Dans une interview accordée à InFo ONKOLOGIE & HÄMATOLOGIE, le professeur Gerd Nagel, oncologue interniste et fondateur de la Fondation suisse pour la compétence des patients, a parlé de la signification du mot “compétence des patients” et de l’influence de ce concept sur la pratique médicale actuelle. Il a également abordé la question de la supplémentation en micronutriments (notamment en L-carnitine, coenzyme Q10 et VitD3), qui est utile par exemple en situation de traitement adjuvant chez les patientes atteintes d’un cancer du sein.
Dr. Nagel, qu’entendez-vous exactement par “compétence du patient” ou existe-t-il une définition généralement valable ?
Prof. Dr Nagel :
Il n’y a pas encore de définition universellement reconnue ni de consensus au sein du système de santé pour le terme “compétence du patient”. Wikipedia donne la définition suivante : “Le terme de compétence des patients (CP) vient des patients atteints de cancer eux-mêmes. Il coïncide en grande partie avec le terme anglais the expert patient. Aujourd’hui, il existe essentiellement trois définitions de la CP :
- Les patients atteints de cancer ont eux-mêmes défini la PC comme suit : ‘La PC est la capacité de mener une vie normale avec et malgré la maladie, un handicap ou un traumatisme’. Cette définition fait essentiellement référence à la tentative réussie d’accepter la nouvelle réalité de vie imposée par la maladie, d’adapter la vie quotidienne à cette réalité et de participer à l’organisation de la nouvelle situation de vie en utilisant ses propres ressources.
- La médecine et la psycho-oncologie définissent la CP de manière un peu plus précise : la CP englobe la capacité à
- faire face aux défis de la maladie,
- de réfléchir à ses propres ressources et à celles des autres pour faire face à la maladie,
- d’utiliser ces ressources,
- de prendre en compte ses propres besoins dans la maladie
- de poursuivre leurs propres objectifs et
- préserver l’autonomie.
- La psychologie sociale décrit le concept de CP comme suit : La CP comprend comme compétences individuelles la compétence personnelle, la compétence relationnelle, la compétence sociale et la compétence démocratique”.
C’est ce que dit Wikipedia. Ce qui me semble essentiel, c’est que les patients compétents ne cherchent pas à s’immiscer dans les affaires médicales, mais dans leurs propres affaires. Dans ce contexte, la notion de self-empowerment est essentielle. Il désigne les étapes qu’un patient franchit pour assumer son nouveau rôle de patient ou pour accepter une situation de vie critique et l’organiser en vue d’une nouvelle normalité.
Comment et par quels biais les patients acquièrent-ils cette compétence personnelle ?
Il existe parfois des formations exemplaires pour les patients, où l’on apprend à “être patient” correctement. Cela se fait par exemple dans les cliniques de rééducation ou il existe des offres correspondantes d’organisations d’entraide, par exemple pour les patients souffrant d’infarctus du myocarde, de diabète ou de cécité.
Les patients atteints d’un cancer en sont le meilleur exemple.
Le recours à des services de conseil alternatifs risque-t-il de créer une situation de concurrence avec les médecins traitants ?
On ne devrait plus utiliser aujourd’hui les termes “alternatif”, “médecine alternative”, “thérapie alternative”. Nous insistons beaucoup sur ce point dans le cadre du conseil en compétences. Ces termes suggèrent à tort qu’il existe des alternatives thérapeutiques réelles, éprouvées et tout aussi efficaces à la médecine fondée sur la science (médecine conventionnelle) et en dehors de celle-ci. Au lieu de cela, nous parlons de “médecine complémentaire” (MC) comme d’une médecine qui convient pour aider le patient à se prendre en charge dans le cadre de ses propres objectifs.
Pour les patients atteints de cancer qui ont bénéficié d’un conseil en matière de compétences ou d’empowerment, nous disposons de données fiables sur les conséquences d’une promotion des compétences des patients : ils utilisent de manière relativement conséquente les offres de la médecine micronutritionnelle basée sur les preuves ; ils ont recours en moyenne à beaucoup moins de moyens ou de procédures paramédicales que les patients qui n’ont pas bénéficié d’un entraînement aux compétences ; ils se distinguent par une observance particulièrement élevée, par exemple en ce qui concerne l’utilisation à long terme de thérapies tumorales orales adjuvantes ; ils changent moins souvent de médecin.
En résumé, des patients compétents sont la meilleure chose qui puisse arriver à un médecin. Mais pour cela, il faut établir une distinction claire : nous ne qualifions pas de patients compétents les patients qui acquièrent une pseudo-compétence médicale et qui, sur la base de ces connaissances partielles, se mêlent des affaires du médecin.
Existe-t-il des études qui examinent l’influence du renforcement de la propre capacité d’action et de connaissance du patient sur le pronostic de la maladie ?
Oui, il existe de telles études, par exemple en dentisterie, cardiologie, allergologie, diabétologie ou diététique. En ce qui concerne l’oncologie, il n’existe pas d’études de ce type, du moins pas d’études qui auraient été pleinement reconnues par la communauté scientifique.
Aujourd’hui, alors que les compétences des patients sont devenues si importantes pour les patients atteints de cancer, ne serait-il pas temps de mener une telle étude sur l’importance pronostique des compétences des patients ?
Oui, le temps est aujourd’hui venu de réaliser une telle étude. Les fondations Patientenkompetenz Schweiz et Deutschland ont soutenu depuis longtemps le développement d’une telle étude, qui n’est pas simple sur le plan méthodologique. Cette phase préparatoire est désormais terminée et un essai clinique contrôlé de ce type devrait débuter avant la fin de l’année 2015. Il s’agit de la question de l’influence du conseil en compétences sur les paramètres cibles que sont la qualité de vie, la conviction d’efficacité personnelle, l’observance durable ainsi que sur différents paramètres de résultats du traitement antitumoral chez les femmes atteintes d’un cancer du sein “à haut risque” en situation de traitement adjuvant.
Quels sont les autres projets actuels de la Fondation pour la compétence des patients et quelles sont les publications déjà disponibles ?
Les fondations ont mis en place sur Internet une plate-forme “SoS” = Selfempowerment-online-Service. Elle s’adresse aux professionnels de la santé qui souhaitent se familiariser avec le domaine du conseil en compétences. Nous élaborons actuellement une plate-forme similaire pour les patients atteints de cancer afin de les aider à se prendre en charge.
Les fondations ont notamment publié plusieurs livres sur les compétences des patients et un guide pour les professionnels de la santé sur les conseils en matière d’autonomisation des femmes atteintes d’un cancer du sein. Ces livres peuvent être consultés et commandés sur le site de la fondation (www.patientenkompetenz.ch).
Qu’est-ce que les micronutriments (MnSt) ?
Par analogie avec le terme “macronutriments” (sucres, protéines, graisses), les MnSt sont des éléments constitutifs essentiels du métabolisme, de petites molécules. Les MnSt comprennent les vitamines, les vitaminoïdes, les oligo-éléments, les minéraux et autres.
La vitamine D fait-elle aussi partie des micronutriments ? Il est principalement produit dans la peau par l’exposition au soleil.
Oui, la vitamine D est une MnSt. Certains MnSt peuvent être produits par le corps lui-même, d’autres non, du moins pas en quantité suffisante. Ceux-ci doivent alors être obligatoirement apportés de l’extérieur, comme la vitamine C.
Quelle est la différence entre les besoins en MnSt d’une personne en bonne santé et ceux d’une patiente atteinte d’un cancer du sein et suivant une chimiothérapie ? Et comment déterminer précisément la situation individuelle en matière de soins ?
Pour cela, il faut d’abord faire quelques remarques générales sur la médecine MnSt. Le domaine de la médecine MnSt, sur lequel on peut également trouver des actualités sous le terme de recherche “Metabolomics”, a fait l’objet de recherches intensives au cours des dernières années. Depuis longtemps déjà, la médecine sportive accorde une attention particulière aux MnSt. Les athlètes de haut niveau actuels ne seraient pas en mesure de réaliser des performances de pointe sans une supplémentation complexe en MnSt (nota bene : une telle supplémentation n’a rien à voir avec le dopage). De la médecine sportive, il n’y avait alors qu’un pas à franchir pour passer à d’autres situations de besoins extraordinaires en MnSt, à savoir les patients atteints de maladies graves ou suivant un traitement agressif, comme la chimiothérapie. En médecine, la recherche sur la place de la MnSt est en plein essor. Cependant, la recherche est confrontée à un énorme défi dans ce domaine. Des liens simples entre les MnSt et les pathologies ont été élucidés depuis longtemps et font partie de la médecine fondée sur les preuves (iode/thyroïde, Fe/B12/anémie, Ca/VitD/ostéoporose, etc.) Aujourd’hui, la recherche s’efforce de comprendre l’extraordinaire complexité des interactions entre les groupes MnSt. Cela vaut également pour la question du rôle de la MnSt dans le développement du cancer, le contrôle du cancer par l’organisme et le traitement médicamenteux du cancer. Cependant, la recherche n’en est qu’à ses débuts.
Pour répondre à votre question, il n’est pas encore possible de déterminer avec précision les besoins spécifiques en MnSt de chaque patiente atteinte d’un cancer du sein. Les analyses sanguines des MnSt ne sont pertinentes que pour un nombre très limité de MnSt ou pour calculer les besoins en supplémentation. C’est le cas de la vitamine D, dont le taux sanguin devrait être hautement normal en cas de cancer du sein et qui a une valeur pronostique.
Mais dans le cas du cancer du sein, il existe toute une série d’autres résultats de la recherche préclinique et clinique qui, à mon avis, ne laissent aucun doute sur l’intérêt de la supplémentation de la patiente atteinte d’un cancer du sein, du moins en situation de traitement adjuvant. Les MnSt L-carnitine, coenzyme Q10 et VitD3 revêtent ici une importance particulière. Sur la base de ces données, nous utiliserons également ces trois substances dans le cadre de l’étude susmentionnée. Une formulation pharmaceutique spéciale a été développée à cet effet.
Peut-on couvrir les besoins accrus en micronutriments lors d’une chimiothérapie par un régime spécifique ?
Les besoins supplémentaires en MnSt des personnes soumises à des efforts physiques extraordinaires, comme dans le sport de haut niveau ou en oncologie, ne peuvent pas être couverts par un régime alimentaire – sans compter que les patients cancéreux sous chimiothérapie ne peuvent très souvent même pas s’alimenter “normalement”. Dans ce cas, un apport externe de MnSt est nécessaire. Comme nous l’avons dit plus haut, on a toujours essayé de calculer le montant à donner dans chaque cas. Mais même si certains laboratoires affirment pouvoir le déterminer sur la base d’analyses de sang ou d’urine, je n’en suis pas convaincu. Nous avons également essayé pendant longtemps d’établir de tels profils MnSt pour un traitement MnSt rationnel, mais nous avons abandonné cette approche. Sauf exceptions évidentes, la détermination des taux sanguins des différents MnSt ne dit rien sur les besoins ou l’interaction délicatement orchestrée des réseaux de MnSt.
La compétence du patient signifie-t-elle également que le patient établit lui-même un plan de supplémentation ou que cela se fait en étroite collaboration avec le médecin traitant/conseiller ?
Le conseil en compétences fondé sur des données probantes en matière de GC en général et de MnSt en particulier nécessite une grande expertise. Les patients compétents ont absolument besoin de conseillers compétents.
Concernant les preuves : quels sont les effets positifs (mais aussi potentiellement négatifs) que l’on peut attendre d’une telle thérapie de soutien ?
En ce qui concerne les données sur les interactions potentiellement négatives du traitement MnSt avec la chimiothérapie, une chose est clairement établie, une autre ne l’est pas (bien que des rumeurs la colportent régulièrement). Il est prouvé que les MnSt, administrés en combinaison correcte ( !) et à la bonne dose ( !), ont un certain nombre d’effets positifs, mais n’ont pas d’effets indésirables en termes de tolérance et d’efficacité de la chimiothérapie. L’avertissement selon lequel il ne faut pas donner de MnSt (spécialement des antioxydants) parallèlement à la radiothérapie ou à la chimiothérapie est basé sur des observations faites sur des cultures cellulaires. Les données cliniques montrent exactement le contraire : parallèlement au traitement de la tumeur, ils sont sûrs et efficaces. Cependant, à quelques exceptions près, principalement pour des indications médicales, la médecine des MnSt n’utilise pas de MnSt en tant que substances individuelles à des doses pharmaceutiques élevées.
Quelle est la place des facteurs psychologiques dans le conseil en matière de compétences des patients ?
Le conseil en compétences se distingue de l’approche de la psycho-oncologie classique. Cette dernière se concentre sur des thèmes typiques de la psychologie : coping, diagnostic et traitement de la dépression, de l’anxiété, du deuil ou de la colère, conflits relationnels avec l’entourage, etc. En règle générale, le conseiller en compétences n’est pas un psychologue. Tout au plus recommande-t-il le recours au psycho-oncologue s’il perçoit l’existence d’un grave problème psychologique.
Néanmoins, l’entretien de compétence bien mené a bien sûr un impact massif de nature psychologique sur la patiente. Après une telle consultation, elle aborde sa vie avec et malgré la maladie d’une nouvelle manière. Elle a gagné en valeur personnelle, en confiance en soi et en conviction d’efficacité personnelle. Elle se sent moins impuissante, connaît son plan d’auto-aide et reprend les choses en main.
Entretien : Andreas Grossmann
InFo ONKOLOGIE & HÄMATOLOGIE 2015 ; 3(3-4) : 20-23