En cas de consommation modérée, ce qui correspond à deux ou trois boissons alcoolisées par jour, on observe un effet protecteur contre les maladies coronariennes. En ce qui concerne les différents types d’alcool (bière, vin, alcools forts), aucune différence n’a été constatée à ce jour en termes d’effet protecteur. Pourtant, les buveurs de vin ont un mode de vie plus sain. La consommation modérée d’alcool ne peut pas être définie simplement par la quantité : Sept verres le week-end n’ont pas le même effet qu’un verre par jour en semaine. Les conséquences négatives pour le cœur de l’abus d’alcool sont les cardiomyopathies, les arythmies, l’hypertension et les accidents cérébrovasculaires.
La question de savoir si l’alcool est sain ou nocif pour le cœur, et dans quelle mesure, fait l’objet d’un débat depuis longtemps. Souvent, ce sujet est lié à l’émotion, que ce soit du côté des abstinents ou de ceux que l’on appelle les “jouisseurs de vie”. De nombreuses publications et études sérieuses ont évalué les risques et les avantages de la consommation d’alcool. S’il est clair que l’alcool en excès peut être malsain, voire mortel, la consommation modérée d’alcool (20 g/jour, soit environ ¼ l de vin ou 0,5 l de bière) ne semble pas dangereuse et peut être saine.
Contexte historique
Hippocrate a introduit le vin vers 400 av. “officiellement” dans l’art de la guérison. Il l’utilisait comme fortifiant pour les convalescents, comme calmant et somnifère, pour les maux de tête et les troubles de l’humeur, comme analgésique, pour les troubles cardiaques et circulatoires et même pour les maladies oculaires. Il prescrivait également du vin en cas de ballonnements, de maladies intestinales d’origine bactérienne ou toxique et comme diurétique. En usage externe, il était utilisé pour traiter les plaies. Dans l’Ancien Testament, le vin est mentionné en relation avec le cœur : Psaume 104:15 “…que le vin réjouisse le cœur de l’homme…”. De même, dans le Nouveau Testament, Paul recommande le vin à son ami Timothée : I Timothée 5:23 “Ne te contente plus de boire de l’eau, mais ajoute un peu de vin, à cause de ton estomac et parce que tu es souvent malade”. L’abbesse de Rupertsberg et mystique Hildegard von Bingen (1098-1179) a recommandé dans son ouvrage “Causae et Curae” le vin de cœur (tiges de persil, peu de vinaigre, vin blanc et miel d’abeille) pour traiter les troubles circulatoires. En 1892, la caisse d’assurance maladie locale de Heidelberg a déclaré, en accord avec les médecins de la caisse, qu’une bouteille de vin était un produit thérapeutique pouvant être prescrit. Dès 1931, le Dr Timothy Leary a décrit dans un article du New England Journal of Medicine les “avantages thérapeutiques” de l’alcool en réduisant le risque de diabète et d’athérosclérose. Et en 1979 encore, la Pharmacopea Helvetica mentionne le vin comme thérapeutique : Vinum Condurango et Vinum Meridianum Dulce.
Effets biologiques de l’alcool
Dans l’éthanol, deux fonctions coopèrent, mais parfois en concurrence : le groupe éthyle lipophile et le groupe hydroxyle hydrophile. Ce double caractère amphiphile permet une diffusion rapide de l’éthanol dans le sang. Sa propriété lipophile lui permet de traverser facilement les membranes cellulaires constituées de lipides. C’est pourquoi, lorsque vous consommez de l’éthanol, une partie est déjà absorbée dans la cavité buccale. Le taux d’éthanol dans le sang est presque aussi élevé que celui du cerveau.
Effets biochimiques cardiovasculaires potentiellement bénéfiques
Parmi les multiples mécanismes cellulaires et moléculaires qui pourraient expliquer les effets bénéfiques de la consommation d’alcool, les quatre suivants sont probablement les plus importants : 1. les lipoprotéines de haute densité, 2. signaux biochimiques, 3. fonction plaquettaire en cas de thrombose ; et 4. stimulation de la thrombolyse.
- Les effets stimulants de l’alcool sur le taux de HDL s’appuient sur des études épidémiologiques : en cas de consommation modérée, on observe une augmentation d’environ 0,1 à 0,2 mm/l de HDL. Les mécanismes biochimiques restent toutefois peu clairs.
- Les cellules endothéliales envoient des signaux biochimiques (signalisation cellulaire) qui stimulent les processus inflammatoires lors du développement de fatty streaks, avec capture des LDL et des phagocytes dans l’espace sous-endothélial. Ensuite, les particules LDL s’oxydent et des facteurs de transcription (par ex. NF-κB dans les cellules endothéliales) sont activés, ce qui contribue au développement de l’athérosclérose. Il est postulé que l’alcool inhibe cette fonction NF-κB. Les effets antioxydants du vin pourraient également inhiber l’oxydation des LDL.
- L’alcool pourrait modifier l’intégrité structurelle des thrombocytes et ainsi inhiber leur agrégation. En cas de consommation chronique d’alcool, la fonction des plaquettes est significativement réduite, ce qui augmente le temps de saignement.
- L’activité fibrinolytique dans le plasma est stimulée par une consommation modérée d’alcool, mais pas par une consommation importante. Des études épidémiologiques ont montré une association positive entre la consommation d’alcool et l’activité fibrinolytique, qui stimule la conversion du plasminogène en plasmine. La plasmine favorise la lyse du thrombus, ce qui pourrait expliquer l’effet protecteur de l’alcool contre les événements coronariens aigus. Il convient toutefois de souligner que cela pourrait également expliquer le risque accru d’hémorragies. Il est également fait mention d’un autre mécanisme qui n’a pas été prouvé avec certitude : L’alcool améliorerait l’efficacité de l’insuline et freinerait ainsi le développement de la résistance à l’insuline et donc du diabète sucré.
Les buveurs de vin ayant un mode de vie plus sain
Parmi les nombreuses études qui ont évalué l’association entre l’alcool et les maladies coronariennes, Mukamal et al. Sur 38 007 hommes travaillant dans le secteur de la santé, le risque de maladie coronarienne était le plus faible chez ceux qui consommaient trois boissons alcoolisées ou plus par semaine et moins de 25 g d’alcool ou trois boissons alcoolisées par jour, de préférence au moment des repas. En buvant un ou deux verres de vin (20 g/jour), on a observé un effet protecteur contre les maladies coronariennes.
Aucun effet positif n’a pu être démontré chez les personnes qui n’avaient jamais bu d’alcool auparavant. C’est pourquoi la consommation de vin ne peut pas être recommandée de manière générale. Il faut toutefois souligner que certains non abstinents ont probablement le mode de vie le plus sain : Les personnes qui boivent régulièrement du vin ont également tendance à avoir un mode de vie plus sain. En comparant les habitudes de vie, il est apparu que les buveurs modérés de vin, contrairement aux buveurs de bière ou d’alcool fort, mais aussi aux non-buveurs, fumaient moins, mangeaient moins de graisses et faisaient plus d’exercice.
Conséquences cardiovasculaires d’une forte consommation d’alcool
On connaît quatre maladies cardiovasculaires spécifiques causées par l’alcool.
Cardiomyopathie éthylique : l’association entre la consommation excessive d’alcool et l’hypertrophie du cœur avec insuffisance a été décrite il y a plus de 100 ans. Environ 20 à 50% des cardiomyopathies dans le monde occidental sont causées par l’alcool. Toutes les sous-structures cellulaires peuvent être affectées défavorablement par l’acétaldéhyde, un produit de dégradation de l’éthanol : La Na/K ATPase, les mitochondries, la contractilité via la réduction de la sécrétion de calcium par le réticulum sarcoplasmique et les éléments élastiques.
Arythmie : Il est bien connu que la consommation excessive d’alcool peut entraîner ce que l’on appelle le syndrome Holiday Heart, avec une fibrillation auriculaire et des signes d’insuffisance cardiaque le lendemain. Par rapport aux personnes ayant la consommation d’alcool la plus faible, les personnes ayant la consommation la plus élevée (hommes : deux boissons alcoolisées ou plus par jour ; femmes : une boisson alcoolisée ou plus par jour) présentaient un risque relatif de fibrillation auriculaire supérieur de 51%. Cette augmentation du risque était liée à la dose : Chaque fois que la quantité d’alcool absorbée augmentait de 10 g, le risque de fibrillation auriculaire augmentait de 8 pour cent en termes relatifs. Les modifications physiopathologiques qui sous-tendent cette association ne sont pas claires. L’alcool pourrait augmenter le tonus adrénergique, réduire l’activité vagale, entraîner des lésions structurelles directes du myocarde ou encore des modifications électrophysiologiques dans le tissu auriculaire. L’alcool abaisse également le seuil de fibrillation ventriculaire.
Une consommation excessive et continue d’alcool peut contribuer au développement d’une hypertension ou d’une insuffisance cardiaque chronique, qui constitue à son tour une base structurelle pour le développement d’arythmies. Le type de boissons alcoolisées – alcools forts, vin rouge, vin blanc ou bière – ne semble pas avoir d’incidence sur le risque d’arythmie.
Hypertension artérielle : de nombreuses études épidémiologiques démontrent l’association entre la consommation chronique d’alcool (plus de deux boissons alcoolisées par jour) et l’hypertension, indépendamment de l’obésité et du tabagisme, ainsi qu’une diminution de la pression artérielle après réduction de la consommation (≤2 boissons alcoolisées par jour). Plusieurs mécanismes ont été postulés : Augmentation de l’activité sympathique, diminution de la sensibilité des barorécepteurs, diminution de l’activité sympathique, diminution de la sensibilité des barorécepteurs, diminution du magnésium ionisé dans le plasma avec augmentation consécutive du calcium ionisé, ce qui entraîne une vasoconstriction.
Les accidents cérébrovasculaires : l’hypertension artérielle, la fibrillation auriculaire et la cardiomyopathie sont des facteurs de risque d’accidents cérébrovasculaires, qui sont proportionnellement plus fréquents chez les alcooliques. Les hémorragies cérébrales sont également plus fréquentes chez les gros buveurs. Il est probable que l’augmentation du temps de saignement, la faible agrégation plaquettaire et la tendance aux chutes jouent un rôle essentiel.
Conclusion
Pour illustrer la problématique de l’alcool, Zakhari propose l’image du dieu romain Janus : Un double visage regardant vers l’avant et vers l’arrière : les effets de l’alcool peuvent prendre des formes opposées en fonction de la quantité consommée : avec modération (2-3 verres/jour), on peut observer un effet protecteur contre la maladie coronarienne. Il n’y a cependant pas de différence certaine entre le vin, la bière ou l’alcool, mais les buveurs de vin ont un mode de vie plus sain. La consommation modérée d’alcool ne peut toutefois pas être définie simplement par la quantité : Sept verres le week-end n’ont pas les mêmes effets qu’un verre par jour. Le revers de la médaille est constitué par les effets négatifs de l’abus d’alcool sur le cœur : cardiomyopathie, arythmies, hypertension et accidents cérébrovasculaires. Il ne faut pas oublier l’apport en calories. En fin de compte, la citation de Paracelse reste valable : Sola dosis facit venenum.
Littérature complémentaire :
- Mukamal KJ, et al : N Engl J Med 2003 ; 348 : 109-118
- Naimi TS, et al : Am J Prev Med 2005 ; 28369-73
- Sam Zakhari, ALCOHOL HEALTH & RESEARCH WORLD, vol. 21, No. 1, 1997. https://pubs.niaaa.nih.gov/publications/arh21-1/21.pdf
CARDIOVASC 2017 ; 16(1) : 4-6