L’alcool est de loin la substance psychoactive la plus consommée dans le monde, avec des conséquences souvent fatales pour la santé. Récemment, des paradigmes de longue date concernant le traitement des patients alcooliques ont été ébranlés. Les possibilités actuelles de traitement de l’alcoolisme ont été présentées lors du congrès du “European College of Neuropsychopharmacology” (ENCP, 18-21 octobre 2014) à Berlin.
(mw) Il est difficile de comprendre pourquoi plus de deux milliards de personnes dans le monde consomment de l’alcool malgré la connaissance des dangers pour la santé. Rainer Spanagel de l’Institut central pour la santé mentale de Mannheim. L’alcool contenu dans les fruits trop mûrs était déjà une source importante de nutriments pour nos ancêtres primates en raison de sa teneur élevée en sucre. En cas de faible disponibilité dans la nature, la préférence pour l’alcool et un sens aiguisé pour repérer les sources d’alcool ont longtemps constitué un avantage sélectif important.
Ce n’est qu’il y a 9000 ans – avec le développement de l’art du brassage – que les hommes ont commencé à produire eux-mêmes des boissons alcoolisées. Le risque d’intoxication qui en découle n’a pas encore eu d’influence sur le processus évolutif en raison du délai trop court. La consommation excessive d’alcool chez l’homme est donc un “hangover” évolutif, selon l’addictologue.
Le disulfirame, première approche pharmacologique de l’alcoolisme
Début du C’est au début du 19e siècle que la consommation excessive d’alcool a été considérée pour la première fois comme une maladie du cerveau. Il a cependant fallu attendre le 20e siècle, jusqu’à l’introduction du disulfirame (Antabus
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), un premier traitement pharmacologique de la dépendance à l’alcool a été mis sur le marché. Le mécanisme d’action découvert par hasard est aussi simple qu’efficace : le disulfirame inhibe l’aldéhyde déshydrogénase, ce qui fait que la consommation simultanée d’alcool provoque des symptômes très désagréables tels que nausées, maux de tête et palpitations cardiaques. Tous les autres médicaments disponibles aujourd’hui, tels que l’acamprosate, la naltrexone et le nalméfène, agissent plutôt comme des “anti-craving substances” et ont donc un mécanisme d’action totalement différent.
Acamprosate – Le calcium, véritable principe actif ?
L’acamprosate (homotaurinate d’acétyle de calcium) est supposé atténuer l’état hyperglutaminergique de la personne alcoolique. Pour tenter d’améliorer la biodisponibilité relativement faible de la préparation, la molécule a été modifiée pour devenir un sel de sodium et non plus un sel de calcium. Cela a certes entraîné des taux sériques nettement plus élevés chez les rats, mais aussi une perte d’efficacité. En outre, il a été démontré que le taux de calcium plasmatique est associé au délai avant le premier verre et aux rechutes graves chez les alcooliques. Il se pourrait donc que le calcium soit le véritable ingrédient actif de l’acamprosate, a déclaré le professeur Spanagel.
Quel est le rôle des récepteurs opioïdes ?
Il est également possible qu’un changement de mentalité soit nécessaire en ce qui concerne la naltrexone, selon lui. L’idée précédente selon laquelle la consommation d’alcool entraîne une libération accrue d’opioïdes endogènes et l’activation du récepteur opioïde μ (μ-OR) qui en résulte entraîne une libération accrue de dopamine est peut-être une simplification excessive. Ainsi, des études post-mortem chez des malades alcooliques et des témoins ont montré que les μ-OR sont plutôt régulés à la baisse en cas d’alcoolisme et qu’une faible densité dans le striatum est associée à une dépendance à l’alcool particulièrement sévère. Cela a également été confirmé dans une étude prospective [11C]carfentanil-PET chez des personnes souffrant de dépendance à l’alcool – où une faible densité de μ-OR était associée à un risque accru de rechute.
Mais comment cela s’accorde-t-il avec le mécanisme d’action supposé de la naltrexone, qui bloque les récepteurs aux opiacés ? Il semble qu’une activité réduite de la β-arrestine chez les malades alcooliques favorise sa transformation en une μ-OR couplée à une protéine G, avec un effet de signalisation renforcé. Cela est particulièrement vrai chez les personnes présentant un certain polymorphisme dans le récepteur des opioïdes (allèle A118G). Les porteurs sont plus sensibles aux stimuli de l’alcool et réagissent à l’absorption d’alcool par une réaction de récompense accrue et une augmentation de la production de dopamine. Les porteurs de l’allèle G présentent un effet thérapeutique nettement plus important de la naltrexone.
Nalmefen – Réduction de la consommation d’alcool comme objectif thérapeutique
L’introduction du nalméfène a rompu avec le paradigme en vigueur jusqu’à présent, selon lequel seule l’abstinence absolue d’alcool pouvait être l’objectif thérapeutique chez les malades alcooliques. Il a ainsi été démontré que la prise de nalméfène à la demande permettait de réduire considérablement le nombre de jours de beuveries intenses ainsi que la consommation totale d’alcool. Le nalméfène cible lui aussi le récepteur des opioïdes et présente une efficacité plus importante chez les porteurs de l’allèle G.
La stimulation cérébrale profonde, une alternative ?
La stimulation cérébrale profonde (“deep brain stimulation”, DBS) est apparue récemment comme une autre approche thérapeutique possible. Le professeur Spanagel a toutefois douté que celle-ci soit particulièrement adaptée aux personnes souffrant d’addiction. Lorsqu’il s’agit de choisir entre une boisson et l’application du stimulateur, le choix se portera probablement trop souvent sur la boisson. De plus, avant de mener des études de grande envergure chez l’homme, il faut d’abord être sûr d’avoir trouvé la structure cérébrale adéquate pour la stimulation. Lors des premières expériences avec des souris alcooliques, celles-ci ont réagi en partie par un renforcement de leur comportement addictif.
Les récepteurs du glutamate de type mGluR2 pourraient constituer une toute nouvelle cible prometteuse. La régulation négative de ces récepteurs dans la région préfrontal est un marqueur de comportement addictif. Chez les rats alcooliques, le rétablissement du niveau normal de mGluR2 avec un agoniste approprié s’est accompagné d’une normalisation de la consommation excessive d’alcool.
Source : 27e congrès du Collège européen de neuropsychopharmacologie (ENCP), 18-21 octobre 2014, Berlin.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2014 ; 12(6) : 50-51