Les antidépresseurs sont trop souvent prescrits, contrairement aux études qui indiquent que les molécules couramment utilisées ne sont que peu efficaces dans les épisodes dépressifs de faible intensité, et contrairement aux recommandations des lignes directrices. Quand est-il utile d’intervenir ?
La fréquence de prescription des antidépresseurs a doublé en Allemagne depuis 2005. C’est la conclusion du rapport sur les prescriptions de médicaments 2018 (fig. 1) [1]. Cette tendance est également observée dans d’autres pays occidentaux industrialisés, dont la Suisse. Environ 40% des personnes qui suivent un traitement pour des problèmes de santé mentale prennent des antidépresseurs, les femmes étant deux fois plus nombreuses que les hommes [2]. Aux États-Unis, les chiffres sont presque effrayants : 12% de tous les Américains de plus de 12 ans prennent un psychotrope de façon permanente, la plupart du temps dans le groupe des antidépresseurs. Le 125 Gerhard Gründer, de l’Institut central pour la santé mentale de Mannheim, a donc mis en garde contre une utilisation irréfléchie. En effet, les phénomènes d’arrêt, qui ne sont pas rares, posent également problème, car ils sont encore trop peu pris au sérieux et peuvent conduire involontairement à un traitement permanent.
Triplement des cas de maladie
Les antidépresseurs sont les médicaments psychotropes les plus fréquemment prescrits. L’une des raisons est peut-être l’augmentation du nombre de patients – et le fait que de plus en plus de personnes parlent de leur maladie mentale. Le rapport 2019 de la DAK sur la santé constate un triplement du nombre de jours et de cas de maladie professionnelle au cours des vingt dernières années. L’épisode dépressif (64,9%) ou le trouble dépressif récurrent (28,4%) se taillent la part du lion parmi les maladies mentales, suivis par les réactions à un stress sévère et les troubles de l’adaptation (51,4%). Il existe des différences entre les sexes : les femmes sont plus souvent touchées que les hommes. Chez les femmes, les problèmes du système musculo-squelettique arrivent en tête de liste, suivis de près par les troubles psychologiques. Les hommes aussi souffrent principalement du système musculo-squelettique, les troubles psychiques n’arrivant qu’en troisième position. Cependant, le nombre de cas non déclarés de maladies mentales est probablement plus élevé, d’autant plus que celles-ci peuvent parfois “se cacher” derrière des symptômes somatiques. Si l’on met en relation les cas d’incapacité de travail avec les jours d’incapacité de travail, on constate non seulement une fréquence accrue des arrêts avec l’âge, mais aussi une durée de maladie plus longue [3]. Au vu de ces chiffres, la réticence à prescrire un psychotrope est faible chez certains spécialistes et médecins de premier recours. L’espoir : une aide rapide pour le patient. Mais que disent les études sur la puissance des effets des antidépresseurs ?
L’efficacité est surestimée
Dans la plus grande analyse de réseau à ce jour, Cipriani et ses collègues ont comparé 21 antidépresseurs sur la base de 522 études contrôlées par placebo et d’études en tête-à-tête impliquant un total de 116 477 participants [4]. La méta-analyse a montré que toutes les molécules testées présentaient une efficacité significativement supérieure à celle du placebo. Cependant, l’intensité de l’effet est relativement faible. “Même les psychiatres ont tendance à surestimer quelque peu l’efficacité des antidépresseurs”, commente le professeur Gründer. Une autre observation de la méta-analyse était que les nouvelles substances obtenaient toujours de meilleurs résultats que celles qui étaient déjà un peu plus anciennes et qui servaient de substance de référence. Dans la comparaison tête-bêche, l’escitalopram, la mirtazapine, la paroxétine, l’agomélatine et la sertraline se sont particulièrement distingués par une réponse relativement élevée et un faible taux d’abandon. En revanche, la réboxétine, la trazodone et la fluvoxamine présentaient des profils d’efficacité et d’acceptabilité plus faibles.
Les données mentionnées concernent les antidépresseurs utilisés pour traiter les adultes souffrant de dépression. Mais qu’en est-il de l’efficacité des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents ? “Dans ce cas, l’efficacité est généralement encore plus modeste”, estime le professeur Gründer. “Aucun antidépresseur n’est significativement meilleur que le placebo”. À une exception près : la fluoxétine. Cette substance est donc la seule à être autorisée pour le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents. Néanmoins, d’autres substances sont également utilisées à des fins thérapeutiques pour ce groupe de patients.
Gravité et probabilité de placebo
La puissance de ce que l’on appelle “l’effet placebo” a été démontrée, entre autres, dans une étude en double aveugle qui a comparé l’efficacité de la sertraline et de la mirtazapine chez des patients atteints de démence dépressive par rapport à un placebo. Après 39 semaines, il s’est avéré que l’administration de pilules placebo entraînait une réduction des symptômes dépressifs aussi bonne que l’administration de l’une des deux substances actives [5]. Toutefois, cette constatation ne doit en aucun cas être interprétée comme une invitation à traiter les patients uniquement avec un placebo à l’avenir. Il suggère plutôt que le placebo “n’est pas seulement la pilule de sucre, mais le contexte de traitement”.
En fait, l’efficacité des substances semble avoir quelque chose à voir avec l’horizon d’attente du patient. Une étude récente a montré que l’efficacité d’un antidépresseur est influencée par le fait que le patient s’attende à recevoir le verum – ou un placebo. Plus la probabilité d’obtenir un placebo est faible, plus l’efficacité de l’antidépresseur testé est élevée et plus le taux d’abandon est faible. En d’autres termes, l’efficacité de l’antidépresseur dépend essentiellement du contexte [6].
Si tout le monde s’accorde sur ce point, la question de l’influence de la gravité de la maladie reste posée. Dans une méta-étude réalisée en 2008, Kirsch et ses collègues ont mis en évidence une corrélation positive entre la gravité de la dépression et l’efficacité de l’antidépresseur. Aucune efficacité significative n’a été observée par rapport au placebo dans les dépressions légères, mais elle l’a été dans les dépressions sévères [7]. Le professeur Gründer relativise toutefois cette constatation en se référant à des méta-analyses plus importantes qui n’ont pas établi de lien avec la gravité : “La constatation est faite en l’état”.
Que disent les lignes directrices ?
Il ne reste plus qu’à se pencher sur les recommandations de traitement [8]. Là aussi, le contexte est important, par exemple en termes de confiance entre le patient et le praticien. Le guide S3 de la DGPPN précise en outre que la pharmacothérapie doit être intégrée dès le début dans une offre de discussion. Il est également souligné que l’utilisation d’antidépresseurs dans le traitement initial des épisodes dépressifs légers n’est pas indiquée en raison d’un rapport bénéfice/risque défavorable, d’autant plus que les antidépresseurs ne montrent pas de supériorité significative par rapport au placebo. En particulier, si le patient présentant une symptomatologie dépressive légère ne souhaite pas de traitement médicamenteux ou si une diminution peut être obtenue sans antidépresseurs, la ligne directrice recommande un “accompagnement actif-attentif” avec un nouveau contrôle dans les deux semaines suivantes. Une intervention médicamenteuse, même en cas d’épisodes dépressifs légers, est justifiée si les symptômes persistent après d’autres formes de traitement, si les épisodes dépressifs précédents sont au moins de gravité moyenne ou si le patient demande expressément une intervention. L’utilisation d’antidépresseurs est indiquée en cas d’épisodes dépressifs modérés à sévères. Pour le professeur Gründer également, c’est en fin de compte le degré de gravité de la dépression qui détermine si un antidépresseur doit être utilisé.
Source : DGIM 2019, Wiesbaden (D)
Littérature :
- Schwabe U, et al. : Rapport sur les prescriptions de médicaments 2018. Données actuelles, coûts, tendances et commentaires. Berlin : Springer, 2018.
- Schuler D, et al. : La santé mentale en Suisse. Monitoring 2016, rapport 72 de l’Obsan, Observatoire suisse de la santé, 2016.
- Storm A, éd. : Rapport sur la santé 2019. Analyse des données sur l’incapacité de travail. Anciennes et nouvelles addictions en entreprise. Heidelberg : medhochzwei, 2019.
- Cipriani A, et al. : Efficacité comparative et acceptabilité de 21 médicaments antidépresseurs pour le traitement aigu des adultes souffrant de troubles dépressifs majeurs : une revue systématique et une méta-analyse en réseau. Lancet 2018 ; 391(10128) : 1357-1366.
- Banerjee S, et al : Sertraline or mirtazapine for depression in dementia (HTA-SADD) : a randomised, multicentre, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2011 ; 378(9789) : 403-411.
- Salanti G, et al : Impact of placebo arms on outcomes in antidepressant trials : systematic review and meta-regression analysis. Int J Epidemiol 2018 ; 47(5) : 1454-1464.
- Kirsch I, et al : Severity Initial and Antidepressant Benefits : A Meta-Analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration. PLoS Med 2008 ; 5(2) : e45.
- DGPPN, éd. : S3-Leitlinie Unipolare Depression. Version longue. 1ère édition, version 5.
- Kelly CM, et al : Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et mortalité par cancer du sein chez les femmes recevant du tamoxifène : une étude de cohorte basée sur la population. BMJ 2010 ; 340 : c693.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2019 ; 17(4) : 29-30 (publié le 20.6.19 ; ahead of print)