Lors de la prise en charge de toxicomanes souffrant de maladies somatiques, la question est souvent de savoir quel professionnel de la santé doit assumer quelles tâches. En principe, la réponse est que chacun fait ce qu’il peut. Le médecin généraliste a cependant un rôle central à jouer, car les patients ne respectent souvent pas les rendez-vous avec les spécialistes et les procédures prévues ne peuvent donc pas être effectuées. Si possible, il devrait y avoir une personne de référence centrale qui s’occupe de tout. L’évolution clinique est souvent plus importante que le diagnostic lui-même. L’identification des “red flags” et une stratégie prudente de “watchful waiting” sont essentielles à cet égard. Prudence et retenue lors du sevrage des opiacés : le manque de tolérance et de sommeil entraîne rapidement la mort en cas de rechute.
La toxicomanie est souvent associée à des maladies somatiques (tableau 1). La plupart des pathologies sont également connues des patients non toxicomanes. La dépendance et souvent les comorbidités psychologiques posent toutefois des défis particuliers et il faut souvent s’écarter de la voie diagnostique et thérapeutique habituelle pour obtenir des résultats.
Le plus important est certainement qu’un patient souffrant d’un grave problème somatique puisse obtenir une aide médicale. Il n’est pas rare que les patients toxicomanes fuient la salle de consultation et préfèrent nous présenter leurs résultats ou symptômes avant même de franchir la porte. Un premier triage visant à identifier les “red flags” devrait donc être effectué le plus rapidement possible et à bas niveau. Lorsque l’on renvoie à la procédure normale avec prise de rendez-vous, des diagnostics importants sont souvent manqués ou posés trop tard (par ex. spondylodiscite), car les patients ne viennent pas.
Pathologies – Quand est-il utile de faire appel à des spécialistes ?
Les pathologies sont très variées et la multimorbidité est la règle. La question “qui fait quoi ?” se pose ici avec une acuité particulière. Le recours à des spécialistes conduit souvent à des expériences frustrantes pour tout le monde, car les délais et la procédure proposée ne peuvent pas être respectés. Dans la pratique, il est préférable que le patient ait une personne de référence qui s’occupe de tous les problèmes.
Dans cette situation, il est particulièrement important que le médecin généraliste se fasse lui-même le plus rapidement possible le “spécialiste” des pathologies présentées par le patient et qu’il tente de mettre au point une procédure adaptée aux besoins et aux possibilités. Les connaissances en matière de travail social et leur application sont également importantes.
On peut donc répondre à la question “Qui fait quoi ?” par “Chacun fait ce qu’il peut”. Dans ce contexte, il est important de répondre à la question du “savoir-faire” non pas par un certificat de capacité, mais par la question posée. Par exemple, l’échographie demande beaucoup d’expertise lorsqu’on s’interroge sur les malformations fœtales. Chez une femme souffrant d’une maladie du foie et se plaignant d’un ventre soudainement gros, le diagnostic différentiel entre ascite, grossesse et ventre gras peut toutefois être décidé avec un vieil appareil et par une personne peu expérimentée. Il n’est pas non plus nécessaire de faire appel à un cardiologue pour mesurer l’intervalle QTc chez un patient sous méthadone présentant des syncopes douteuses.
Contrairement à une évaluation policlinique, nous ne devons souvent pas poser de diagnostic, mais simplement ne pas passer à côté de quelque chose de grave. Une stratégie de watchful waiting nous permet d’attendre l’évolution spontanée, généralement favorable. De nombreux examens peuvent ainsi être évités. Il est important de bien connaître le patient et d’établir une relation de confiance. La distance appropriée dans la relation est également essentielle. Même s’il est généralement préférable de rester sur le “vous”, une bonne relation respectueuse peut s’établir.
Dans le cas de la veille, l’accessibilité est justement centrale. Les images transmises par smartphone sont souvent utiles. Lorsqu’un patient a atterri en urgence dans une clinique, de brefs appels téléphoniques avec le médecin de la clinique sont très utiles, surtout en cas de problèmes complexes. D’après mon expérience, la communication du numéro de téléphone portable privé est rarement utilisée de manière abusive.
Bien que les troubles de la toxicomanie fassent partie des maladies mentales, les patients toxicomanes ne sont que rarement pris en charge par des psychiatres travaillant en ambulatoire et sont en grande partie traités par des médecins généralistes ou, dans les villes, par des centres spécialisés. De brefs entretiens réguliers – par exemple à l’occasion de la remise personnelle de médicaments de substitution – sont utiles et les problèmes psychiques ou somatiques peuvent être détectés à un stade précoce.
VIH et hépatite
Le traitement du VIH et de l’hépatite a fait d’énormes progrès au cours des dernières décennies et est devenu beaucoup plus simple. En particulier, la poursuite d’un traitement anti-VIH établi peut être bien gérée par un médecin généraliste expérimenté. Le plus important est que le patient ait accès à un traitement et qu’il le prenne.
En raison de son coût élevé, le traitement de l’infection par le VHC constitue actuellement un problème de santé publique plutôt qu’un problème médical. Comme les coûts des médicaments sont en grande partie liés au développement et non à la production, comme c’est le cas pour les logiciels, les approches consistant à traiter tous les patients porteurs de l’ARN du VHC vs. seulement ceux menacés par la cirrhose seraient théoriquement aussi coûteuses. Le traitement de tous les patients positifs à l’ARN du VHC aurait des avantages épidémiologiques. Les nouveaux médicaments sont si efficaces, pratiques à prendre et ne présentent que peu d’effets secondaires que le traitement ne nécessite pratiquement plus d’expertise spécifique par rapport aux anciennes thérapies à base d’interféron.
Abcès de seringue
Dans le cas de l’abcès de seringue (Fig. 2) , il est très important de choisir le bon moment pour pratiquer l’incision par piqûre. Une fluctuation doit déjà être palpable, mais la peau qui la recouvre ne doit pas encore être amincie au point de se transformer en ulcère. Il suffit généralement d’une petite incision avec mise en place d’une mèche après application d’un spray réfrigérant. L’administration préalable d’antibiotiques (généralement de la co-amoxicilline 2× 1 g) doit être envisagée, surtout en cas de fièvre et de processus phlegmoneux diffus.
Endocardite
L’endocardite du cœur droit doit être évoquée, surtout en cas d’abus de cocaïne par voie intraveineuse. Un état général réduit, une fièvre septique, une CRP/leucose élevée et éventuellement des bruits cardiaques récemment apparus sont des éléments d’orientation. Il n’est cependant pas rare que l’endocardite ne soit découverte que par l’apparition de métastases septiques à la radiographie du thorax. Le risque de récidive de l’endocardite est très élevé en cas d’endocardite anamnestique. Il est souvent difficile d’administrer un traitement adapté à la résistance pendant la durée proposée par les infectiologues. Il faut faire attention aux interactions avec la substitution (par ex. Rimactan® – méthadone) et adapter la dose.
Ostéomyélite
Une gonarthrite septique purulente n’offre généralement pas de difficultés dia-gnostiques en raison de la triade classique Rubor- Dolor-Calor. La coxite est déjà plus discrète et la douleur inguinale parfois trompeuse. La douleur par choc axial lors d’un coup sur la plante du pied est typique.
La spondylodiscite (figure 3) reste souvent longtemps oligosymptomatique et est parfois difficile à distinguer du lumbago. Un besoin chronique d’analgésiques, une dolence locale à la palpation/pression et une CRP élevée sont des signes précurseurs.
Pneumonie
Les pneumonies sont assez fréquentes (bronchite chronique, tenue vestimentaire non adaptée à la saison, position allongée intoxiquée). Une fièvre supérieure à 38 degrés ainsi que des douleurs thoraciques et un mauvais état général orientent le diagnostic. Souvent, une pneumonie peut être traitée en ambulatoire ou une hospitalisation est refusée – par exemple à cause des animaux domestiques. Une radiographie peut bien sûr être utile, mais elle n’est pas toujours réalisable pour diverses raisons. En cas de traitement antibiotique – en particulier avec l’azithromycine – il faut faire attention à l’intervalle QTc, car celui-ci est souvent déjà fortement augmenté avant le début du traitement (par exemple par la méthadone plus la quétiapine®).
Maladies de civilisation
L’âge moyen des patients toxicomanes ayant heureusement fortement augmenté au cours des dernières décennies, la prévalence des “maladies de civilisation” ordinaires a également fortement augmenté.
La prise de poids associée à un syndrome métabolique est fréquente. Les médicaments psychotropes et le manque d’activité physique sont également responsables de cette situation. La consommation de tabac à long terme – presque obligatoire – s’accompagne souvent d’une BPCO et, surtout chez les femmes héroïnomanes, d’une ostéoporose due à l’aménorrhée provoquée par l’héroïne. Suivre toutes les recommandations médicamenteuses et autres des sociétés savantes n’est guère possible, même pour des patients psychologiquement robustes.
Le principal danger est la polypragmasie médicamenteuse, lorsqu’un nouveau médicament est ajouté à chaque nouveau symptôme (souvent des effets secondaires médicamenteux !). Il faut donc identifier et traiter les principaux facteurs de risque et vérifier que le patient est capable de prendre tous ces médicaments. Souvent, dans les situations inextricables, un “reset médicamenteux” avec des “drug holidays” est également utile.
Intoxications
Heureusement, le nombre de “morts de la drogue” classiques dues à des intoxications aiguës aux opiacés a considérablement diminué au cours des dernières décennies avec la large utilisation des traitements de substitution. Néanmoins, parmi les intoxications mortelles, l’intoxication aiguë aux opiacés reste la plus fréquente. La période qui suit un sevrage des opiacés est très critique en cas d’absence de tolérance, raison pour laquelle ce sevrage, s’il a lieu, ne peut être recommandé que de manière très progressive. La mort lors d’une rechute aux opiacés survient souvent de manière insidieuse pendant le sommeil.
Violence
La violence est malheureusement un phénomène concomitant fréquent, avec des situations victimes-agresseurs complexes. L’accusation est souvent compliquée par des problèmes socioculturels et amnésiques, par exemple en cas d’abus de midazolam (figure 4).
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2015, 13(5) : 4-7