Le tableau clinique d’une fièvre hémorragique virale (FHV) est le plus souvent non spécifique (syndrome grippal) et difficile à distinguer d’autres maladies infectieuses courantes. Pour l’évaluation des risques, la définition de cas des différentes FHV est un moyen nécessaire pour identifier ces maladies. L’anamnèse du voyageur est essentielle pour inclure ou rejeter la FVH dans le diagnostic différentiel. Un contact rapide avec le service du médecin cantonal ou le centre de référence en infectiologie est indispensable pour une prise en charge optimale en cas de suspicion de FHV transmise de personne à personne. Un équipement de protection individuelle (EPI) est nécessaire pour chaque contact du patient avec un cas suspect, avec pour objectif de couvrir au maximum la peau et les muqueuses.
Le terme de fièvre hémorragique virale (FHV) englobe le tableau clinique commun de différentes maladies causées par des virus. Il s’agit notamment des Filoviridae (fièvre Ebola, fièvre de Marburg), des Arenavirus (fièvre de Lassa), des Bunyaviridae (fièvre de Crimée-Congo, fièvre de la vallée du Rift, maladie à hantavirus) et des Flaviviridae (fièvre jaune, dengue). Hormis le virus de la dengue, tous les virus ont leur origine dans le règne animal, les tableaux cliniques correspondants font donc partie des zoonoses. Les arthropodes sont en partie responsables de la transmission, par exemple les moustiques (virus de la fièvre jaune, virus de la dengue, virus de la vallée du Rift) et les tiques (virus Crimée-Congo). Cependant, la transmission se fait beaucoup plus souvent par contact direct avec des personnes ou des animaux infectés : par contact avec des fluides corporels (sang, urine, vomissures, salive, diarrhées), par les muqueuses, par la peau lésée ou par une exposition percutanée.
Les FHV les plus dangereuses pour l’homme sont celles pour lesquelles une transmission interhumaine est possible (fièvre Ebola, fièvre de Marburg, fièvre de Lassa, fièvre de Crimée-Congo). Seules les fièvres de Lassa et de la vallée du Rift sont décrites comme des transmissions par aérosol. Actuellement, il n’existe aucune preuve que la transmission d’autres FHV se fasse par le biais de gouttelettes ou d’aérosols. Les FHV sont présentes dans le monde entier et dépendent de l’écologie du réservoir ou du vecteur (tableau 1), mais elles sont principalement endémiques en Asie (dengue, fièvre de Crimée-Congo) et en Afrique subsaharienne (fièvre Ebola, fièvre de Marburg, fièvre de Lassa). Les hantavirus sont répandus dans le monde entier, une épidémie importante a eu lieu en Allemagne entre 2011 et 2012 [1].
Épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest : mise à jour
Depuis le début de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en décembre 2013 jusqu’au début du mois d’avril 2015, un total de 25178 cas (y compris les cas confirmés, probables et suspects) ont été notifiés à l’OMS, y compris 10 445 décès [2]. Au Libéria, l’épidémie est actuellement sous contrôle, le dernier patient atteint de fièvre Ebola confirmée est décédé le 27 mars 2015. En Sierra Leone, la tendance est fortement à la baisse, tandis qu’en Guinée, de nouveaux cas continuent d’être signalés dans différentes régions.
Image clinique
En général, dans le cas de la FHV, le tableau clinique débute après une période d’incubation d’environ 1 à 2 semaines par une fièvre et un malaise soudains, suivis de symptômes grippaux non spécifiques (tableau 2) .
La période d’incubation est plus courte pour la fièvre de Crimée-Congo, la fièvre Ebola et la fièvre de Marburg, et plus longue pour la fièvre de Lassa [3,4]. Dans le cas d’Ebola en particulier, un épuisement prononcé et des myalgies sévères sont discrets dès le début de la maladie par rapport aux autres symptômes non spécifiques. Par la suite (généralement à partir de la semaine 2), des douleurs abdominales, des vomissements et des diarrhées parfois profuses s’ensuivent (fig. 1). Au début d’une épidémie locale, ces symptômes permettent généralement de suspecter le choléra, le typhus abdominal ou le paludisme.
Sur le plan physiopathologique, ces symptômes reposent sur une forte augmentation des cytokines pro-inflammatoires avec une vasodilatation secondaire et une perméabilité vasculaire accrue. Cela peut entraîner des déplacements importants de liquide vers le troisième espace et des troubles de la coagulation avec formation d’un choc hypovolémique au stade final [5]. Les phénomènes hémorragiques sont probablement moins fréquents en tant que complications et causes de décès que ce que l’on pensait jusqu’à présent et que ce que l’on pourrait supposer sur la base du nom. C’est ce qu’a montré l’épidémie actuelle d’Ebola en Afrique de l’Ouest [6]. Dans cette épidémie, les surinfections bactériennes (probablement dans le cadre d’une translocation dans l’intestin) déterminent souvent l’évolution chez les patients gravement malades. Dans le cas de la fièvre de Hanta, deux syndromes sont présents dans des régions géographiques différentes. La forme eurasienne développe de manière dominante une défaillance rénale, la forme américaine une défaillance pulmonaire.
Fièvres hémorragiques virales en pratique
La probabilité de diagnostiquer une FHV dans un cabinet de médecine générale en Suisse est très faible ; à l’exception de la dengue, ces maladies infectieuses ne sont que très rarement diagnostiquées chez les voyageurs de retour de voyage [7,8]. On estime que le risque global pour les voyageurs est inférieur à un cas pour un million de voyageurs revenant de pays africains endémiques. Au cours des 30 dernières années, la fièvre de Lassa a été diagnostiquée chez seulement 28 voyageurs de retour de voyage, et la dengue chez environ 20 personnes sur plus de 1000 voyageurs malades de retour de voyage [9]. Selon l’OFSP, trois cas de FHV à transmission interhumaine ont été diagnostiqués en Suisse entre 1994 et 2008 [10]. Le quatrième patient est le médecin traité à Genève qui a contracté la fièvre Ebola en Sierra Leone fin 2014. Dans l’ensemble, au cours de l’épidémie actuelle d’Ebola, un seul des patients connus traités dans un pays occidental est considéré comme un voyageur de retour. Il s’agissait d’un patient asymptomatique qui avait voyagé par avion du Liberia à Dallas (États-Unis) et qui, cinq jours après son retour, a développé des symptômes qui n’ont pas été initialement identifiés comme étant liés à Ebola [11]. Tous les autres patients Ebola traités en Europe ou en Amérique du Nord étaient des employés d’organisations humanitaires.
L’exemple du patient de Dallas illustre de manière exemplaire la difficulté d’identifier rapidement un cas suspect en raison de symptômes initialement non spécifiques ; le patient en question a ainsi été traité à deux reprises dans un service d’urgence avant que la suspicion d’Ebola ne soit exprimée pour la première fois. En principe, même en cas d’épidémie de FHV, il est plus probable qu’une personne revenant d’un pays tropical souffre d’une infection beaucoup plus fréquente et traitable, comme le paludisme, la diarrhée du voyageur ou la grippe.
Informations importantes pour l’évaluation des risques
Outre l’enregistrement des symptômes, l’anamnèse du voyageur est essentielle pour inclure ou rejeter la FHV dans le diagnostic différentiel [12]. Il faut se renseigner sur la zone exacte du voyage, la durée du séjour et les contacts avec des personnes ou des animaux malades ou décédés. Les informations les plus importantes sur l’actualité des épidémies sont publiées par le WHO Disease Outbreak News (www.who.int/topics/haemorrhagic_fevers_viral/en), ou on peut s’informer sur des sites de médecine du voyage comme Safetravel (www.safetravel.ch) ou Tropimed (www.tropimed.com). La définition de cas des principales FHV est mentionnée sur tous les sites web des agences sanitaires nationales ou internationales [13]. Il convient toutefois de noter que les critères cliniques des définitions de cas sont par nature très larges et sont par conséquent remplis chez pratiquement tous les voyageurs fébriles de retour de zones d’endémie. Au moindre doute, le médecin traitant doit immédiatement prendre contact avec le service du médecin cantonal et/ou le centre de référence en infectiologie. Des examens cliniques supplémentaires, tels que des diagnostics de laboratoire ou radiologiques, ou un transfert à l’hôpital ne doivent être effectués qu’après consultation.
En raison du risque potentiel de contagion lors de l’examen clinique, un patient fortement suspecté d’avoir une FHV doit être traité en priorité comme s’il s’agissait d’une forme à transmission interhumaine. Tout examen complémentaire doit donc être effectué dans un centre de référence dédié, avec des mesures d’isolement strictes. Les analyses de laboratoire sont effectuées exclusivement dans un laboratoire de biosécurité de niveau 4. En Suisse, il s’agit du laboratoire de référence du Centre national des maladies virales émergentes (NAVI) des Hôpitaux universitaires de Genève.
Recommandations pour la prise en charge des patients suspects de FVH en médecine générale
Des mesures d’hygiène particulières sont nécessaires pour réduire le risque de contagion en cas de suspicion de FHV transmissible d’homme à homme. Tout d’abord, le patient est isolé dans une chambre séparée. Tout contact physique avec le patient doit être évité et une seule personne est déléguée pour interagir avec le patient [14]. Celui-ci doit porter au moins une paire de gants et, le cas échéant, un masque chirurgical, des lunettes de protection et un tablier. Pour réduire le risque d’infection, la désinfection des mains après chaque contact avec le patient et la désinfection des zones exposées aux fluides corporels sont des mesures de protection importantes. Un contact rapide avec le service du médecin cantonal ou le centre de référence en infectiologie est indispensable pour une prise en charge optimale d’un cas suspect de FHV transmise de personne à personne. Si la définition de cas de l’OFSP est remplie (par exemple Ebola), le personnel de l’hôpital central d’accueil accueille le patient avec un équipement de protection spécial, après avoir préparé la chambre d’isolement. Celle-ci se compose soit de gants, d’un tablier, d’un masque TB et de lunettes de protection, soit d’une combinaison étanche aux liquides combinée à un appareil respiratoire.
Recommandations aux voyageurs se rendant dans une zone potentiellement touchée par l’épidémie d’Ebola
Le risque actuel pour les voyageurs se rendant en Afrique de l’Ouest et n’ayant pas de contact direct avec des personnes ou des animaux malades ou décédés est considéré comme très faible. Pendant toute la durée de l’épidémie actuelle, aucune restriction de voyage n’a été imposée par l’OFSP, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ou l’OMS. Cependant, des interdictions locales de sortie ou de voyage ont été régulièrement imposées dans les pays concernés. Les voyageurs doivent donc se renseigner sur place sur les mesures et les instructions actuellement en vigueur des autorités locales. Des recommandations concrètes sur le comportement à adopter par les voyageurs se rendant au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée sont disponibles sur [15,16]:
- Ne pas entrer en contact avec des personnes malades ou des animaux sauvages (en particulier les singes, les chauves-souris/chiens errants) ni avec leurs excréments.
- Il faut explicitement s’abstenir d’avoir des relations sexuelles avec des personnes guéries jusqu’à trois mois après la récupération d’une infection par le virus Ebola. La dernière patiente infectée par Ebola au Libéria est supposée avoir été transmise par voie sexuelle ; son mari était sorti d’un centre de traitement d’Ebola quelques semaines auparavant. D’autres personnes atteintes d’Ebola n’ont pas été trouvées malgré une enquête approfondie sur l’environnement.
- Éviter de consommer de la viande de gibier.
En dehors d’une épidémie classique, les personnes potentiellement en contact avec des vecteurs ou des animaux réservoirs sont généralement à risque de développer une FHV (par exemple, les personnes en vacances au camping, les personnes ayant séjourné longtemps dans des pays endémiques, les géologues, les chercheurs). En conséquence, les mesures d’hygiène standard, y compris les mesures de sécurité, doivent être appliquées. être expliquée sur la protection contre les moustiques et les tiques.
Jusqu’à présent, il n’existe pas de vaccins ou de prophylaxies médicamenteuses, ni de traitements disponibles dans le commerce. Toutefois, l’un des candidats vaccins fait actuellement l’objet d’études préliminaires sur le terrain en Guinée. Les études de phase I et II avaient démontré une bonne immunogénicité [17], confirmant ainsi les bons résultats des études animales (100% de protection contre une infection par provocation au virus Ebola chez les primates). La seule prévention efficace réside donc dans une hygiène des mains rigoureuse et, en cas de contact avec une source positive connue, dans l’application des mesures de protection strictes. D’autres foyers de VHF sont à prévoir. Il est à espérer que des leçons importantes ont été tirées de l’épidémie actuelle, ce qui permettra à l’avenir de mettre en œuvre plus rapidement et plus efficacement les mesures de protection appropriées.
Les auteurs remercient l’équipe spécialisée en hygiène hospitalière de l’Hôpital de l’Ile à Berne et le Dr Daniel Koch, OFSP, Section des maladies infectieuses, pour leur relecture critique de cet article.
Littérature :
- Boone I, et al : Rise in the number of notified human hantavirus infections since October 2011 in Baden-Württemberg, Germany. Euro Surveill 2012 ; 17(21).
- Organisation mondiale de la santé (OMS). Rapport de situation sur Ebola. 1 avril 2015 (http://apps.who.int/ebola/en/current-situation/ebola-situation-report)
- Institut Robert Koch (RKI). Fiches signalétiques, maladies infectieuses rares et importées (2011).
- Beeching NJ, et al : Travellers and viral haemorrhagic fevers : what are the risks ? Int J Antimicrob Agents 2010 ; 36(Suppl 1) : S26-35.
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- Leder K, et al. : Travel-associated Illness Trends and Clusters, 2000-2010. Emerg Infect Dis 2013 ; 19(7) : 1049-1073.
- Office fédéral de la santé publique (OFSP). Fièvres hémorragiques virales (FHV). June 6, 2008. (www.bag.admin.ch/themen/medizin/00682/00684/01111/index.html?lang=de)
- Chevalier MS, et al. : Ebola virus disease cluster in the United States-Dallas County, Texas, 2014. Morb Mortal Wkly Rep 2014 ; 63(46) : 1087-1088.
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- Office fédéral de la santé publique (OFSP). Ebola. avril 9, 2015 (www.bag.admin.ch/themen/medizin/00682/00684/01061/index.html?lang=de)
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- Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Focus sur Ebola. 16 avril 2015 (www.eda.admin.ch/eda/de/home/vertretungen-und-reisehinweise/fokus/focus3.html)
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- Agnandji ST, et al : Phase 1 Trials of rVSV Ebola Vaccine in Africa and Europe – Preliminary Report. N Engl J Med 2015 Apr 1 ; Epub ahead of print.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(5) : 17-21