Les troubles du rythme sont l’une des complications cardiaques les plus fréquentes pendant la grossesse chez les femmes avec ou sans cardiopathie structurelle connue. Des troubles du rythme jusqu’à présent peu fréquents peuvent devenir plus fréquents pendant la grossesse ou même apparaître pour la première fois. Un aperçu complet de la prise en charge cardiaque pendant la grossesse.
Les troubles du rythme sont l’une des complications cardiaques les plus fréquentes pendant la grossesse chez les femmes avec ou sans cardiopathie structurelle connue. Des troubles du rythme jusqu’à présent peu fréquents peuvent devenir beaucoup plus fréquents pendant la grossesse ou même apparaître pour la première fois pendant la grossesse [1].
La fréquence des troubles du rythme pendant la grossesse est due à la modification de l’hémodynamique, du statut hormonal et des changements du système nerveux végétatif. L’oreillette et le ventricule augmentent de volume. La précharge augmente et la tension supplémentaire dans les parois de l’oreillette et du ventricule peut entraîner une arythmogénicité accrue. De plus, la fréquence de repos est souvent augmentée et la variabilité de la fréquence cardiaque réduite.
Bradycardies
Normalement, la fréquence du rythme sinusal augmente de 10 à 20 battements par minute pendant la grossesse. Les bradycardies sinusales sont donc un phénomène relativement rare. La nuit ou pendant les réactions vagales, qui sont souvent observées pendant l’accouchement, mais aussi plus souvent dans les premiers jours après la naissance, il peut y avoir des bradycardies sinusales ou des blocages AV du 1er ou même du 2e degré type Wenckebach, qui sont généralement inoffensifs.
Toutefois, si un bloc AV de type II, de type Mobitz ou de troisième degré est observé, il est souvent lié à une cardiopathie structurelle.
Les blocages AV congénitaux totaux sont parfois complètement asymptomatiques et ne sont remarqués que pendant la grossesse. L’ECG montre un rythme de remplacement suffisant avec un complexe QRS étroit. Cependant, dans une étude portant sur des femmes présentant un bloc AV congénital asymptomatique, des syncopes et des complications sont survenues dans 13% des grossesses et un stimulateur cardiaque a dû être implanté chez certaines femmes [2]. C’est pourquoi l’implantation d’un stimulateur cardiaque doit être évaluée avant la grossesse en cas de blocages AV de haut niveau préexistants. Il est encore possible de le faire pendant la grossesse, mais ce n’est pas souhaitable en raison de l’exposition aux rayons X.
Tachycardie supraventriculaire
Les extrasystoles supraventriculaires sont très fréquentes pendant la grossesse. Parfois, elles peuvent entraîner des palpitations très gênantes, mais la plupart du temps, ces extrasystoles ne provoquent aucun symptôme.
Les troubles du rythme les plus fréquents chez les femmes pendant la grossesse sont les tachycardies supraventriculaires paroxystiques, le plus souvent causées par des tachycardies par réentrée du nœud AV ou par réentrée AV via des voies de conduction accessoires. L’incidence a été estimée à 24/100 000 hospitalisations de femmes enceintes [3]. Les tachycardies supraventriculaires surviennent pour la première fois pendant la grossesse ou sont soudainement beaucoup plus fréquentes et entraînent des symptômes plus importants [1]. La symptomatologie n’est pas différente de celle observée en dehors d’une grossesse, avec des palpitations, une dyspnée, des présyncopes, des douleurs thoraciques et une forte insécurité. Le début et la fin brutaux de la tachycardie sont classiques.
Pour traiter un épisode de tachycardie supraventriculaire, on peut essayer des manœuvres vagales (Valsalva, massage du sinus carotidien, gorgée d’eau froide) ou l’adénosine intraveineuse. Si la tachycardie est très mal tolérée, une électroconversion directe peut éventuellement être envisagée. L’adénosine ayant une demi-vie très courte, il n’y a qu’une exposition très réduite chez l’enfant. Les autres substances pharmacologiques possibles sont les bêtabloquants (propranolol ou métoprolol). Un traitement pharmacologique prophylactique visant à prévenir un épisode de tachycardie supraventriculaire peut également être envisagé sous la forme d’un bêtabloquant. Toutefois, en cas d’utilisation prolongée, il existe un risque de restriction de la croissance intra-utérine chez l’enfant [4].
En cas de tachycardie supraventriculaire sévère, un examen électrophysiologique et une ablation par cathéter doivent être effectués si possible avant la grossesse. L’ablation par cathéter pendant la grossesse est également possible en théorie. L’utilisation de cartes électro-anatomiques tridimensionnelles et d’un système de localisation spécial permet de se passer en grande partie de l’utilisation de rayons X.
Fibrillation et flutter auriculaires
Ces troubles du rythme sont moins fréquents pendant la grossesse. Toutefois, en cas de cardiopathie structurelle préexistante ou de maladies associées supplémentaires, la fibrillation et le flutter auriculaires peuvent être plus fréquents, par exemple en cas de cardiopathies rhumatismales, de maladies valvulaires ou de cardiomyopathie hypertrophique, de cardiomyopathie péripartum connue ou de cardiopathies congénitales. Comme chez les femmes non enceintes, le spectre des symptômes est très large, allant de complètement asymptomatique à des symptômes très gênants et hémodynamiques.
Les femmes enceintes souffrant de fibrillation auriculaire doivent être examinées de manière approfondie. Dans la mesure où un facteur supplémentaire (maladie thyroïdienne, consommation d’alcool, inflammation) est trouvé, il doit être traité en priorité.
En outre, la fibrillation et le flutter auriculaires présentent un risque accru d’événements thromboemboliques. Bien que la plupart des femmes enceintes aient un score de risque CHA2DS2-VASc de 1, la grossesse elle-même entraîne déjà un état prothrombotique et donc probablement un risque thromboembolique accru.
L’héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire est disponible pour la protection contre les complications thromboemboliques. Marcoumar® et Sintrom® ne doivent pas être utilisés ou seulement à partir du deuxième trimestre et jusqu’à un mois avant la naissance, en raison de la tératogénicité potentielle de ces substances. Les nouveaux anticoagulants oraux ne sont pas non plus recommandés, car ils ont parfois des effets foetotoxiques.
Comme la plupart des patientes présentent un faible score de risque CHA2DS2-VASc, il est souvent possible de renoncer à l’anticoagulation [5].
Les bêtabloquants, la digoxine ou les antagonistes des canaux calciques peuvent être utilisés pour contrôler la fréquence de la fibrillation auriculaire. Des médicaments antiarythmiques ou une électroconversion peuvent être envisagés pour contrôler le rythme. Un éventuel effet tératogène des substances antiarythmiques se manifesterait surtout au cours du premier trimestre. Au cours des deuxième et troisième trimestres, il existe un risque accru d’entraver la croissance du fœtus et son développement ultérieur. Pendant l’accouchement, il existe un risque d’une certaine proarythmogénicité et une influence sur la contractilité de l’utérus. Le tableau 1 donne un aperçu des effets secondaires des médicaments antiarythmiques pendant la grossesse et l’allaitement.
Une cardioversion électrique peut être effectuée tout au long de la grossesse. Le risque que l’électroconversion induise un trouble du rythme chez le fœtus est très faible. Il est toutefois recommandé de surveiller le rythme fœtal [6]. Au troisième trimestre, en raison des modifications des voies respiratoires et du risque accru d’aspiration, il peut être recommandé de réaliser l’électroconversion sous anesthésie générale et intubation. L’ablation par cathéter de la fibrillation ou du flutter auriculaire est possible grâce à l’utilisation de cartographies électro-anatomiques et à la forte réduction des rayons X qu’elles permettent, mais elle est rarement une nécessité.
Tachycardie ventriculaire
Les femmes enceintes souffrant de troubles du rythme ou d’une cardiopathie structurelle connue ont le plus grand risque de développer également des troubles du rythme pendant la grossesse. Le nombre de femmes atteintes de cardiopathie congénitale qui tombent enceintes augmente et, avec elles, le risque de troubles du rythme malins pendant la grossesse.
Les palpitations et les extrasystoles ventriculaires sont fréquentes pendant la grossesse. Les extrasystoles ne justifient pas à elles seules un traitement. Les facteurs favorisants connus sont le tabagisme, la consommation de café, la consommation d’alcool et d’autres stimulants. Leur consommation devrait de toute façon être discutée en vue d’une grossesse. Bien que les tachycardies ventriculaires ou les fibrillations ventriculaires soient rares pendant la grossesse, les femmes souffrant d’une cardiopathie structurelle et ayant déjà subi des tachycardies ventriculaires par le passé ont un risque accru de les subir également pendant la grossesse (27%) [7]. Les cardiopathies connues entraînant un risque accru de tachycardie ventriculaire sont la cardiomyopathie hypertrophique, la cardiomyopathie péripartum, la cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène ainsi que les cardiopathies congénitales et les valvulopathies. Des infarctus du myocarde avec ou sans maladie coronarienne ont été observés pendant la grossesse et peuvent également entraîner des tachycardies ventriculaires ou des fibrillations ventriculaires. De même, un QT long ou un syndrome de Brugada ainsi que des troubles électrolytiques, des crises hypertensives ou des crises thyréotoxiques font partie des facteurs de risque.
Les patientes atteintes du syndrome du QT long bénéficient d’une protection relative pendant la grossesse, car la fréquence cardiaque au repos est plus élevée, ce qui réduit la probabilité de tachycardie ventriculaire en torsade de pointe. Cependant, la réduction de la fréquence cardiaque en post-partum et le stress supplémentaire pendant les soins au nouveau-né avec privation de sommeil peuvent à nouveau augmenter le risque de troubles du rythme [8]. Les bêtabloquants ont permis de réduire le risque de troubles du rythme malins en cas de syndrome du QT long, tant pendant qu’après la grossesse. En cas de cardiomyopathie hypertrophique, les tachycardies ventriculaires et les fibrillations ventriculaires sont relativement rares. Toutefois, le risque augmente en cas d’hypertrophie ventriculaire gauche importante et d’augmentation du gradient de pression dans la voie efférente du ventricule gauche. Les troubles du rythme malins sont également relativement rares dans la cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit. L’expérience est toutefois limitée. Là encore, l’utilisation de bêtabloquants est recommandée.
Toute tachycardie ventriculaire met potentiellement la vie en danger et doit être arrêtée dès que possible. Une cardioversion électrique est recommandée. Celle-ci ne doit être réalisée qu’avec un monitoring fœtal. L’utilisation de bêtabloquants cardiosélectifs comme le métoprolol ou même le sotalol est possible. L’amiodarone peut entraîner des effets secondaires fœtaux graves et doit être réservée aux indications d’urgence en cas d’arythmie réfractaire [9]. Il est important que les femmes enceintes présentant un risque accru de tachycardie ventriculaire aient à leur disposition des substances médicamenteuses antiarythmiques et un défibrillateur externe pendant l’accouchement.
Les femmes ayant un DAI implanté peuvent avoir une grossesse sans problème. Aucune augmentation de la fréquence des complications ou des traitements par DAI n’a été observée pendant la grossesse par rapport à la période précédant la grossesse [10]. L’expérience en matière d’ablation de tachycardies ventriculaires pendant la grossesse est très limitée. L’ablation par cathéter pourrait toutefois être tentée en cas de troubles du rythme malins et non maîtrisables, là encore en utilisant des systèmes de cartographie électro-anatomique tridimensionnelle pour minimiser l’exposition aux radiations.
Messages Take-Home
- Les troubles du rythme sont la complication cardiologique la plus fréquente pendant la grossesse. Ils sont souvent associés à une cardiopathie structurelle. Toute femme enceinte qui présente des troubles du rythme doit faire l’objet d’un examen cardiologique approfondi, y compris ECG et échocardiogramme transthoracique.
- Les troubles du rythme les plus fréquents chez les femmes sans cardiopathie structurelle sont les tachycardies supraventriculaires.
- Les bêtabloquants (métoprolol ou propranolol), la digoxine ou le vérapamil sont considérés comme relativement sûrs.
- Le traitement aigu de la tachycardie ventriculaire persistante est l’électroconversion.
- Les bradycardies sinusales peuvent exister temporairement pendant quelques jours après un accouchement normal.
- Les blocages AV de haut niveau sont souvent associés à des maladies cardiaques structurelles.
- L’indication d’un traitement par stimulateur cardiaque n’a pas changé par rapport à la population normale.
Littérature :
- Regitz-Zagrosek V, et al : ESC Guidelines on the management of cardiovascular diseases during pregnancy : the Task Force on the Management of Cardiovascular Diseases during Pregnancy of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2011 Dec ; 32(24) : 3147-3197.
- Michaëlsson M, et al. : Bloc auriculo-ventriculaire complet congénital isolé dans la vie adulte. Une étude prospective. Circulation 1995 ; 92(3) : 442-449.
- Li JM, et al. : Fréquence et résultats des arythmies compliquant l’admission pendant la grossesse : expérience d’un service obstétrique à haut volume et ethniquement diversifié. Clin Cardiol 2008 ; 31(11) : 538-541.
- Page RL, et al : 2015 ACC/AHA/HRS Guideline for the Management of Adult Patients With Supraventricular Tachycardia : A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines and the Heart Rhythm Society. J Am Coll Cardiol 2016 ; 67(13) : e27-e115.
- Kirchof P, et al. : 2016 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with EACTS. Europace 2016 ; 18(11) : 1609-1678.
- Wang YC, et al : The impact of maternal cardioversion on fetal haemodynamics. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2006 ; 126(2) : 268-269.
- Silversides CK : Taux de récurrence des arythmies pendant la grossesse chez les femmes ayant des antécédents de tachyarythmie et impact sur les résultats fœtaux et néonataux. Am J Cardiol 2006 ; 97(8) : 1206-1212.
- Rashba EJ, et al : Influence de la grossesse sur le risque d’événements cardiaques chez les patients atteints du syndrome du QT long héréditaire. Les investigateurs du LQTS. Circulation 1998 ; 97(5) : 451-456.
- Bartalena L, et al : Effects of amiodarone administration during pregnancy on neonatal thyroid function and subsequent neurodevelopment. J Endocrinol Invest 2001 ; 24 : 116-130.
- Natale A, et al : Implantable cardioverter-defibrillators and pregnancy : a safe combination ? Circulation 1997 ; 96(9) : 2808-2812.
CARDIOVASC 2018 ; 17(3) : 4-6