Les chutes sont un sujet tabou pour les personnes âgées. Le médecin généraliste, en particulier, devrait donc les interroger activement et déterminer le risque futur. Il suffit pour cela de prendre des mesures simples dans la pratique.
Les chutes chez les personnes âgées sont fréquentes et constituent un événement marquant pour les personnes concernées et leurs proches. De nombreuses chutes entraînent des blessures, les plus redoutées étant les fractures du col du fémur ou encore les hémorragies cérébrales sous anticoagulation. De nombreux seniors isolés subissent un traumatisme en position allongée avec toutes ses complications ou ont peur de tomber à nouveau après une chute. Ils se replient sur eux-mêmes, bougent moins, perdent de la force musculaire et de la substance osseuse et tombent à nouveau.
La mortalité est élevée, il en résulte souvent des admissions en maison de soins et la qualité de vie est généralement négligée. De nombreux patients ne signalent pas spontanément leurs chutes par crainte d’être placés en maison de retraite. C’est pourquoi il est particulièrement important pour le médecin généraliste de poser activement des questions sur les chutes, de minimiser les causes et les facteurs de risque de chute et de motiver le patient pour une prévention des chutes.
Causes des chutes et facteurs de risque
La plupart des chutes chez les personnes âgées sont multifactorielles, c’est pourquoi il convient d’évaluer le plus grand nombre possible de causes et de facteurs de risque et de les influencer favorablement. Les chutes chez les personnes âgées sont le plus souvent ce que l’on appelle des accidents de la vie courante (31%), viennent ensuite les troubles de l’équilibre et de la marche (17%), les vertiges (13%), les “drop attacks” (9%) et la dérégulation orthostatique (3%). Les syncopes proprement dites sont plutôt rares (0,3%), bien qu’il reste probablement un grand nombre de cas non signalés. Parfois, seule une banale infection urinaire est à l’origine d’une chute, ou plus souvent encore, la réflexion intérieure sur l’entrée prochaine en maison de retraite.
A la maison, la plupart des patients chutent pendant la journée lors des “tâches ménagères” et à l’hôpital au cours de la première semaine d’hospitalisation, le plus souvent lors des transferts ou en allant aux toilettes. Avec l’âge, et en particulier en cas de déclin cognitif, ce que l’on appelle le “dual tasking” est perturbé, de sorte que le patient peut se concentrer soit sur la marche, soit sur le contrôle de la vessie.
Le tableau 1 présente les facteurs de risque les plus fréquents, avec en premier lieu une faiblesse musculaire croissante, des troubles de la marche et de l’équilibre. Le risque de chute s’accumule avec le nombre de facteurs de risque. Ainsi, le risque passe de 27% pour une cause de chute à 72% pour quatre facteurs de risque ou plus.
Médicaments et risque de chute
La prise de plus de quatre médicaments, quelle que soit la classe de substances, augmente considérablement le risque de chute. Mais des substances isolées augmentent aussi considérablement le risque, en particulier les médicaments agissant sur le système nerveux central (somnifères, antidépresseurs, antipsychotiques), les antihypertenseurs, les opiacés et les alpha-bloquants. Le débat porte sur la question de savoir si le médicament ou la maladie sous-jacente augmente le risque de chute.
Évaluation simple du risque de chute chez le médecin généraliste (screening des chutes)
Dans le cadre d’un examen annuel, le risque de chute doit être abordé et déterminé chez les patients de plus de 65-70 ans. Il existe ici quelques mesures simples et rapides qui peuvent également être mises en œuvre par une AMP. Ainsi, le fait de remettre au patient une brochure du bpa – Bureau de prévention des accidents (www.bfu.ch/de/fuer-fachpersonen/sturzprävention) pourrait déjà attirer son attention sur le sujet (p. ex. liste de contrôle d’évaluation du logement, ou exercices simples à faire chez soi). Après la mesure de la pression artérielle en position assise, il est indispensable de procéder à une mesure de la pression artérielle en position debout afin de détecter une éventuelle orthostatisme et d’en tenir compte lors du réglage de la pression artérielle.
Le test “Stop walking while talking” est très simple et rapide à réaliser : Vous accompagnez le patient pendant un moment et l’engagez dans une conversation. Si le patient s’arrête pour répondre, le “dual tasking” est limité et le patient risque de tomber. Des tests d’évaluation simples, tels que le test de la position debout sur une jambe et le test de la position debout en tandem (équilibre) ou le test Timed-Up-and-Go (force et vitesse de marche), peuvent également permettre de détecter un risque accru de chute. En outre, les médicaments des patients doivent généralement être vérifiés et ajustés si nécessaire. Il serait souhaitable de minimiser d’autres facteurs de risque de chute. Si vous le souhaitez, une évaluation complète des chutes en ambulatoire peut désormais être déléguée à de nombreuses cliniques gériatriques ou à des services ambulatoires de gériatrie.
Diagnostic après une chute
L’anamnèse (personnelle et extérieure), l’examen physique, les examens de laboratoire simples et les tests fonctionnels permettent déjà souvent de détecter les causes et les facteurs de risque de chute. Il est souvent difficile de déterminer avec précision le déroulement de la chute en raison de pertes cognitives ou d’une anamnèse difficile pour différentes raisons. Il est important de noter que même une banale “chute” est généralement due à plusieurs facteurs de risque et qu’il est nécessaire de les recenser et de les prendre en compte pour la prévention secondaire. Le tableau 2 présente une approche possible des chutes.
“La peur de tomber”
Le syndrome post-chute ou “peur des chutes” s’accompagne d’une durée d’hospitalisation et de rééducation nettement plus longue ainsi que d’une forte réduction de l’autonomie et de la qualité de vie. Elle est fréquente chez les personnes âgées, en particulier chez les patients ayant subi un traumatisme en position allongée, ayant des antécédents de chutes et présentant des troubles cognitifs. Les patients sont très anxieux et déclarent de plus en plus de douleurs, ils ne peuvent être mobilisés qu’avec beaucoup de difficultés et avec des soignants ou des thérapeutes expérimentés, ils saisissent tous les appuis qui se présentent à eux. Ce syndrome est difficile à traiter et demande surtout beaucoup de temps. Les patients ont besoin d’une kinésithérapie intensive, sans sous- ou surmenage, parfois d’entretiens de soutien psychologique et parfois d’antidépresseurs anxiolytiques.
Fibrillation auriculaire et chutes
L’anticoagulation doit en principe être bien pesée chez les personnes très âgées. Néanmoins, elle est souvent nécessaire en raison d’événements thromboemboliques survenus ou en cas de FVC permanente ou intermittente avec un score CHA2DS2-VASc ≥2. Souvent, les personnes âgées manquent de soins dans ce domaine par crainte d’une complication hémorragique, et cela concerne surtout les patients qui font des chutes récurrentes. Une analyse extrapolative a montré que les patients devraient tomber près de 300 fois par an pour que le risque de saignement grave l’emporte sur le bénéfice. Des études récentes montrent un bon rapport efficacité/risque, surtout pour les NOAC et surtout pour l’edoxaban. Un traitement par aspirine en cas de fibrillation auriculaire n’a pas d’effet positif et n’est pas recommandé.
Thérapie et prévention des chutes
Le diagnostic, le traitement et la prophylaxie ne sont pas clairement délimités dans le cas des chutes chez les personnes âgées et leur contenu se chevauche. De même, les mesures de prophylaxie primaire et secondaire sont quasiment identiques. Les principales mesures thérapeutiques et prophylactiques sont résumées dans le tableau 3 . Les mesures prophylactiques permettent de réduire le taux de chute, mais les chutes ne peuvent finalement jamais être totalement évitées. Dans certains cas, le taux de chute augmente même à nouveau lorsque des personnes auparavant immobiles redeviennent plus mobiles grâce à un entraînement ciblé. L’objectif est ici d’obtenir une bonne qualité de vie avec la plus grande autonomie possible pour les patients. La plupart du temps, les patients privilégient la liberté (sans mesures de restriction de la liberté) à la sécurité, ce qui peut entraîner des conflits au sein de la famille, les proches étant souvent inquiets. Cette situation est également souvent source d’incertitude et d’anxiété au sein des équipes de soins.
Il est donc important de prendre des mesures ciblées pour minimiser à la fois (jusqu’à un certain point) les taux de chute et surtout les conséquences des chutes.
Messages Take-Home
- Les chutes sont un sujet tabou pour les personnes âgées et devraient donc faire l’objet d’une enquête active.
- Une évaluation du risque de chute devrait être effectuée au moins une fois par an afin d’identifier les facteurs de risque et de mettre en place des mesures prophylactiques.
- Les chutes sont généralement d’origine multifactorielle et même les “simples trébuchements” doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi.
- Des mesures ciblées réduisent le taux de chute, minimisent les conséquences des chutes et contribuent à une meilleure qualité de vie des patients.
- Les chutes ne constituent pas une contre-indication à l’ACO.
Littérature complémentaire :
- Heinimann NB, et al. : Chutes chez les personnes âgées. Pratique 2014 ; 103(13) : 767-773.
- Münzer T, et al. : Détection du risque de chute et prévention des chutes au cabinet du médecin généraliste. Forum Med Suisse 2014 ; 14(46) : 857-861.
- Rubenstein LZ, et al : Détection et gestion des chutes et de l’instabilité chez les parents vulnérables par les médecins de la communauté. JAGS 2004 ; 52 : 1527-1531.
- Rubenstein LZ : Falls in older people : epidemiology, risk factors and strategies for prevention. Age Ageing 2006 ; 35(Suppl 2) : 37-41.
- Rapp K, et al : Epidemiology of falls in residential aged care : analysis of more than 70000 falls from residents of bavarian nursing homes. J Am Med Dir Assoc 2012 ; 13(2) : 187.e1-6.
- Lundin-Olsson L, et al : “Stops walking when talking” as a predictor of falls in elderly people. Lancet 1997 ; 349 : 617.
- Breitenstein A, et al. : Fibrillation auriculaire et mise à jour de l’anticoagulation 2016. médecine cardiovasculaire 2017 ; 20(1) : 3-8.
- Leipzig RM, et al. : Drugs and falls in older people : a systematic review and meta-analysis : I. Psychotropic drugs. J Am Geriatr Soc 1999 ; 47 : 30-39.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2018 ; 13(3) : 18-21