Plus le diagnostic est précis, plus le traitement est efficace. Ce principe s’applique également au domaine de la psychiatrie. Mais le chemin vers un diagnostic précis est encore long. Les méthodes de diagnostic actuelles sont principalement basées sur le tableau clinique. Cependant, l’objectif des thérapies futures est de définir un traitement sur mesure grâce à la mesure de biomarqueurs, tels que les facteurs physiologiques, génétiques et métaboliques, qui peuvent répondre aux caractéristiques individuelles du patient. Cela devrait permettre d’augmenter la réponse au traitement jusqu’à la rémission des symptômes dans les épisodes aigus de la maladie et en prévenant les récidives, et d’améliorer la tolérance. Une interaction entre les thérapies pharmacologiques, la psychoéducation et la psychothérapie est impérative pour obtenir un résultat thérapeutique optimal.
La mélancolie en tant que pathologie, connue de nos jours sous le nom de dépression, survient lorsque les quatre humeurs du corps – le sang, le mucus, la bile jaune, la bile noire – sont déséquilibrées et que la bile noire, brûlée, domine. C’est du moins ainsi que le concevait Hippocrate de Kos (460 av. J.-C.), le fondateur de l’ancienne pathologie humorale, également connue sous le nom de théorie des quatre humeurs. Galien de Pergame (130 apr. J.-C.) a repris cette idée et a développé la théorie des tempéraments, un modèle de personnalité dérivé de la pathologie humorale. Celui-ci divise l’être humain en quatre tempéraments selon sa nature fondamentale, qu’il met en relation avec les quatre humeurs du corps (Fig.1). Selon sa théorie, l’équilibre de ces jus est synonyme de santé, tandis qu’un déséquilibre entraîne des maladies. Dans ses recherches, il a cherché à identifier les facteurs qui prédisposent l’homme à certaines maladies. Son interprétation de la pathologie humorale a eu des répercussions en tant que concept de maladie jusqu’au XIXe siècle.
C’est par ce bref historique du concept de dépression que le président, le professeur François Ferrero de Genève, a accueilli les participants au petit-déjeuner symposium sur le thème “Que doit faire la médecine personnalisée en psychiatrie ?” à l’occasion du congrès annuel de la Société suisse de psychiatrie et de psychothérapie (SSPP), le 4 septembre 2015 à Berne.
Systèmes de classification des maladies mentales
Les efforts visant à classifier les différents troubles mentaux de manière plus détaillée et plus différenciée sur le plan biologique sont également en cours dans le domaine de la psychiatrie. Depuis des années, les chercheurs se penchent sur la question de savoir quels sont les critères obligatoires pour définir la dépression. Les classifications internationales DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) et CIM-10 (International Classification of Diseases) ne permettent pas encore d’entrer dans l’ère de la médecine personnalisée. Les connaissances insuffisantes sur l’étiologie de la dépression et d’autres maladies mentales constituent encore une limite à cet égard. Pour le résoudre, la médecine personnalisée tente de s’appuyer sur de nouvelles connaissances issues de la biologie moléculaire, de la génétique, de la neurocognition, de l’imagerie cérébrale et d’autres biomarqueurs.
Influence de la médecine personnalisée sur le diagnostic et le traitement
La médecine personnalisée, ou médecine de précision, comme on l’appelle aussi aujourd’hui, a pour objectif d’augmenter la précision avec laquelle les patients sont diagnostiqués puis traités. Le concept de diagnostic de la dépression , actuellement très généralisé, doit être divisé en sous-groupes fondés sur la neurobiologie et permettre ainsi un traitement plus individuel et plus ciblé. Cela ouvre de nouvelles perspectives fascinantes et permet de mieux traiter l’individu dans sa singularité par des approches de traitement biologiques, psychologiques et sociales.
Le thème du traitement pharmacologique et psychothérapeutique individualisé en cas de dépression est l’un des axes de recherche du groupe du professeur M.E. Keck à l’Institut Max Planck de psychiatrie à Munich. Le Dr Stefan Kloiber, chef de clinique et collaborateur scientifique à l’institut, a présenté les résultats actuels de la recherche à l’occasion de ce symposium.
La dépression – un défi pour la classification
En Allemagne, on estime à environ 4 millions le nombre de personnes souffrant de dépression nécessitant un traitement, dont seulement 10% bénéficient d’une thérapie adéquate. Selon l’Enquête suisse sur la santé (ESS), 5,2% de la population suisse souffre d’un trouble dépressif et seule une petite partie des personnes dépressives recensées seraient orientées vers un traitement psychiatrique spécialisé [1]. Ce déficit diagnostique et thérapeutique dans la dépression exige une nette amélioration dans la pratique clinique quotidienne. Le diagnostic psychiatrique, qui repose uniquement sur l’observation clinique et les symptômes décrits par les patients, n’est pas encore lié aux mécanismes biologiques de la maladie.
Les défis posés par les maladies dépressives sont évidents : la dépression est posée comme une construction diagnostique globale de différents symptômes psychiques et physiques, combinés de différentes manières. En réalité, la dépression recouvre des mécanismes pathologiques différents avec des constellations de symptômes également différentes. De plus, seule une partie des patients traités répondent aux thérapies actuellement disponibles. Un diagnostic plus précis, permettant de caractériser ou d’identifier des sous-types spécifiques, est donc hautement souhaitable. Quels prédicteurs peuvent être identifiés pour une réponse positive à un traitement et quels sous-groupes de patients bénéficient le plus des différentes interventions thérapeutiques ? De nouvelles approches thérapeutiques et des thérapies individualisées sont nécessaires, ce qui peut être réalisé grâce à un meilleur transfert entre la recherche fondamentale et les nouvelles stratégies thérapeutiques cliniques.
La prédisposition individuelle détermine le succès du traitement
Dans le cadre d’un traitement médicamenteux, la pharmacocinétique est un facteur clé de succès. Les médicaments ingérés sont absorbés par l’intestin, métabolisés par le foie et acheminés vers les organes cibles via la circulation sanguine. Comme les antidépresseurs agissent dans le cerveau, ils doivent franchir la barrière hémato-encéphalique après avoir été métabolisés dans le foie. C’est là que se trouvent des protéines de transport spéciales (p. ex. la glycoprotéine P) qui ramènent activement différentes substances, dont plusieurs psychotropes, du système nerveux central vers le sang. Selon les dernières découvertes, une activité accrue de la glycoprotéine P pour des raisons génétiques pourrait avoir pour conséquence une concentration insuffisante du principe actif dans le cerveau en raison d’une augmentation du transport de retour, ce qui pourrait entraîner une moins bonne réponse au médicament administré. En fonction de la connaissance de l’activité de ce gène, on pourrait par exemple envisager une thérapie à haute dose. La détermination des variantes génétiques de la glycoprotéine P (gène ABCB1) ainsi que d’autres informations biologiques pourraient permettre aux stratégies thérapeutiques pharmacologiques personnalisées d’aboutir.
Actuellement, les lignes directrices de traitement courantes utilisent différentes stratégies, telles que la détermination de la concentration de l’agent dans le sang et différentes escalades du traitement pharmacologique, lorsqu’un patient présente une réponse insuffisante au traitement par un antidépresseur seul. Un génotypage supplémentaire des variants du gène ABCB1 pourrait permettre, grâce à l’indication ainsi obtenue sur l’activité de la glycoprotéine P, de choisir un traitement plus personnalisé et d’adapter la posologie (Fig. 2).
Les variants génétiques et l’épigénétique comme critères de différenciation dans l’établissement du diagnostic
Le Dr Stefan Kloiber a ensuite montré comment le stress chronique peut déclencher des maladies psychiques et comment une prédisposition génétique individuelle joue un rôle essentiel dans l’apparition et l’évolution de la maladie. En l’absence de normalisation du test Dex-CRH, il a été montré que les patients qui présentaient encore des taux élevés d’hormones de stress à leur sortie de l’hôpital avaient un taux de récidive de 43% dans les six mois, contre 8% pour les patients dont les taux d’hormones de stress étaient normalisés [2]. Des études ont montré que le système hormonal du stress, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (système HPA), est plus ou moins vulnérable au cours de la vie. L’une des raisons de cette différence de résilience a pu être attribuée à des facteurs épigénétiques. Des expériences sur des animaux ont montré qu’une faible attention maternelle entraînait une méthylation accrue et, par conséquent, une répression du gène du récepteur des glucocorticoïdes (GR), ce qui entraînait une résistance à la rétroaction négative ou une hyperactivité de l’axe des hormones de stress [3,4]. Inversement, les expériences positives pourraient entraîner une amélioration du système d’hormones de stress.
Un facteur important de la régulation du stress est la protéine FKBP5. Il se lie aux récepteurs des glucocorticoïdes et influence ainsi leur activité et donc l’ensemble du système hormonal du stress. Des scientifiques de l’Institut Max Planck ont découvert qu’en présence de certaines variantes génétiques, le gène FKBP5 peut être modifié épigénétiquement après un traumatisme dans l’enfance. Cela entraîne par la suite une mauvaise régulation de l’axe des hormones du stress, ce qui augmente le risque de dépression ou de trouble anxieux à l’âge adulte [5–7]. C’est pourquoi les chercheurs tentent de développer des stratégies pharmacologiques pour influencer le FKBP5, afin de pouvoir éventuellement traiter à l’avenir de manière individuelle et précoce les personnes ayant subi des traumatismes dans l’enfance et présentant une variante défavorable du gène FKBP5 (fig. 3).
Les concepts de staging aident à la classification et au traitement des troubles bipolaires
La stratification des patients et les facteurs diagnostiques sont des éléments essentiels pour la décision thérapeutique chez les patients atteints de troubles bipolaires, comme l’a souligné le professeur Jean-Michel Aubry de l’Université de Genève dans sa présentation.
Les troubles bipolaires se caractérisent par une grande hétérogénéité avec de nombreux sous-types différents. La prévalence est de 2-3% si l’on prend en compte tous les sous-types du spectre bipolaire. Il va des troubles de l’humeur normaux au trouble bipolaire de type I, qui se caractérise également par des variations considérables du nombre de rechutes et de la qualité de la rémission après chaque épisode (Fig. 4).
Pour classer les différents stades des troubles bipolaires, le concept de staging a été développé il y a une dizaine d’années et différents modèles ont été élaborés depuis lors, qui suscitent actuellement un grand intérêt [9]. L’un des objectifs communs de ces modèles est de mieux sélectionner à l’avenir les traitements pharmacologiques et psychothérapeutiques dans la pratique clinique quotidienne. Ainsi, une étude a montré que, dès aujourd’hui, les patients de stade I se voient plus souvent prescrire des monothérapies, tandis que les patients de stade II reçoivent une combinaison de deux molécules et que les patients des stades III et IV se voient plus souvent administrer une polypharmacie comprenant au moins trois psychotropes [10]. Par ailleurs, ces modèles de staging doivent aider à sélectionner des interventions psychothérapeutiques et pharmacologiques spécifiques à chaque stade.
Diagnostic à l’aide de biomarqueurs
Afin de mieux caractériser la maladie des troubles bipolaires, la recherche porte aujourd’hui sur différents biomarqueurs. Plusieurs biomarqueurs ont été étudiés par le passé, tels que les marqueurs épigénétiques, les marqueurs immuno-inflammatoires, les endophénotypes cognitifs, les marqueurs du sommeil et les marqueurs circadiens, ainsi que l’imagerie cérébrale, mais aucun marqueur n’est encore suffisamment sensible et fiable pour permettre de tirer des conclusions plus précises sur la maladie. La spécificité et la sensibilité des biomarqueurs potentiels doivent encore être fortement affinées pour qu’ils puissent être utilisés pour préciser les différents stades de développement des troubles bipolaires.
La durée de la maladie et le début du traitement influencent le succès du traitement
L’ancienneté de la maladie et les antécédents semblent être des facteurs essentiels pour la réussite du traitement. Une étude de Kessing et al. a pu montrer que le fait de commencer un traitement au lithium le plus tôt possible dans l’évolution de la maladie augmente la probabilité de réponse au lithium [11]. De même, le nombre d’épisodes semble déterminant pour le succès du traitement : la réponse au traitement est meilleure si moins de cinq épisodes ont eu lieu avant le premier traitement, alors que si plus de dix épisodes ont eu lieu, l’efficacité du traitement était moindre [12].
En ce qui concerne la psychoéducation, le tableau est similaire ; là encore, l’efficacité du traitement dépend fortement de la progression de la maladie ; une étude suggère que moins de sept épisodes antérieurs constituent la limite entre la réponse et la non-réponse à la psychoéducation [13]. Ainsi, ces études soutiennent également l’idée d’une intervention précoce après l’établissement du diagnostic.
Perspectives
Outre toutes les nouvelles connaissances en matière de génétique, d’épigénétique, de psychoéducation, de psychothérapie et de traitement médicamenteux, tous les intervenants ont souligné à la fin du symposium l’importance de la collaboration entre le médecin et le patient – la participation active du patient et l’adhésion au traitement qui en découle ont une grande valeur thérapeutique.
Take home messages
- L’objectif de la médecine personnalisée/de précision est d’améliorer la précision du diagnostic et de la thérapie qui s’ensuit.
- La médecine personnalisée s’appuie sur de nouvelles connaissances en biologie moléculaire, en génétique, en neurocognition, en imagerie cérébrale et autres biomarqueurs.
- Les variantes du gène FKBP5 peuvent influencer différemment le risque de dépression ou de trouble anxieux à l’âge adulte après un traumatisme dans l’enfance.
- Les différents stades des troubles bipolaires sont classés par staging afin d’adapter les interventions pharmacologiques et psychothérapeutiques en conséquence.
- La durée de la maladie et les antécédents sont essentiels à la réussite du traitement des troubles bipolaires.
- La participation active du patient et l’adhésion au traitement qui en découle ont une grande valeur thérapeutique.
Source : Congrès annuel de la Société suisse de psychiatrie et de psychothérapie (SSPP), 2-4 septembre 2015, Berne
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