Les états à risque de schizophrénie sont principalement définis par des symptômes psychotiques atténués et des modifications subjectives de la perception et de la pensée. Dans un état à risque, un traitement de soutien et un monitoring sont surtout indiqués, mais pas un traitement antipsychotique. En cas de psychose manifeste, il convient de mettre en place rapidement un traitement multimodal comprenant une pharmacothérapie (avec des antipsychotiques), une psychothérapie et une rééducation, car une durée prolongée de psychose non traitée a un effet négatif sur l’évolution de la maladie et le fonctionnement quotidien des patients.
Les psychoses schizophréniques sont des maladies mentales graves qui s’accompagnent souvent d’une perte durable de la qualité de vie et des fonctions quotidiennes [1]. C’est au cours de la période qui précède et qui suit la première phase psychotique que se posent les jalons décisifs pour le développement ultérieur de la maladie [2]. La majorité des personnes atteintes présentent des symptômes non spécifiques avant l’apparition d’une schizophrénie manifeste (figure 1).
C’est à ce stade qu’intervient la détection précoce des psychoses, dans une optique de prévention secondaire. Elle s’adresse donc aux personnes déjà affectées par des symptômes et qui, de ce fait, demandent conseil et assistance. Le rôle du dépistage précoce est donc non seulement d’évaluer le risque de psychose et, idéalement, de prévenir le passage à une maladie manifeste, mais aussi de traiter les symptômes déjà présents.
Évaluation des risques
Il existe aujourd’hui des définitions bien établies des critères de risque pour évaluer le risque de psychose (tableau 1) [3]. On observe actuellement une tendance à utiliser deux approches différentes en parallèle. L’une d’entre elles a pour objectif de déterminer le risque de passage imminent à une maladie manifeste. Cet état de risque plus proche de la psychose est décrit par exemple par les critères de risque ultra-élevé. Ils sont basés sur la présence de symptômes psychotiques atténués ou sur l’apparition à court terme de symptômes psychotiques évidents qui disparaissent sans traitement spécifique. Les critères de risque ultra-élevé sont également remplis lorsqu’une baisse significative du niveau de fonctionnement se produit et qu’il existe en même temps une charge génétique liée à la psychose d’un proche ou à un trouble de la personnalité schizotypique chez le sujet lui-même. L’autre approche appréhende déjà l’état de risque “précoce” plus éloigné de la psychose. Il repose sur ce que l’on appelle les symptômes de base, qui comprennent les troubles de la pensée perçus subjectivement par les personnes concernées et les changements dans la perception de soi et de l’environnement.
Selon une méta-analyse, si les critères de risque sont remplis, les personnes concernées ont un risque d’environ 32% d’évoluer vers une maladie schizophrénique manifeste dans les trois années suivantes [4]. Mais cela signifie également qu’environ deux tiers des personnes en état de risque ne développent pas de schizophrénie manifeste dans les trois ans. Cependant, les différentes études ont montré une large dispersion des taux de transition. Il est intéressant de noter que les taux de transition étaient plus faibles dans les études plus récentes, ce qui, outre les effets de dilution dus à l’inclusion de personnes présentant un risque de psychose plus faible, peut également être interprété comme une indication du succès du traitement des personnes à risque.
Comme le montrent les taux de transition, la présence d’un état à risque n’est pas nécessairement une symptomatologie prodromique d’une maladie schizophrénique. Il existe également un grand nombre de recoupements avec d’autres maladies non psychotiques. Environ 40% des personnes en état de risque de maladie psychotique répondaient également aux critères diagnostiques d’un épisode dépressif et environ 15% à ceux d’un trouble anxieux [5]. Dans le but de réduire les symptômes, ces troubles supplémentaires doivent être traités de manière appropriée, par exemple par l’administration d’un médicament antidépresseur.
Thérapie de soutien
Selon une recommandation consensuelle actuelle, les personnes à risque devraient généralement recevoir un traitement de soutien axé sur leurs besoins individuels actuels. En outre, l’utilisation de thérapies cognitives et d’acides gras oméga-3 est jugée utile. La médication antipsychotique n’est actuellement pas recommandée dans l’état à risque, car les études actuelles ne montrent pas d’avantage pour le traitement antipsychotique, comparé à d’autres traitements ayant moins d’effets secondaires [6]. Dans certains cas, l’utilisation d’antipsychotiques peut toutefois entraîner une réduction de la charge symptomatique, même en cas d’état à risque. Un traitement médicamenteux doit être soigneusement évalué et ne doit pas être entrepris uniquement parce que les critères de risque de psychose sont remplis.
Suivi et récupération
Une autre tâche essentielle du dépistage précoce est le suivi régulier des résultats psychologiques, afin que, dans les cas où l’on ne parvient pas à empêcher l’apparition d’une maladie manifeste, un traitement approprié puisse être mis en place sans délai. Ceci est particulièrement important car une durée prolongée de psychose non traitée a un impact négatif sur le développement ultérieur des symptômes et le fonctionnement quotidien [2]. Il existe donc un consensus sur l’indication d’un traitement le plus rapide possible en cas de maladie psychotique manifeste. En ce qui concerne les objectifs du traitement, le contrôle des symptômes et la prévention des récidives ne sont plus les seules priorités aujourd’hui, mais le recovery en termes de fonction quotidienne et de qualité de vie subjective prend de plus en plus d’importance. Cela va de pair avec le développement d’approches thérapeutiques intégrées qui, outre le traitement antipsychotique, accordent une grande importance aux procédures psychothérapeutiques et de réadaptation.
Pharmacothérapie
En ce qui concerne la pharmacothérapie, il existe un consensus sur le fait qu’un traitement antipsychotique doit commencer le plus tôt possible en cas de psychose manifeste. Les particularités chez les personnes atteintes pour la première fois comprennent des taux de réponse plus élevés, même à de faibles doses, mais aussi une plus grande sensibilité aux effets secondaires. Les différentes lignes directrices internationales n’adoptent pas une position uniforme en ce qui concerne la préférence pour les antipsychotiques atypiques par rapport aux antipsychotiques typiques. Les différences d’efficacité semblent moins marquées qu’on ne le pensait [7]. Les antipsychotiques typiques entraînent plus souvent des effets secondaires extrapyramidaux moteurs, tandis que les antipsychotiques atypiques entraînent une prise de poids. En même temps, il faut noter que les antipsychotiques atypiques constituent un groupe hétérogène de médicaments. Ainsi, le guide de la “World Federation of Societies of Biological Psychiatry” donne une recommandation différenciée, basée sur des études spécifiques chez les patients atteints pour la première fois (tableau 2) [8].
Psychothérapie
Les procédures psychothérapeutiques pour les premières manifestations de la psychose comprennent différentes approches (figure 2) [9]. Un élément essentiel est la psychoéducation, dont les objectifs comprennent l’élaboration d’un concept de la maladie, la promotion de l’adhésion au traitement, la gestion de la maladie et, en fin de compte, le développement d’une perspective de vie positive. La psychoéducation est proposée sous différentes formes et dans différents cadres, un format de groupe présentant des avantages pour l’élaboration commune des thèmes.
Un autre pilier est le travail avec les proches. Il existe ici des approches qui vont de la transmission d’informations à un accompagnement des familles sur le long terme, en passant par un travail sur la communication intrafamiliale. Bien qu’il existe de bonnes preuves concernant le travail avec les proches, le choix d’interventions spécifiques au sein de ces approches reste difficile. Les interventions psychothérapeutiques au sens strict du terme ont également fait l’objet de bonnes preuves, même si presque toutes les approches basées sur la thérapie cognitivo-comportementale ont été étudiées. Outre la forme et le cadre, les études diffèrent également par leurs objectifs, qui incluent la prévention des rechutes, la gestion des symptômes persistants, l’amélioration du fonctionnement quotidien et la gestion de l’expérience de la psychose. Les études ont été menées en majorité en individuel, mais aussi en groupe, et durent généralement de 16 à 20 heures.
Réhabilitation
L’accent étant de plus en plus mis sur le fonctionnement quotidien des patients, les procédures de rééducation gagnent en importance. Il convient de préciser qu’il existe peu d’études empiriques sur ce point pour le groupe des patients psychotiques atteints pour la première fois. L’approche du supported employment, dans laquelle les patients sont accompagnés dans leur recherche directe d’emploi sur le marché du travail, puis sur le lieu de travail par un job coach, constitue une exception [10]. En Suisse, il existe de nombreuses autres offres de réadaptation professionnelle et quotidienne qui sont utilisées avec profit dans la pratique. Il serait souhaitable de procéder à une évaluation empirique plus poussée en ce qui concerne les patients atteints pour la première fois, afin de pouvoir mieux cibler de telles offres.
Conclusion
Dans l’ensemble, le domaine du dépistage et du traitement précoce des psychoses schizophréniques connaît une évolution dynamique qui suscite l’espoir que nos patients seront moins limités à l’avenir par les conséquences de ces maladies. Cette évolution rapide des diagnostics et des traitements pharmacologiques, psychothérapeutiques et de réadaptation représente également un défi difficile à relever par les différents acteurs du système de santé. Afin de pouvoir prendre en charge de manière optimale les patients à ce moment critique de leur évolution, une coopération renforcée entre les médecins libéraux, les cliniques et les établissements de rééducation sera nécessaire à l’avenir.
Bibliographie chez l’éditeur
PD Dr. med. Karsten Heekeren
PD Dr. med. Stefan Kaiser