Les avantages du traitement par statine en prophylaxie secondaire ne devraient pas être systématiquement refusés aux patients âgés à risque. Les statines n’ont actuellement pas de place dans la prophylaxie primaire chez les personnes âgées. L’indication d’une réduction des lipides à un âge avancé doit être examinée attentivement, en tenant compte de la situation individuelle et des objectifs personnels du patient. Il est recommandé de commencer le traitement à faible dose et d’adapter progressivement la dose en surveillant les effets secondaires potentiels. L’arrêt éventuel du traitement par statine doit être évalué régulièrement.
L’espérance de vie a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, et la proportion de personnes très âgées augmente de manière disproportionnée. Ainsi, selon un scénario tendanciel de l’Office fédéral de la statistique, le nombre de personnes de plus de 90 ans en Suisse devrait plus que doubler d’ici 20 ans. On estime également que parmi les enfants actuellement en vie, un sur deux atteindra l’âge de 100 ans. Il s’agit de l’âge auquel la personne concernée atteindra l’âge de 50 ans.
Aujourd’hui, de nombreuses maladies peuvent être traitées mais ne peuvent pas être guéries, c’est pourquoi il y a de plus en plus de personnes atteintes de maladies chroniques. Dans une situation de grand âge, de polymorbidité et de polypharmacie, il est légitime de se demander ce qui doit être traité et dans quelle mesure. Normalement, nous consultons ici des guidelines basés sur des preuves. Malheureusement, les preuves sont extrêmement minces dans le segment du grand âge, car il y a encore trop peu d’études pour cette population. Les guidelines des différentes sociétés de discipline médicale sont généralement basées sur des études qui n’incluent pas les patients gériatriques polymorbides. Les examens et les traitements sont donc généralement très personnalisés et adaptés aux objectifs de chaque patient.
Âge et statut lipidique
Les maladies cardiovasculaires augmentent avec l’âge et sont la première cause de mortalité. L’hypercholestérolémie est l’un des facteurs de risque cardiovasculaire classiques, avec l’âge, l’hypertension artérielle, le tabagisme et le diabète. Le métabolisme des lipides évolue avec l’âge : de l’adolescence à la cinquantaine, le taux de LDL-cholestérol augmente continuellement, puis atteint une phase de plateau avant de diminuer légèrement à un âge plus avancé.
Chez les personnes âgées, l’activité des récepteurs LDL est réduite, le transport inverse du cholestérol est limité et la taille et la fonctionnalité des particules LDL et HDL sont toutes deux modifiées. En cas de malnutrition, ce qui est fréquent chez les personnes âgées, le taux de LDL diminue également. Ainsi, à un âge avancé, de petites doses de statines suffisent pour obtenir un effet. Un faible taux de HDL-cholestérol est également associé à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire pouvant aller jusqu’à deux fois chez les patients >85 ans. À un âge avancé, l’étendue et l’instabilité des plaques d’athérosclérose augmentent, de sorte que l’effet stabilisateur des statines sur les plaques pourrait être particulièrement bénéfique.
Mesures visant à réduire les lipides
En novembre 2014, l’American Heart Association et l’American College of Cardiology ont publié de nouvelles lignes directrices sur le traitement des lipides. Dans ce contexte, les statines restent le moyen de premier choix pour réduire le risque cardiovasculaire. Les valeurs cibles de LDL visées jusqu’à présent passent toutefois au second plan. Désormais, c’est le risque initial qui est pertinent pour la décision thérapeutique. Comme ce profil de risque a été développé pour la population américaine et que le score de risque n’a pas encore été validé pour l’Europe, les sociétés savantes suisses continuent de s’en tenir aux valeurs cibles de LDL actuellement en vigueur dans les lignes directrices ESC/EAS. Il n’y a pas d’adaptation des valeurs en fonction de l’âge : pour les patients à haut risque (maladie cardiovasculaire connue, diabète de type 2), la valeur cible du LDL est <70 mg/dl, pour les patients à risque (profil cardiovasculaire à haut risque) <100 mg/dl, pour un risque modérément élevé <115 mg/dl. Une maladie cardiovasculaire inclut principalement la maladie coronarienne, l’état après un infarctus du myocarde et l’état après un accident ischémique.
Pour les personnes âgées, il existe des données probantes sur l’efficacité d’un traitement médicamenteux hypolipémiant, principalement issues d’études de statines. Les fibrates ne doivent pas être utilisés chez les personnes âgées, car aucune preuve d’efficacité n’a été apportée à ce jour pour cette catégorie d’âge.
Même à un âge avancé, les interventions sur le mode de vie et les recommandations nutritionnelles sont considérées comme des piliers thérapeutiques importants dans le traitement de l’hyperlipidémie. Le régime méditerranéen, en particulier, a été bien étudié dans ce contexte et montre une réduction des événements cardiovasculaires chez les patients âgés de 70 à 90 ans. Il convient toutefois de noter qu’à un âge avancé, les recommandations diététiques strictes sont à éviter, car le risque de malnutrition est élevé.
Effets secondaires et interactions
Les effets secondaires d’un traitement par statine sont souvent importants et peuvent réduire considérablement la qualité de vie. Il s’agit principalement de myopathies, de flatulences, du déclenchement d’un délire et d’une réduction de la force musculaire entraînant des chutes. Les effets secondaires musculaires sont dose-dépendants et se manifestent par des douleurs musculaires, une augmentation de la créatine phosphokinase et, rarement, une rhabdomyolyse. Les patients souffrant d’hypothyroïdie, d’insuffisance rénale ou de faible poids corporel présentent un risque accru de myopathie. L’insuffisance hépatique est rarement observée, mais l’arrêt de la statine est recommandé lorsque les taux de transaminases sont multipliés par trois et que les autres causes d’augmentation des transaminases sont exclues. Il existe en outre des indications selon lesquelles le risque de diabète de type 2 augmente légèrement sous traitement par statine.
Suite à une interaction médicamenteuse, la concentration plasmatique de la statine peut augmenter. C’est notamment le cas lorsque le vérapamil, le diltiazem et l’amiodarone sont associés à des statines qui sont métabolisées par le mécanisme du cytochrome P-450 (atorvastatine, simvastatine, lovastatine, fluvastatine). Pour les statines mentionnées, il faut également éviter de les associer au jus de pamplemousse et au millepertuis. L’association de la simvastatine avec des antibiotiques macrolides, le kétoconazole, la ciclosporine, le gemfibrozil et les inhibiteurs de la protéase du VIH est contre-indiquée.
Niveau de preuve
En ce qui concerne la réduction des événements cardiovasculaires, les résultats des études sur l’efficacité du traitement par statine sont également disponibles pour les personnes âgées. L’avantage en termes de réduction du risque cardiovasculaire concerne surtout la prévention secondaire, et plus particulièrement les hommes, car hormis dans l’étude PROSPER, les femmes étaient nettement sous-représentées. L’étude prospective randomisée et contrôlée PROSPER (“Pravastatin in elderly individuals at risk of vascular disease”) a été la première à évaluer la pravastatine 40 mg par jour contre placebo chez 5804 patients âgés (70-82 ans). Après une période d’observation moyenne de 3,2 ans, le groupe de traitement actif a enregistré une réduction de 34% du taux de cholestérol LDL, une réduction de 19% du taux d’infarctus du myocarde et de décès d’origine cardiovasculaire et une réduction de 24% de la mortalité cardiovasculaire.
Dans une méta-analyse d’Afilalo et al. un total de 19 569 patients âgés de 65 à 82 ans ont été regroupés à partir de neuf études d’intervention. Dans ce cas, le traitement par statine a entraîné une réduction de la mortalité globale par rapport au placebo. 28 personnes doivent être traitées pendant cinq ans pour sauver une vie. Les études montrent également qu’en ce qui concerne la prévention secondaire des AVC, les statines permettent d’éviter les accidents ischémiques, mais ont tendance à augmenter la fréquence des accidents hémorragiques. En ce qui concerne l’artériopathie périphérique, le traitement par statine permet d’améliorer la distance de marche sans douleur et de réduire la mortalité postopératoire lors d’interventions vasculaires périphériques.
L’influence des statines sur l’état général, les fonctions cognitives et la dépendance des personnes âgées a également été étudiée. Il existe peu d’études à ce sujet et les résultats sont contradictoires. Les directives actuelles des sociétés savantes internationales, telles que celles de l’ESC/EAS, font référence à l’indication du traitement par statine chez les personnes âgées (tableau 1).
Procédure pratique
Les personnes âgées de 65 à 82 ans peuvent bénéficier d’une réduction des lipides au même titre que les plus jeunes. Il n’existe pas de données suffisantes pour les femmes, les patients de plus de 82 ans et la réduction des lipides en prévention primaire. Des études ont montré le meilleur effet chez les patients atteints de coronaropathie (ici surtout chez les hommes) et dans la prévention secondaire de l’attaque cérébrale ischémique. De même, l’utilisation de statines après un syndrome coronarien aigu est utile, en particulier pour une durée limitée après une intervention. Une aide à la décision possible en fonction de l’âge et des preuves est présentée dans le tableau 2.
En général, chez les patients âgés et multimorbides, polypharmacie et diverses limitations bio-psycho-sociales, il faut toujours décider au cas par cas si le traitement hypolipémiant est judicieux, s’il est toléré et si l’effet est perceptible. (Fig.1). Une évaluation gériatrique peut être utile pour décider du traitement ; il est également important de demander au patient quels sont ses objectifs. Lorsqu’un traitement par statine est indiqué à un âge avancé, de faibles doses suffisent pour obtenir une réduction des lipides.
Quand arrêter les statines ?
Une évaluation du traitement par statine est certainement utile lors de l’entrée en maison de retraite, si l’espérance de vie est inférieure à cinq ans ou si des effets secondaires apparaissent. De même, le traitement hypolipémiant doit toujours être arrêté s’il n’y a pas d’indication, par exemple la prophylaxie primaire chez les personnes âgées de >80 ans. L’interruption du traitement par statine à la phase aiguë d’un AVC ischémique est associée à un risque accru de décès ou d’invalidité neurologique dans les 90 jours. Par conséquent, le traitement par statine doit être poursuivi en continu au stade aigu d’un AVC.
Littérature complémentaire :
- Petersen LK, et al : Lipid-lowering treatment to the end ? A review of observational studies and RCTs on cholesterol and mortality in 80+-year olds. Age and Ageing 2010 ; 39 : 674-680.
- Lechleitner M : Traitement hypolipémiant chez les patients gériatriques. Z Gerontol Geriat 2013 ; 46 : 577-587.
- Hansbauer B : Les statines chez les personnes âgées. Z Allg Med 2012 ; 88(9) : 339-340.
- Miettinen TA, et al : Cholesterol-lowering therapy in women and elderly patients with myocardial infarction or angina pectoris : findings from the Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Circulation 1997 ; 96 : 4211-4218.
- MRC/BHF Heart Protection Study of cholesterol lowerin with simvaststin in 20536 high-risk individuals : a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2002 ; 360 : 7-22.
- Sheperd J, et al : Pravastatin in elderly individuals at risk of vascular disease (PROSPER) : a randomised controlled trial. Lancet 2002 ; 360 : 1623-1630.
- Afilalo J, et al : Statins for secondary prevention in elderly patients : a hierarchical bayesian meta-analysis. J Am Coll Cardiol 2008 ; 51 : 37-45.
- Perk J, et al : European guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice (version 2012). Eur Heart J 2012 ; 33 : 1635-1701.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(3) : 11-13