Le paysage thérapeutique de la dermatite atopique est en pleine évolution. De nouvelles connaissances ont permis de développer des options thérapeutiques modernes qui ciblent sélectivement les voies de signalisation inflammatoires. Actuellement, parmi les traitements systémiques autorisés, il existe deux approches thérapeutiques modernes qui ciblent les mécanismes inflammatoires : Les médicaments biologiques et les inhibiteurs de Janus kinase. Une revue récemment publiée résume les points importants.
L’auteur correspondant de l’article de synthèse est le Dr Ilya Mukovozov, dermatologue au Centre de dermatologie de Toronto (Canada) [1]. Le message clé du Dr Mukovozov et de ses collègues est que la diversité croissante des traitements anti-inflammatoires systémiques augmente les chances d’un traitement personnalisé, adapté au mieux aux caractéristiques de la maladie et du patient.
Médicaments biologiques
Les anticorps monoclonaux sont des protéines produites par génie génétique qui ciblent certains composants du système immunitaire (par exemple les cytokines ou les récepteurs) impliqués dans la réaction inflammatoire. En bloquant ces voies de cytokines/récepteurs, les médicaments biologiques modulent la réaction excessive du système immunitaire caractéristique de la DA, ce qui entraîne finalement une réduction de l’inflammation cutanée et des démangeaisons. Les médicaments biologiques neutralisent les interleukines ou bloquent les récepteurs au niveau extracellulaire.
Abréviations DLQI = Dermatology Life Quality Index EASI = Eczema Area and Severity Index Démangeaisons-NRS = Échelle numérique d’évaluation des démangeaisons oSCORAD = Objective-SCORing Atopic Dermatitis POEM = Patient Oriented Eczema Measure PO-SCORAD = Patient Oriented SCORAD |
Dupilumab : cet anticorps monoclonal se lie à la sous-unité α du récepteur de l’interleukine (IL)-4, ce qui inhibe les voies de signalisation IL-4/IL-13 [3]. Le dupilumab a été le premier médicament biologique autorisé dans la MA. Actuellement, il est autorisé dans de nombreux pays (dont la Suisse) pour les patients atteints de la MA à partir de l’âge de 6 mois [4]. Le dupilumab est administré par voie sous-cutanée ; la dose est de 600 mg chez l’adulte, suivie de 300 mg en dose d’entretien tous les 14 jours. Pour les enfants et les adolescents, il existe un schéma posologique spécifique décrit dans l’information professionnelle (IFP). L’efficacité et la sécurité du dupilumab ont été démontrées dans de nombreuses études randomisées contrôlées, telles que SOLO 1, SOLO 2 et LIBERTY AD CHRONOS chez des patients adultes atteints d’AD, ainsi que LIBERTY AD ADOL et LIBERTY AD PEDS chez des enfants et des adolescents atteints d’AD [5–9]. Les effets secondaires sous dupilumab se limitent à des réactions locales au site d’injection et à des conjonctivites [10].
Tralokinumab : cet anticorps monoclonal qui se lie spécifiquement à l’IL-13 est le deuxième médicament biologique autorisé dans la MA. L’IL-13 est considérée comme une cytokine clé dans la physiopathologie de la MA [11,12]. En Suisse, le tralokinumab est autorisé pour les patients atteints de la MA âgés de plus de 18 ans, dans d’autres pays à partir de 12 ans. La posologie initiale est de 600 mg, suivie de 300 mg toutes les deux semaines [4]. Les études randomisées contrôlées ECZTRA 1 et ECZTRA 2 ont évalué l’efficacité et la sécurité chez les patients AD de plus de 18 ans et ECZTRA 6 chez les patients AD de 12 à 17 ans [13,14]. Le tralokinumab est également bien toléré avec un spectre d’effets secondaires (réactions locales, conjonctivites) similaire à celui du dupilumab [4].
Voici un bref aperçu d’autres médicaments biologiques prometteurs dans la MA qui ne sont actuellement pas autorisés en Suisse (au 23.08.2024) dans ce domaine d’indication.
- Lebrikizumab : cet inhibiteur de l’IL-13 est autorisé dans l’UE pour le traitement de la MA. Dans les deux études randomisées contrôlées ADvocate1 et ADvocate2, une proportion nettement plus importante de patients sous lébrikizumab que sous placebo a obtenu un score IGA de 0 ou 1 à la semaine 16 et une diminution de ≥2 points sur l’échelle de prurit par rapport au score initial [15]. Les effets indésirables rapportés avec le lébrikizumab étaient des conjonctivites, une exacerbation de la dermatite et des infections cutanées [15].
- Némolizumab : la cible de cet anticorps monoclonal est le récepteur IL-31-A. L’IL-31-RA est considéré comme un facteur clé dans le cercle démangeaison-grattage associé à la MA [16]. L’IL-31 est une cytokine inflammatoire pruritogène connue qui se lie à l’IL-31-RA et maintient le cycle démangeaison-grattage [16,17]. Le némolizumab est autorisé en Suisse pour le traitement du prurigo nodulaire, mais il n’existe actuellement pas d’autorisation de mise sur le marché pour le domaine d’indication de la DA (au 23 août 2024) [4]. Dans l’étude de phase II XCIMA, le némolizumab s’est révélé nettement supérieur au placebo dans le contexte de la MA, tant en ce qui concerne le prurit (VAS) que l’EASI [18]. Dans l’ensemble, le némolizumab a montré un profil de sécurité favorable ; les effets indésirables les plus fréquents ont été des réactions légères à modérées au site d’injection et des signes d’infection des voies respiratoires supérieures [17].
- Rocatinlimab : inhibe les cellules exprimant OX40 et réduit leur nombre. Il a été démontré que l’interaction entre le récepteur de cellules T co-stimulatrices OX40 et son ligand OX40L joue un rôle important dans la pathogenèse de la DA, la signalisation induite par OX40L favorisant la survie et l’activation de différentes cellules T auxiliaires (Th) impliquées dans la pathogenèse de la dermatite atopique [19]. En bloquant OX40, les signaux correspondants sont inhibés, ce qui inhibe l’inflammation [19]. Dans une étude de phase IIb, une réduction significative du score EASI à la semaine 16 a été observée dans tous les groupes rocatinlimab [19]. Les effets secondaires les plus fréquents ont été la pyrexie, la rhinopharyngite, les frissons, les céphalées, les aphtes et les nausées [19]. Aux États-Unis, le rocatinlimab est actuellement (au 23.8.24) autorisé dans la MA.
Inhibiteurs de Janus kinase
Une partie des cytokines pro-inflammatoires impliquées dans la pathogenèse de la MA activent la voie de signalisation JAK-STAT via leurs récepteurs et déclenchent ainsi une réponse cytokinique. La transduction du signal intracellulaire de nombreuses cytokines est médiée par les Januskinases (JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2) [20]. La pathogenèse de la MA est associée à une immunité Th2 accrue, alimentée par des cytokines clés telles que l’IL-4, l’IL-5 et l’IL-13, qui sont en aval de la signalisation JAK-STAT [21]. Sur la base de ces résultats, les inhibiteurs de JAK sont devenus une approche thérapeutique innovante de la MA. En résumé, leur efficacité repose sur l’inhibition de la réponse cytokinique intracellulaire [20,22].
Baricitinib : cet inhibiteur de JAK1/JAK2 a démontré sa supériorité dans l’étude BREEZE-AD4 en association avec des corticostéroïdes topiques (TCS) chez des patients atteints de DA modérée à sévère pour lesquels un traitement par ciclosporine était inefficace, à la dose de 4 mg par rapport à un placebo plus TCS, à la fois en termes d’EASI75 à la semaine 16 et d’amélioration de ≥4 points sur le NRS du prurit [23]. Le baricitinib est testé dans l’étude en cours BREEZE-AD-PEDS chez les enfants et les adolescents [24]. Les résultats intermédiaires à la semaine 16 ont été prometteurs à la dose de 4 mg.
Les effets secondaires les plus fréquents ont été les douleurs abdominales, l’acné, les maux de tête, la diarrhée, la rhinopharyngite et les infections des voies respiratoires supérieures [24].
Upadacitinib : cet inhibiteur sélectif de JAK1 a atteint les critères d’efficacité et de sécurité en monothérapie (15 mg ou 30 mg) dans les études Measure Up 1 et Measure Up 2 [25]. Dans l’étude AD Up, l’upadacitinib associé au TCS aux deux doses s’est révélé supérieur au placebo en termes d’EASI-75 [26]. Les effets indésirables les plus fréquents de l’upadacitinib ont été les infections des voies respiratoires supérieures et l’acné [2].
Abrocitinib : il s’agit également d’un inhibiteur sélectif de JAK1, pour lequel on dispose notamment de résultats d’études JADE MONO 1 et JADE MONO 2 [27,28]. Dans ces études, l’abrocitinib (100 mg ou 200 mg) s’est avéré supérieur au placebo en termes d’IGA et d’EASI-75 à la semaine 12. Les effets secondaires fréquemment rapportés étaient des infections des voies respiratoires supérieures, des nausées et des taux élevés d’enzymes hépatiques [27].
Outre les inhibiteurs JAK baricitinib, upadactinib et abrocitinib, autorisés en Suisse et dans de nombreux autres pays pour le traitement de la MA, un autre candidat-médicament de ce groupe de médicaments, le ruxolitinib, se trouve dans des phases avancées de développement clinique. Les effets de cet inhibiteur JAK1/JAK2 dans la MA ont par exemple été étudiés dans l’étude TRuE-AD [29].
Conclusion
L’autorisation de mise sur le marché des produits biologiques** et des inhibiteurs de Janus kinase (JAK) a établi de nouvelles normes dans le traitement de la dermatite atopique (DA) et a porté les objectifs thérapeutiques à un niveau sans précédent. L’objectif principal de chaque traitement est de soulager les démangeaisons ainsi que les lésions inflammatoires de la peau. Pour y parvenir, il est recommandé de procéder par étapes en fonction du degré de gravité [2]. Les soins de base restent la base de tout traitement de la DA et les préparations anti-inflammatoires topiques peuvent également être utilisées à court terme parallèlement au traitement systémique. La photothérapie est une autre modalité de traitement qui reste importante. Des scores objectifs validés (oSCORAD, EASI) sont disponibles pour évaluer la sévérité de l’eczéma atopique. Pour évaluer l’impact sur la qualité de vie, l’utilisation du DLQI s’est avérée efficace. De plus, le PO-SCORAD offre une évaluation pratique de la sévérité au fil du temps et le POEM convient à l’évaluation des symptômes d’un point de vue subjectif.
** Les produits biologiques actuellement autorisés en Suisse pour le traitement de la MA (état au 23.08.2024) sont le dupilumab et le tralokinumab [4].
& Les inhibiteurs JAK actuellement autorisés en Suisse pour le traitement de la MA (état au 23.08.2024) sont l’abrocitinib, le baricitinib et l’upadacitinib [4].
Littérature :
- Shergill M, et al : Biologic and Small Molecule Therapy in Atopic Dermatitis. Biomedicines . 2024 ; 12(8) : 1841. www.mdpi.com/2227-9059/12/8/1841,(dernière consultation 23.08.2024).
- Ligne directrice S3 “Dermatite atopique”, 2023, numéro de registre AWMF 013-027, mise à jour : 16/06/2023, https://register.awmf.org/de/leitlinien/detail/
013-027, (dernière consultation 23.08.2024). - Hamilton JD, et al : Dupilumab améliore la signature moléculaire dans la peau des patients atteints de dermatite atopique modérée à sévère. JACI 2014 ; 134 : 1293-1300.
- Swissmedic : Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch,(dernière consultation 23.08.2024)
- Ratchataswan, T et al : Biologics for Treatment of Atopic Dermatitis : Current Status and Future Prospect. JACI Pract 2021 ; 9 : 1053-1065.
- Simpson EL, et al : Deux essais de phase 3 de dupilumab versus placebo dans la dermatite atopique. NEJM 2016 ; 375 : 2335-2348.
- Blauvelt A, et al. Prise en charge à long terme de la dermatite atopique modérée à sévère avec dupilumab et des corticostéroïdes topiques concomitants (LIBERTY AD CHRONOS) : A 1-year, randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 2017 ; 389 : 2287-2303.
- Simpson EL, et al : Efficacité et sécurité du dupilumab chez les adolescents atteints de dermatite atopique modérée à sévère non contrôlée : un essai clinique randomisé de phase 3. JAMA Dermatol 2020 ; 156 : 44-56.
- Paller AS, et al : Efficacité et sécurité du dupilumab avec des corticostéroïdes topiques concomitants chez les enfants de 6 à 11 ans atteints de dermatite atopique sévère : un essai de phase 3 randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo. JAAD 2020 ; 83(5) : 1282-1293.
- Wollenberg A et al. : Laboratory safety of dupilumab in moderate-to-severe atopic dermatitis : results from three phase III trials (LIBERTY AD SOLO 1, LIBERTY AD SOLO 2, LIBERTY AD CHRONOS). BJD 2020 ; 182 : 1120-1135.
- Blair HA : Tralokinumab in Atopic Dermatitis : A Profile of Its Use. Clin. Drug Investig 2022 ; 42 : 365-374.
- Popovic, B, et al : Structural Characterisation Reveals Mechanism of IL-13-Neutralising Monoclonal Antibody Tralokinumab as Inhibition of Binding to IL-13Rα1 and IL-13Rα2 J Mol Biol 2017 ; 429 : 208-221.
- Wollenberg A, et al : Tralokinumab for moderate-to-severe atopic dermatitis : Results from two 52-week, randomized, double-blind, multicentre, placebo-controlled phase III trials (ECZTRA 1 and ECZTRA 2). BJD 2021 ; 184 : 437-449.
- Paller AS, et al : Efficacité et sécurité du tralokinumab chez les adolescents atteints de dermatite atopique modérée à sévère : l’essai clinique randomisé ECZTRA 6 de phase 3. JAMA Dermatol 2023 ; 159 : 596-605.
- Silverberg JI, et al : Deux essais de phase 3 du lébrikizumab pour la dermatite atopique modérée à sévère. NEJM 2023 ; 388 : 1080-1091.
- Kabashima K, et al : Essai du némolizumab et d’agents topiques pour la dermatite atopique avec prurit. NEJM 2020 ; 383 : 141-150.
- Silverberg JI, et al : Phase 2B randomized study of nemolizumab in adults with moderate-to-severe atopic dermatitis and severe prurit. JACI 2020 ; 145 : 173-182.
- Ruzicka T, et al : Anti-récepteur de l’interleukine-31 A Antibody for Atopic Dermatitis. NEJM 2017 ; 376 : 826-835.
- Guttman-Yassky E, et al : An anti-OX40 antibody to treat moderate-to-severe atopic dermatitis : A multicentre, double-blind, placebo-controlled phase 2b study. Lancet 2023 ; 401 : 204-214.
- Schwartz DM, et al : L’inhibition de JAK comme stratégie thérapeutique pour les maladies immunitaires et inflammatoires. Nat Rev Drug Discov 2017 ; 16 : 843-862.
- Leung DYM, Guttman-Yassky E : Deciphering the complexities of atopic dermatitis : Shifting paradigms in treatment approaches. JACI 2014 ; 134 : 769-779.
- Damsky W, et al : Le rôle émergent des inhibiteurs de Janus kinase dans le traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires. JACI 2021 ; 147 : 814-826.
- Bieber T, et al : Efficacité et sécurité du baricitinib en association avec des corticostéroïdes topiques chez les patients atteints de dermatite atopique modérée à sévère avec réponse inadéquate, intolérance ou contre-indication à la ciclosporine : Résultats d’un essai clinique randomisé, contrôlé par placebo, phase III (BREEZE-AD4) BJD 2022 ; 187 : 338-352.
- Torrelo A, et al. : Efficacité et sécurité du baricitinib en association avec des corticostéroïdes topiques chez les patients pédiatriques atteints de dermatite atopique modérée à sévère et ne répondant pas suffisamment aux corticostéroïdes topiques : résultats d’une étude de phase III, randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo (BREEZE-AD PEDS). BJD 2023 ; 189 ; 23-32.
- Guttman-Yassky E, et al. : Once-daily upadacitinib versus placebo in adolescents and adults with moderate-to-severe atopic dermatitis (Measure Up 1 and Measure Up 2) : results from two replicate double-blind, randomised controlled phase 3 trials. Lancet 2021 ; 397(10290) : 2151-2168.
- Reich K, et al. : Sécurité et efficacité de l’upadacitinib en association avec des corticostéroïdes topiques chez les adolescents et les adultes atteints de dermatite atopique modérée à sévère (AD Up) : Results from a randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 2021 ; 397 : 2169-2181.
- Silverberg JI, et al : Efficacité et sécurité de l’abrocitinib chez les patients atteints de dermatite atopique modérée à sévère : un essai clinique randomisé. JAMA Dermatol 2020 ; 156 : 863-873.
- Simpson EL, et al. : Efficacité et sécurité de l’abrocitinib chez les adultes et les adolescents atteints de dermatite atopique modérée à sévère (JADE MONO-1) : A multicentre, double-blind, randomised, placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 2020 ; 396 : 255-266.
- Papp K, et al. : Efficacité et sécurité de la crème ruxolitinib pour le traitement de la dermatite atopique : résultats de 2 études de phase 3, randomisées, en double aveugle. JAAD 2021 ; 85 : 863-872.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2024 ; 34(4) : 24-25