A première vue, tous les exanthèmes se ressemblent. Mais les possibilités sont nombreuses : S’agit-il d’un début d’exanthème médicamenteux, d’un exanthème réactionnel, d’un exanthème viral, d’une allergie de contact disséminée ? Grâce à une systématique combinée de la clinique, du laboratoire et de la pathologie, l’objectif est de faciliter le diagnostic du lecteur afin de mettre en place le traitement approprié, d’arrêter et de remplacer les médicaments suspectés. Ou même pour ne rien faire.
Le développement d’un exanthème aigu est dramatique et parfois menaçant pour le patient. Il survient souvent à un moment défavorable, en postopératoire, pendant une hospitalisation, au cours d’une antibiothérapie nécessaire, d’une infection. Il est souvent associé à des symptômes concomitants, des symptômes généraux et des analyses de laboratoire et sanguines anormales. Pour le clinicien, la question est de savoir s’il s’agit d’un début d’exanthème médicamenteux, d’un exanthème réactionnel ou d’une autre maladie de la peau, si le traitement peut être poursuivi ou quel médicament pourrait être en cause. On suppose souvent qu’il s’agit d’une réaction allergique, ce qui conduit à un taux beaucoup trop élevé de diagnostics d’allergie médicamenteuse. Une étude rétrospective menée auprès de 612 patients hospitalisés présentant un exanthème aigu a montré que près de la moitié d’entre eux présentaient un exanthème réactif ou autre [1]. Une approche systématique est alors nécessaire et l’aide du dermato-allergologue est requise. Le diagnostic ne peut parfois être posé qu’après avoir réuni l’anamnèse, l’examen clinique, le laboratoire, l’histopathologie et les tests cutanés.
L’anamnèse
La première chose à faire est de connaître le jour exact, éventuellement à l’aide des courbes de soins : quand et où l’exanthème a-t-il commencé, avec ou sans démangeaisons ? De nouveaux médicaments ont-ils été utilisés ou ont-ils été recommencés après une interruption ? A-t-on opéré ? Après combien de jours, de minutes ou d’heures les symptômes ont-ils commencé ? Des médicaments à base de plantes ont-ils été pris, des produits de contraste ont-ils été administrés ? Y a-t-il des symptômes associés, fièvre, douleurs articulaires, symptômes gastro-intestinaux présents ? Y a-t-il eu une grippe au préalable, une autre infection ou plusieurs infections dans le passé ? Il y a combien de temps ? Y a-t-il eu un rapport sexuel non protégé ? Y a-t-il un risque de VIH, y a-t-il eu des séjours à l’étranger, des blessures, des morsures d’animaux ou des piqûres ?
L’enquête
Ici, l’attention doit être portée sur la distribution de l’exanthème (localisé/généralisé/symétrique), les flores primaires : s’agit-il de maculopapules, de papulovésicules, de caillots, de pustules, de bulles, d’un érythème ? Quelle est leur taille ? Y a-t-il des symptômes associés tels que des suintements, des croûtes, des pétéchies ? Les muqueuses sont-elles touchées, les fléchisseurs, périanaux, génitaux, palmoplantaires ? Quelle est la dynamique ? Les bulles peuvent-elles être déplacées (phénomène de Nikolsky) ? Autres caractéristiques telles que des lésions confluentes, érythrodermiques, en cocarde ? Y a-t-il un gonflement des ganglions lymphatiques ?
L’histopathologie
L’histopathologie est un outil important pour distinguer les différents exanthèmes médicamenteux, mais elle peut aussi, le cas échéant, contribuer au diagnostic d’un exanthème allergique de contact, viral ou bactérien réactif, renseigner sur la présence de vascularite, de neutrophiles, d’une participation de l’épiderme et d’une nécrose épidermique (signe d’une évolution fulminante vers une éventuelle nécrolyse épidermique toxique [TEN](par exemple, une infection par le virus de la grippe aviaire, ou des cloques graves associées à la toxine staphylococcique). La présence de neutrophiles est en faveur d’une réponse aux stéroïdes, l’éosinophilie à proximité de l’épiderme est en faveur d’un événement allergique ou bulleux auto-immun, la vascularite sans éosinophilie est en faveur d’un événement réactionnel (viral, streptococcique, rickettsien) ou d’une maladie auto-immune systémique.
Les tests et les résultats
L’examen de base comprend la chimie clinique (bilan hépatique : médicaments, viral), l’hémogramme : lymphopénie (maladie virale), leucocytose (infection, vascularite, syndrome d’hypersensibilité), éosinophilie (allergie) et CRP (infection, vascularite). Les IgM spécifiques n’ont de sens que pour les infections survenant au cours des quatre premières semaines et en cas d’informations importantes sur d’éventuels agents infectieux (par exemple en raison de femmes enceintes) ou en cas de suspicion spécifique d’un agent pathogène tel que le VIH, l’EBV ou le parvovirus B19. Comme les exanthèmes viraux apparaissent relativement tard (parfois après 2 semaines, parfois après 3 semaines), la séroconversion avec mise en évidence d’anticorps spécifiques est une étape importante. IgG déjà 1 à 2 semaines après le début de l’exanthème, possible environ quatre semaines après la contamination. En cas d’infection streptococcique, l’AC antiStrepto-Dornase B indique mieux une infection active que l’AC ASLO, qui persiste alors davantage comme marqueur sérologique. D’autres examens spécifiques comme la radiographie ou le quantiféron ne seraient à ajouter qu’en cas de symptômes cliniques correspondants (toux, sueurs nocturnes), d’indices à l’histologie ou de persistance de l’exanthème (réaction tuberculoïde, lichen scrofulosorum par exemple = tuberculose).
Tests cutanés/laboratoire d’allergologie
En principe, tous les médicaments peuvent provoquer des allergies de type immédiat ou retardé. La classification de l’exanthème aide donc à déterminer le type de test à effectuer ; test intradermique, scratch et prick-test pour les réactions de type immédiat et, pour le type tardif, scratch-patch ou tests épicutanés avec lecture à 24 et 48 heures. Cependant, la standardisation des tests est d’autant plus faible que le médicament a été rarement décrit comme responsable d’une réaction allergique. De même, la sensibilité peut varier considérablement, mais elle est heureusement très élevée pour les médicaments fréquemment incriminés (pénicillines, novaminsulfone, héparines, imidazoles, etc.). En cas de réactions médicamenteuses très graves, les tests cutanés ne sont pas recommandés afin d’éviter une répétition théorique de l’exanthème. Cependant, des études récentes ont montré que les tests cutanés étaient sans danger pour les RTE et le syndrome de Steven Johnson (SJS).
Une autre possibilité de test est de réaliser un test de transformation des lymphocytes dans des laboratoires spécialisés (bien standardisé, mais surtout éprouvé pour les antibiotiques, évaluation semi-quantitative). Les tests d’activation des basophiles et la libération d’histamine par les basophiles après incubation avec des médicaments ou des allergènes naturels (plantes, venins d’insectes) donnent également des résultats plus ou moins sûrs. L’étude des IgE spécifiques permet de détecter une partie des allergies de type immédiat aux pénicillines et aux céphalosporines, mais pas les allergies de type tardif.
Exanthèmes médicamenteux et exanthèmes réactifs
Sur la base d’une enquête clinique prospective, d’un examen histopathologique, de tests et du laboratoire chez des patients présentant des symptômes initiaux d’exanthème généralisé, nous avons pu établir des différences claires entre les exanthèmes allergiques et réactifs [2].
Plus fréquemment, les réactions allergiques aux médicaments présentent un début et une accentuation des flexions (axillaires, inguinales, du coude et des genoux), de l’intérieur des bras et des jambes, des fesses et du cou (Fig. 1a). Les exanthèmes réactifs, en revanche, sont plus présents sur les extrémités externes, palmoplantaires et sur les flancs (Fig. 1b). [3]. L’histopathologie fournit une indication décisive avec une participation plus importante de l’épiderme et des granulocytes éosinophiles proches de l’épiderme. Néanmoins, les différents exanthèmes médicamenteux ainsi que les exanthèmes réactifs se distinguent les uns des autres par l’activation de certaines populations cellulaires et les exanthèmes médicamenteux en particulier par des modifications épidermiques parfois caractéristiques. Le laboratoire peut montrer une éosinophilie dans les allergies médicamenteuses. Une élévation du bilan hépatique peut également être observée en cas d’infection virale. Enfin, les tests cutanés et les méthodes de laboratoire doivent permettre de confirmer ou d’exclure une allergie à des médicaments commencés pendant cette période.
Divers Exanthèmes médicamenteux
Trois questions se posent ici :
- S’agit-il d’une réaction dangereuse ?
- De quelle forme d’exanthème médicamenteux s’agit-il ?
- Quel est le médicament déclencheur ?
Bien que certains médicaments prédisposent à certaines formes d’exanthème, tous les médicaments, ainsi que les produits à base de plantes ou les additifs, peuvent en principe entraîner une forme quelconque d’exanthème médicamenteux. Les suspects habituels sont toutefois les antibiotiques, les analgésiques, les antiépileptiques et les produits de contraste. Les médicaments à suspecter ont été administrés soit 1 à 2 jours auparavant en cas de sensibilisation déjà présente (urticaire : dans les 2 heures, produits de contraste souvent déjà après 12 heures), soit après 7 jours (pustulose exanthématique aiguë généralisée [AGEP], vascularite allergique) à 10 jours (exanthème maculopapuleux, TEN, SJS, exanthème médicamenteux de type eczéma). L’exception est ici la “drug reaction with eosinophilia and systemic signs” ([DRESS], anciennement : réaction d’hypersensibilité), qui survient deux à douze semaines après le début du traitement médicamenteux (généralement des antiépileptiques).
Il est important à ce moment-là d’identifier les réactions médicamenteuses potentiellement les plus graves, à savoir AGEP, DRESS, SJS et TEN. Ce dernier est associé à un taux de mortalité pouvant atteindre 50%. Alors que le DRESS se caractérise par une éosinophilie particulièrement élevée, une élévation des valeurs hépatiques et l’implication d’autres organes (cœur, poumons), les autres se distinguent sur le plan clinique ou histopathologique.L’AGEP débute généralement par un érythème universel sur le tronc et le visage et des pustules de la taille d’une épingle au maximum, qui ne sont souvent découvertes qu’à l’histopathologie en raison de leur petite taille, et une inflammation riche en neutrophiles, qui indique une réponse aux stéroïdes systémiques. Le SJS et le TEN sont définis par la surface des bulles (SJS <10%, SJS/TEN overlap >10%, TEN >30%) et commencent par des macules targetoides plates (contrairement à l’érythème exsudatif multiforme [EEM]) avec un centre sombre et une atteinte précoce du visage et des muqueuses. Une biopsie précoce peut révéler l’étendue attendue de la nécrose de l’épiderme avec des kératinocytes basaux qui disparaissent sans grande inflammation et donc ce diagnostic. Cependant, les exanthèmes maculopapuleux(figure 2) et le SDRIFE sont les plus fréquents, avec un maximum presque toujours situé sur la fesse, l’inguinal et le génitoanal.
Pour tous les exanthèmes médicamenteux avec une sélection de déclencheurs possibles, les exanthèmes médicamenteux sévères et la nécessité de rechercher des médicaments de substitution, une enquête allergologique est indiquée à partir de quatre semaines après l’exanthème(figure 3).
Fig. 2 : Exanthème maculopapuleux médicamenteux accentué par la flexion
Fig. 3 : Test cutané positif (scratch-patch) à la simvastatine après 24 heures
Exanthème réactif
De nombreuses maladies virales et infections streptococciques présentent un schéma typique de morphes individuels (par exemple morbilliforme, scarlatiniforme, etc.) et un déroulement typique avec une latence définie au moment de la contagion, ainsi qu’un schéma de distribution qui correspond souvent à celui des autres exanthèmes réactifs(figure 4). Ce sont surtout les infections virales ainsi que l’EEM qui peuvent aussi atteindre les muqueuses, présenter des lésions palmoplantaires et toucher davantage les faces externes des extrémités. En outre, à l’exception de l’EEM, le tronc est souvent impliqué (voir ci-dessus). Certains exanthèmes viraux comme la rougeole avec la forte réaction sur les muqueuses et le début de l’exanthème derrière les oreilles, ou le parvovirus B 19 avec l’ensemencement pétéchial réticulé sur les extrémités(fig. 5) sont assez caractéristiques. La CRP élevée, la monocytose et la lymphopénie dans l’hémogramme ainsi que les lymphocytes réactifs fournissent également des indications. L’histopathologie des exanthèmes viraux montre une inflammation généralement superficielle avec des lymphocytes réactifs et, contrairement à l’exanthème médicamenteux, une faible participation de l’épiderme. Les hémorragies et les vascularites ne sont pas rares.
En outre, nous trouvons souvent d’autres situations et des agents bactériens qui entraînent une réaction cutanée. Qui est prédisposé à souffrir d’un tel exanthème réactif d’origine non virale ? Nous trouvons souvent les exanthèmes réactifs chez les patients souffrant de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, de chirurgies intestinales répétées, de surinfections cutanées ou d’infections récurrentes. Les antigènes ou toxines bactériens entraînent ici une “allergie à l’infection” par sensibilisation présumée et reconnaissance par le système immunitaire adaptatif. Les réactions sont urticariennes, maculopapuleuses, eczémateuses ou multiformes et apparaissent rapidement (1 à plusieurs jours) après une intervention ou au début d’une antibiothérapie. Les staphylocoques occupent une place particulière dans les plaies et les dermatoses surinfectées et provoquent un ensemencement d’efflorescences eczémateuses ou maculopapuleuses confluentes (appelées staphylocoques), semblables à un eczéma de contact diffus(pour la répartition, voir la figure 6). Histopathologiquement, l’infiltrat est plus profond dans les exanthèmes bactériens réactifs que dans les exanthèmes médicamenteux, en cas de recrutement de lymphocytes à partir des vaisseaux dermiques profonds et, surtout, en cas de réaction déclenchée par des staphylocoques (où l’on trouve également des granulocytes éosinophiles). En biopsiant directement la surinfection, on trouve naturellement un infiltrat riche en neutrophiles et/ou des signes d’impétigo.
Fig. 4 : exanthème viral, avec pétéchies, épargnant les fléchisseurs
Fig. 5 : Exanthème caractéristique en forme d’éclair chez le parvovirus B19
Limitation
Des difficultés de diagnostic subsistent néanmoins, cliniquement pour les érythrodermies qui pourraient être l’expression d’une dermatose généralisée comme un eczéma ou un lymphome. Certains exanthèmes médicamenteux, notamment le syndrome DRESS, sont par ailleurs l’expression d’une réactivation virale et présentent des lois propres, notamment avec une implication des organes internes, ou un exanthème médicamenteux est dépendant de la présence d’une infection virale (exanthème du 10ème jour pour l’EBV avec la pénicilline) [4]. L’absence de standardisation ou de données sur la sensibilité ou la spécificité des tests cutanés allergologiques ou des LTT pour de nombreux médicaments pose également problème. Le traitement complémentaire par stéroïdes peut justement modifier considérablement le tableau histopathologique et entraîner rapidement la disparition des granulocytes éosinophiles, des neutrophiles et une vascularite.
Conclusion
Nous nous sommes souvent fiés à notre instinct pour évaluer les exanthèmes et avons souvent pris la bonne décision. Grâce à une approche systématique et à l’interaction entre l’anamnèse, l’étude des symptômes cliniques, les schémas de distribution et les caractéristiques des lésions cutanées, il est possible de poser des jalons précoces et de faire la distinction entre les exanthèmes allergiques et les autres. L’analyse de biopsies cutanées, les examens de laboratoire et, à un stade ultérieur, les examens allergologiques constituent d’autres piliers de l’enquête. Les médicaments doivent toujours être pris en compte, mais certains patients souffrant d’infections récurrentes et d’inflammation chronique de l’intestin, par exemple, présentent des réactions non allergiques.
Distinguer les réactions médicamenteuses des exanthèmes réactionnels permet de choisir correctement le traitement et les médicaments. Une action rapide en cas d’allergie médicamenteuse peut raccourcir considérablement les réactions graves de la peau et des muqueuses et améliorer le pronostic.
Dr. med. Mark David Anliker
Littérature :
- Heinzerling LM, et al. : Is drug allergy less prevalent than previously assumed ? Une analyse sur 5 ans. Br J Dermatol 2012 ; 166 : 107-114.
- Anliker MD, et al : Différentes distributions et modèles cliniques dans les réactions allergiques aux médicaments vs. exanthèmes réactifs/para-infectieux. Présentation d’un poster à la réunion annuelle de la SSDV 2012, Berne, Suisse.
- Winnicki M, et al : A systematic approach to systemic contact dermatitis and symmetric drug-related intertriginous and flexural exanthema (SDRIFE) : a closer look at these conditions and an approach to intertriginous eruptions. Am J Clin Dermatol 2011 ; 12 : 171-180.
- Descamps V, et al : Saliva Polymerase Chain Reaction Assay for Detection and Follow-up of Herpesvirus Reactivation in Patients With Drug Reaction With Eosinophilia and Systemic Symptoms (DRESS). JAMA Dermatol 2013 ; 149 : 565-569.
DERMATOLOGIE PRAXIS 2013, édition 4 ; 10-14