La pharmacothérapie de la dépression fait partie d’un processus de traitement global basé sur un modèle biopsychosocial. En principe, plus la dépression est grave, plus le traitement antidépresseur est évident.
La pharmacothérapie constitue un pilier important dans le traitement de la dépression. Le traitement réussi d’une personne souffrant de dépression nécessite toujours une perspective biopsychosociale (fig. 1). De nombreux patients ne répondent pas au traitement initial. Une attitude du médecin marquée par l’espoir et l’orientation vers les ressources ainsi que l’expérience de différentes stratégies thérapeutiques sont des facteurs essentiels dans le traitement suffisant d’une dépression.
Indication d’un traitement médicamenteux
Le guide S3 recommande, en cas d’épisodes dépressifs légers, “si l’on peut supposer que la symptomatologie s’atténuera même sans traitement actif”, un “accompagnement actif-attentif” pendant deux semaines. En cas d’épisodes modérés ou sévères, un traitement immédiat est recommandé. Alors que la pharmacothérapie ou la psychothérapie sont recommandées pour les épisodes légers et modérés, la combinaison des deux mesures est le moyen de choix pour la dépression sévère.
Dans l’ensemble, les preuves en faveur d’un traitement pharmacologique des épisodes dépressifs légers sont nettement moins nombreuses que pour une dépression modérée ou sévère et ne sont recommandées, selon les lignes directrices, que si le patient le demande expressément. En cas de dépression sévère, un traitement pharmacologique est absolument indiqué. Le traitement pharmacologique des dépressions graves, notamment celles à caractère délirant, est souvent la base d’un traitement psychothérapeutique efficace.
Le traitement de la dépression unipolaire est très différent de celui de la dépression bipolaire. L’article se concentre sur la dépression unipolaire. Certaines particularités du traitement de la dépression bipolaire sont mises en lumière dans le tableau 1.
Choix des antidépresseurs
Les comparaisons d’efficacité et les méta-analyses ont montré une supériorité des antidépresseurs par rapport au placebo, mais pas de différences très nettes entre les différentes substances. La raison principale en est que les designs d’études ne sont souvent pas très significatifs ou que les échantillons sont trop petits, ainsi que l’hétérogénéité de la maladie.
Lors du choix de la substance, il convient de prendre en compte, outre l’expérience du médecin avec la substance, des facteurs tels que l’efficacité antérieure, les comorbidités, les caractéristiques psychopathologiques (en particulier les troubles du sommeil, l’excitation, les tendances suicidaires, le délire, les troubles de l’impulsion, l’anxiété) ainsi que la bipolarité. Le tableau 1 présente une liste de contrôle pour aider à la prise de décision.
Les antidépresseurs les plus anciens (première génération) sont les tricycliques (ATC). En raison de leurs effets secondaires (par ex. effet anticholinergique, cardiotoxicité, prise de poids), ils sont aujourd’hui beaucoup moins utilisés que les antidépresseurs de deuxième et troisième génération, développés plus tard. Ils restent cependant une option, en particulier chez les patients souffrant de dépression sévère et qui ne répondent pas suffisamment aux autres antidépresseurs. Les antidépresseurs autorisés en Suisse, leur classification en fonction de leur mécanisme d’action ainsi que certaines caractéristiques des substances sont présentées dans le tableau 2.
Motiver le patient
Étant donné que la dépression s’accompagne souvent de désespoir, d’anxiété et d’incapacité à prendre des décisions, le médecin doit prendre le temps de fournir des informations personnalisées en fonction des symptômes pénibles et de motiver les patients à suivre le traitement recommandé. Les expériences tirées de l’anamnèse médicamenteuse devraient être validées et intégrées dans le processus décisionnel participatif pour la recommandation thérapeutique individuelle. En particulier au début d’une pharmacothérapie, il convient de prévoir des consultations fréquentes (au moins une fois par semaine) ou des rendez-vous téléphoniques afin d’aider le patient à suivre son traitement. Le matériel d’information, l’implication des proches ou des personnes concernées (“peer-to-peer”) peuvent aider à cet égard. Une ambivalence élevée due à la maladie ou des éléments délirants, qui peuvent être présents dans une dépression sévère, peuvent rendre difficile la disposition à suivre un traitement antidépresseur adéquat.
Dosage et contrôles de routine
Les antidépresseurs sont administrés à doses progressives. Conformément aux lignes directrices, il convient d’atteindre le dosage quotidien moyen au cours de la première semaine. Une amélioration des symptômes devrait se produire au cours des trois premières semaines. Le délai d’action est souvent plus long chez les patients âgés (environ six semaines). En outre, chez les personnes âgées, le traitement doit être initié à des doses plus faibles.
Comme certains antidépresseurs ont des effets secondaires, en particulier au début, qui s’atténuent ou disparaissent souvent avec le temps (p. ex. nausées ou augmentation de l’anxiété avec les ISRS), il est nécessaire d’informer les patients à l’avance de l’évolution dans le temps afin de les aider à ne pas arrêter le médicament trop tôt. Ce sont surtout les patients qui ont des antécédents d’interruption du traitement médicamenteux en raison d’effets secondaires qui bénéficient d’une phase d’augmentation de la dose plus longue. La présentation des antidépresseurs sous forme de gouttes (escitalopram, paroxétine, sertraline, vortioxétine) est appropriée à cet effet.
En règle générale, on commence par une monothérapie. En cas de stress important dû à des troubles du sommeil, des pensées circulaires, des angoisses et des idées suicidaires, un traitement combiné peut également être utile (AD activant + AD sédatif ou neuroleptique atypique ; ajout temporaire de benzodiazépines, c’est-à-dire pour une durée maximale de 3-4 semaines). En cas de dépression délirante, le traitement combiné d’un antidépresseur et d’un neuroleptique atypique est indiqué dès le début.
Avant le début du traitement antidépresseur, une prise de sang (numération formule sanguine, créatinine, enzymes hépatiques, électrolytes, TSH, glycémie, HbA1c), la mesure des paramètres vitaux et du poids corporel ainsi qu’un ECG de contrôle de routine sont effectués, une information sur les effets secondaires, y compris l’augmentation potentielle des idées suicidaires, et des informations sur l’aptitude à conduire.
En fonction de la substance, de la comorbidité, de l’âge, des symptômes et du profil d’effets secondaires, il est recommandé de procéder à des examens de contrôle (généralement un ECG, une formule sanguine, des tests hépatiques et rénaux) à un intervalle d’un mois dans un premier temps (pour plus d’informations sur chaque substance, voir www.compendium.ch).
Que faire si la réponse est insuffisante ?
Souvent, on attend trop longtemps avant de changer de stratégie thérapeutique. Toutefois, en cas de non-réponse, il convient de modifier la stratégie thérapeutique après la quatrième semaine de traitement avec une dose standard. Une amélioration d’au moins 50 % est définie comme une réponse pertinente (Response). Les instruments de dépistage (“Montgomery and Asberg Depression Rating Scale”, MADRS ; “Hamilton Rating Scale for Depression”, HAMD), qui enregistrent l’évolution des symptômes, sont des outils appropriés pour ce processus de décision.
En cas de non-réponse (non-réponse : <25% d’amélioration) ou d’amélioration insuffisante (réponse partielle : 25-49% d’amélioration), il existe différentes options pharmacologiques :
- Le dosage de l’antidépresseur est augmenté. Le suivi thérapeutique des médicaments peut aider à décider de la marche à suivre en indiquant si la substance n’est pas prise ou si elle n’est pas prise régulièrement et si les taux plasmatiques sont faibles ou élevés en raison de variations du métabolisme (y compris une modification du métabolisme due à une co-médication). Les données probantes concernent principalement les TZA et la venlafaxine. En cas de non-réponse répétée et d’effets indésirables importants, un génotypage CYP (non couvert par l’assurance de base) peut être envisagé.
- Changement de substance antidépressive. Il est recommandé de passer à une substance ayant un autre mécanisme d’action.
- Un traitement combiné de deux antidépresseurs est installé (“add on”, notamment ISRS + miansérine ou mirtazapine).
- Un traitement d’augmentation est mis en place, c’est-à-dire que l’antidépresseur est complété par une autre substance. Le lithium (niveau de preuve élevé, en particulier en cas de tendances suicidaires) ou un neuroleptique atypique (par ex. quétiapine, olanzapine, rispéridone, aripiprazole, amisulpride) peuvent être utilisés à cet effet. Les hormones thyroïdiennes, la lamotrigine (en particulier pour la dépression bipolaire), le pramipexole, le méthylphénidate et la buprénorphine sont également des stratégies d’augmentation (avec un niveau de preuve plus faible). La plupart des substances utilisées pour une augmentation sont off-label, ce qui implique un devoir d’information particulièrement minutieux envers le patient.
Pour tous les changements, un suivi régulier de l’effet et des effets secondaires (au moins une fois par semaine) est indiqué. En principe, un antidépresseur ne doit pas être arrêté brusquement, mais diminué. En cas d’arrêt brutal, des phénomènes de sevrage sont décrits chez certains patients (c’est le cas de la venlafaxine et de la paroxétine).
Le génotypage des variants ABCB1, qui ont une influence sur la pharmacocinétique de nombreux antidépresseurs, fournit des indications pour le choix de l’antidépresseur et l’adaptation de la dose. Le test ABCB1 n’est pas une prestation obligatoire de l’assurance maladie.
Jusqu’à il y a quelques années, les TZA en perfusion constituaient une option pertinente pour le traitement des dépressions sévères résistantes au traitement, surtout dans le cadre d’une hospitalisation. Les ampoules pour les thérapies par perfusion (clomipramine, maprotiline) ne sont malheureusement plus disponibles dans le commerce ; la maprotiline n’est plus disponible non plus pour la prise orale.
L’objectif thérapeutique est, dans la mesure du possible, la rémission (MADRS ≤10 ; HAMD ≤7).
Recommandations sur la durée de prise
Un souhait fréquent des patients est d’arrêter les antidépresseurs après le traitement aigu, lorsque les symptômes dépressifs ont disparu ou se sont nettement améliorés. Le risque de rechute après un épisode aigu étant élevé, un traitement d’entretien de six à neuf mois (en raison des effets positifs en termes de neuroplasticité) est recommandé à la même dose. Le risque de rechute est particulièrement élevé dans les dépressions sévères et psychotiques. Si le patient et le médecin décident de réduire ou de supprimer le traitement médicamenteux, cela doit se faire progressivement et sous surveillance régulière.
Si les patients présentent des épisodes dépressifs récurrents, il est utile de poursuivre le traitement antidépresseur en prévention des rechutes après le traitement d’entretien ; la durée et la dose dépendent de la fréquence et de la sévérité des épisodes dépressifs.
Options thérapeutiques antidépressives alternatives ou complémentaires
Outre la thérapie pharmacologique, il existe d’autres possibilités de thérapie biologique et psychothérapeutique ainsi que des méthodes basées sur la pleine conscience qui peuvent être utilisées en monothérapie ou en complément de la pharmacothérapie dans le but d’obtenir une rémission ou du moins une réponse aussi bonne que possible de la symptomatologie dépressive. Les soutiens dans le domaine social, par exemple en cas de problèmes financiers ou professionnels, de familles monoparentales ou de situations d’exclusion, ont également des effets positifs.
L’électroconvulsivothérapie (ECT) est décrite comme le traitement de choix des dépressions sévères qui ne répondent pas suffisamment aux autres méthodes thérapeutiques. D’autres méthodes biologiques bien établies sont la luminothérapie (traitement de première intention de la dépression saisonnière) et la thérapie d’éveil.
Il existe également des preuves d’efficacité concernant les effets de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive, de la stimulation du nerf vague, de la stimulation transcrânienne à courant continu, de la stimulation cérébrale profonde, du traitement à la kétamine et de la thérapie au Botox. Les hormones sexuelles, les acides gras oméga-3 et les substitutions vitaminiques (acide folique, vit. B12, vit. B6, vit. D) font également l’objet de discussions dans la littérature scientifique. Ils ne sont pas encore considérés comme une prestation d’assurance de base dans le traitement de la dépression, et même la luminothérapie nécessite généralement une demande de prise en charge. L’effet activant et stabilisateur de l’humeur d’une activité physique régulière peut être mentionné en plus en tant que méthode thérapeutique biologique.
Il existe de bonnes preuves pour les thérapies psychothérapeutiques (en particulier les thérapies de groupe). thérapie cognitivo-comportementale, thérapie interpersonnelle, thérapie des schémas, Cognitive Behavioral Analysis System of Psychotherapy [CBASP]), seuls ou en combinaison. La combinaison d’une pharmacothérapie et d’un traitement psychothérapeutique semble particulièrement appropriée en termes d’efficacité et de durabilité. Plus la dépression est grave, plus un traitement pharmacologique est indiqué.
Messages Take-Home
- La pharmacothérapie de la dépression fait partie d’un processus de traitement global basé sur un modèle biopsychosocial.
- Les médicaments de premier choix sont généralement les substances de troisième génération.
- Le choix de la substance se fait en fonction des antécédents, de la gravité et des anomalies psychopathologiques, des comorbidités du patient et du profil d’effets secondaires de l’antidépresseur.
- En cas de non-réponse à un antidépresseur au bout de trois à quatre semaines, un changement de stratégie thérapeutique doit être envisagé.
- Plus la dépression est sévère, plus l’évidence du traitement antidépresseur est élevée.
- En cas de dépression délirante, une association avec un antipsychotique atypique est indiquée.
Littérature complémentaire :
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