variantes du gène ABCB1déterminent la fonction de gardien de la glycoprotéine P
La molécule sentinelle P-gp est codée par le gène ABCB1, qui présente une diversité de variants chez l’homme. Uhr et al. 2008 [1] ont été les premiers à trouver un lien entre la réponse à un traitement antidépresseur et différentes variantes du gène ABCB1. Cependant, ces différences n’ont été observées (Fig. 2) que lorsque l’antidépresseur était un substrat de la P-gp. Grâce à des recherches approfondies menées à l’Institut Max Planck de psychiatrie de Munich, il a été possible d’identifier des polymorphismes du gène ABCB1qui semblent être liés à la fonction de cette protéine et qui ont donc une influence sur la capacité du médicament à agir suffisamment dans le système nerveux central. Une disponibilité suffisante de l’antidépresseur dans le tissu cérébral est indispensable pour obtenir l’effet clinique souhaité. La conclusion de Uhr et al. 2008 [1] contient un autre message important pour ceux qui doutent généralement de l’efficacité clinique des antidépresseurs : si ces médicaments étaient inefficaces, les variantes du gène ABCB1n’auraient pas d’influence sur le résultat du traitement.
Conduite clinique et expérience avec le test ABCB1– Situation des études
Les médecins décident quel est l’antidépresseur le plus adapté à chaque patient dans la phase actuelle de la maladie en fonction de leur connaissance des études cliniques, des antécédents individuels du patient et de leur propre expérience. Les profils d’effets secondaires des différents antidépresseurs jouent un rôle important dans la décision thérapeutique des médecins : un patient agité et tourmenté par une agitation interne se verra plutôt prescrire un antidépresseur sédatif. Le patient peu motivé, retiré et ne participant que sporadiquement à la vie qui l’entoure sera plutôt traité avec un antidépresseur stimulant. De nombreux mécanismes pharmacologiques des médicaments antidépresseurs dont nous disposons aujourd’hui sont connus, mais nous ne savons pas si ces mécanismes sont ceux qui expliquent l’effet clinique des antidépresseurs. Il est certain que les influences sur la transmission des signaux par la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine jouent un rôle important dans l’effet de ces médicaments. La question de savoir si le médicament antidépresseur est un substrat de la P-gp suscite de plus en plus d’intérêt dans la recherche clinique. La conclusion de Uhr et al. 2008 [1], selon laquelle notamment les deux polymorphismes nucléotidiques uniques (“single nucleotide polymorphisms” [SNPs]) rs2032583 et rs2235015 du gène ABCB1permettent de prédire si un patient répondra ou non à un antidépresseur prescrit, a donné lieu à de nombreux essais cliniques dans le monde [2–4]. Une méta-analyse portant sur toutes les études examinant le lien entre les variants du gène ABCB1et la réponse clinique aux antidépresseurs et impliquant un total de 2650 patients a examiné non seulement les SNP mentionnés ci-dessus, mais aussi quatre autres polymorphismes du gène ABCB1. Breitenstein et al. 2015 [5] ont constaté que le SNP rs2032583 était significativement associé au résultat du traitement par des antidépresseurs qui sont des substrats de la P-gp. Le SNP rs2235015 était également associé de manière significative au résultat du traitement dans un petit sous-groupe. Aucune corrélation significative n’a été trouvée pour les autres SNPs. Ils en ont conclu que les futures applications cliniques du test ABCB1se concentreraient sur le SNP rs2032583.
Il appartient aux médecins traitants de décider si le test ABCB1doit être effectué chez les patients dès le début du traitement antidépresseur ou seulement lorsque celui-ci n’est pas satisfaisant. Dans une étude rétrospective de Breitenstein et al. En 2014 [6], les données historiques des patients dont le résultat du test ABCB1était connu au début du traitement ont été comparées aux données historiques des patients qui n’avaient pas été testés. Le simple fait de connaître le résultat du test ABCB1a permis d’améliorer les résultats du traitement, que le génotype ABCB1soit favorable ou non ( figure 3). Les patients chez qui le test ABCB1a été effectué au début du traitement avaient des scores plus faibles sur l’échelle de dépression de Hamilton au moment de leur sortie de l’hôpital. La valeur mesurée de la sévérité des symptômes sur l’échelle de dépression de Hamilton influence également la décision de passer d’un traitement hospitalier à un traitement ambulatoire. Plus tôt un faible score est atteint sur cette échelle, plus tôt le patient peut sortir de l’hôpital.
Les très nombreuses études disponibles aujourd’hui permettent donc d’affirmer qu’il est judicieux d’inclure le test ABCB1en plus de l’évaluation clinique du traitement le plus approprié pour chaque patient individuel et de s’informer sur la propriété du substrat P-gp du médicament qui doit être prescrit. Pour effectuer le test, il suffit d’envoyer un échantillon de sang au laboratoire clinique.
Outre les avantages individuels pour les patients concernés, la réponse plus rapide au traitement et l’amélioration des résultats thérapeutiques ont également des conséquences sur l’économie de la santé. Ces aspects et l’amélioration de la qualité des soins en général ont conduit à l’inclusion du test ABCB1dans les recommandations de traitement des sociétés savantes suisses [7]. En Allemagne également, on s’efforce d’inclure le test ABCB1dans les lignes directrices sur le traitement de la dépression.
Recommandations de traitement concrètes grâce au test ABCB1: propriété du substrat P-gp et dosage des antidépresseurs
Une autre étude clinique menée à l’Institut Max Planck de psychiatrie a examiné l’influence du dosage des médicaments, ou de la concentration des principes actifs dans le plasma sanguin, en relation avec le génotype ABCB1et le résultat du traitement [8]. Il s’est avéré que les porteurs du génotype rare (allèle C du SNP ABCB1 rs2032583 et allèle T du SNP ABCB1 rs2235015) (environ 25% de tous les patients) répondaient particulièrement bien au traitement par un antidépresseur. Pour que le traitement soit efficace, il fallait premièrement que l’antidépresseur soit un substrat de la P-gp et deuxièmement que le taux plasmatique de l’antidépresseur ne dépasse pas la fourchette normale recommandée [9]. Les patients présentant ce génotype ABCB1ont non seulement mieux répondu aux antidépresseurs du groupe substrat (tableau 1) à la posologie standard que les patients présentant le génotype défavorable (TT/GG), mais aussi significativement mieux que ceux qui ont reçu n’importe quel traitement standard. Chez les patients présentant le génotype rare ABCB1 (allèle C du SNP ABCB1 rs2032583 et allèle T du SNP ABCB1 rs2235015), si la concentration plasmatique du substrat P-gp dépassait la plage normale recommandée, le résultat du traitement était nettement moins bon que dans la plage normale recommandée. Cela peut servir d’indication supplémentaire que le génotype rare ABCB1 est associé à une diminution de la “fonction de sentinelle” de la P-gp et que cela entraîne finalement une concentration trop élevée du médicament dans le cerveau en cas de concentration plasmatique trop importante de la substance active. Cela a des effets cliniques négatifs, principalement en raison des effets secondaires d’origine centrale.
Le test ABCB1 permet de déterminer l’expression individuelle des SNPs ABCB1 rs2032583 et rs2235015 dans un laboratoire clinique. Les génotypes ABCB1pertinents sont mesurés dans l’échantillon de sang envoyé à l’aide d’un kit de test RIDA®-PRECISION de R-Biopharm AG, en utilisant la méthode PCR. Les résultats sont envoyés aux médecins traitants, y compris les recommandations thérapeutiques qui en découlent. Sur la base de ces résultats, nous avons développé un schéma thérapeutique pour la pratique (fig. 4).
Conclusion
Le traitement d’une dépression par des antidépresseurs est actuellement encore insatisfaisant : les effets sont trop longs à se manifester, les médicaments sont efficaces chez trop peu de patients et les effets secondaires sont trop nombreux. Le test ABCB1 permet de décider quels antidépresseurs sont les plus susceptibles de donner un bon résultat thérapeutique chez un patient donné. La réduction de la durée du traitement et la perspective d’une rémission complète, et donc la diminution de la probabilité d’un nouvel épisode dépressif, justifient l’intégration du test ABCB1 dans la pratique clinique du traitement de la dépression.
Littérature :
- Uhr M, et al. : Les polymorphismes dans le gène transporteur de médicaments ABCB1 prédisent la réponse au traitement antidépresseur dans la dépression. Neuron 2008 ; 57 : 203-209.
- O’Brien FE, Dinan TG, Griffin BT, Cryan JF : Interactions entre les antidépresseurs et la P-glycoprotéine à la barrière hémato-encéphalique : signification clinique des résultats in vitro et in vivo. Br J Pharmacol 2012 ; 165 : 289-312.
- Sarginson JE, et al : ABCB1 (MDR1) polymorphisms and antidepressant response in geriatric depression. Pharmacogenet Genomics 2010 ; 20 : 467-475.
- Schatzberg AF, et al. : Effets génétiques de l’ABCB1 sur les résultats des antidépresseurs : A Report From the iSpot-D Trial. Am J Psychiatry 2015 ; 172 : 751-759.
- Breitenstein B, et al : Variants du gène ABCB1 et résultats du traitement antidépresseur : une méta-analyse. Am J Med Genet Part B Neuropsychiatr Genet 2015 ; 168B(4) : 274-283.
- Breitenstein B, et al : The clinical application of ABCB1 genotyping in antidepressant treatment : a pilot study. CNS Spectr 2014 ; 19 : 165-175.
- Holsboer-Trachsler E, et al. : Le traitement somatique des troubles dépressifs unipolaires : Mise à jour 2016, partie 1. Le traitement aigu des épisodes dépressifs. Forum Med Suisse 2016 ; 16(35) : 716-724.
- Breitenstein B, et al : Association des variants du gène ABCB1, concentration d’antidépresseurs dans le plasma, et réponse au traitement : résultats d’une étude clinique randomisée. J Psychiatr Res 2016 ; 73 : 86-95.
- Baumann P, et al : The AGNP-TDM Expert Group Consensus Guidelines : Therapeutic Drug Monitoring in Psychiatry. Pharmacopsychiatrie 2004 ; 37 : 243-265.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2016 ; 14(6) : 36-40