Les systèmes de soins complexes représentent un risque pour les patients. La sécurité des patients en oncologie peut être améliorée par une standardisation des procédures, des solutions technologiques et une culture de la sécurité consolidée.
L’espérance de vie des patients atteints de cancer a considérablement augmenté au cours des dernières décennies grâce aux progrès de la thérapie. En Angleterre, par exemple, le taux de survie à 10 ans, tous types de cancer confondus, a doublé entre 1971 et 2011, passant de 24% à 50% [1]. C’est une excellente réussite. Cependant, avec l’amélioration des possibilités de traitement, les thérapies médicales sont devenues plus lourdes, le nombre de médicaments et les voies d’administration ont augmenté et la chronologie des thérapies, leurs schémas et les calculs de dose sont devenus plus complexes. Avec cette variabilité, le risque d’erreurs dans les soins a augmenté. Par exemple, le risque d’erreur de prescription augmente considérablement si la surface corporelle et la fonction rénale doivent être prises en compte dans le calcul de la dose [2].
De plus, l’organisation des soins aux patients est devenue beaucoup plus difficile. Il y a de fréquents changements inter- et intra-sectoriels de patients, de nouvelles spécialisations, une forte fragmentation et division du travail et des processus compliqués qui en résultent. L’utilisation de nouvelles technologies entraîne également une plus grande complexité. Tous ces facteurs entraînent une augmentation des interfaces, de la communication et de l’interaction.
Cependant, les conditions dans lesquelles les soins oncologiques sont prodigués (notamment l’environnement de travail des professionnels) sont souvent en retard sur les progrès de la médecine. Il y a des ruptures d’information (par exemple entre l’ambulatoire et le service, entre les médecins et les soins, entre la prescription et la fabrication) dues à l’incompatibilité des systèmes informatiques.
Un problème typique est l’interférence avec les processus à haut risque tels que la prescription et l’application de chimiothérapies. Les interruptions sont associées à une augmentation des erreurs cliniquement significatives [3]. Selon une étude canadienne, les oncologues sont interrompus en moyenne huit fois par heure lorsqu’ils prescrivent des médicaments [4]. Dans une enquête, les infirmières en Suisse ont également signalé des perturbations dans le double contrôle des médicaments oncologiques (tableau 1) [5].
En résumé, il faut constater que beaucoup de ressources sont investies dans la sécurité des médicaments, mais relativement peu dans la sécurité de l’organisation des soins, comme par exemple le processus de médication. Contrairement à d’autres domaines à haut risque, le système de santé s’appuie encore trop sur la capacité illimitée des individus. Il est toutefois insuffisant d’attribuer les erreurs à l’individu. Les événements indésirables ont généralement plusieurs causes.
Processus
Des processus peu clairs et non uniformes sont par exemple une cause importante d’erreurs de médication. La réduction des variations inutiles dans les processus et les procédures est une caractéristique essentielle des organisations dites de haute fiabilité. Comme de nombreuses évolutions ne peuvent être prévues avec précision, il est indispensable de faire preuve d’une grande flexibilité dans le domaine des soins de santé. Néanmoins, il offre la possibilité de réglementer clairement les processus récurrents (par exemple, l’adaptation des règlements). En particulier dans les services ambulatoires où la fréquence des patients est élevée, il arrive souvent que toutes les personnes ne soient pas informées des adaptations thérapeutiques. Ainsi, il peut arriver que l’infirmier(ère) parte de la médication initiale alors que le médecin a déjà discuté d’une adaptation avec le patient. Les analyses d’incidents montrent que de telles situations, typiquement associées à des vitesses de processus différentes (fin de la consultation avec ajustement de la dose et prise en charge du patient par l’infirmière pour le traitement), neutralisent souvent les barrières de sécurité existantes.
Dans le cadre d’un processus clairement défini, les modifications actuelles de la médication doivent être communiquées explicitement en tant que modifications, en plus de la prescription écrite, et les niveaux de connaissances sur les étapes suivantes doivent être à nouveau comparés avant de poursuivre le processus de traitement. Pour garantir cela, on peut par exemple stipuler que la communication doit encore avoir lieu avant que le patient concerné ne quitte la salle de consultation. Cela évite au médecin traitant d’être retardé en route pour un nouveau patient ou une nouvelle tâche, ou d’oublier de valider ou de communiquer le changement de prescription [6].
Il est également important de disposer d’instructions claires sur la mise en œuvre des mesures de sécurité telles que les doubles contrôles. Alors que le double contrôle s’impose de plus en plus, tant pour la prescription que pour le jugement, il existe souvent une grande confusion sur la manière de mettre en œuvre un double contrôle efficace. Dans la vie de tous les jours, cela se traduit par un processus très différent et, la plupart du temps, il s’agit plus d’un “contrôle commun” que d’un contrôle indépendant par deux personnes. Toutefois, un double contrôle n’est efficace que si la personne qui effectue le contrôle vérifie les médicaments sans s’y attendre. Sinon, il est facile d’avoir un biais de confirmation (“nous voyons ce que nous attendons”) et une diffusion de la responsabilité.
Technologie
Les mesures centrales et efficaces pour prévenir les incidents sont les barrières techniques ou technologiques. Il s’agit par exemple de l’utilisation de codes-barres pour les bracelets des patients, les médicaments à haut risque et les produits sanguins afin d’éviter toute confusion. L’absence totale d’injections de vincristine en bolus pour prévenir les erreurs fatales d’application intrathécale est un bon exemple de mesure technique “forte”. Le passage systématique aux perfusions courtes (“mini bags”) rend pratiquement impossible la confusion entre les voies iv et ith et la dangereuse erreur d’application qui en résulte. Malgré les recommandations de nombreuses organisations internationales d’experts et de l’OMS, le passage aux perfusions courtes est malheureusement loin d’être généralisé [7,8]. Il est plus fréquent de recourir à des mesures plutôt “faibles”, comme l’utilisation d’avertissements ou de consignes. Il s’agit toutefois de barrières qui peuvent être ignorées ou contournées au quotidien. Le passé montre malheureusement que même des professionnels hautement qualifiés et motivés peuvent commettre de telles erreurs.
Culture
Une culture de la sécurité forte est une autre ressource pour améliorer la sécurité des patients. Dans la pratique, les hiérarchies entravent souvent les échanges ouverts. Nous avons pu montrer, dans le cadre d’une étude menée en Suisse, que de nombreux professionnels de l’oncologie sont tout à fait conscients des dangers qui les entourent, mais qu’ils ne les abordent souvent pas au sein de leur équipe [9,10]. Pour encourager une discussion ouverte sur les erreurs (“speak up”), le soutien des dirigeants est essentiel – ils devraient encourager un échange ouvert sur les (presque) erreurs au sein de l’équipe. Pour ce faire, les équipes ne doivent pas seulement se baser sur des situations historiques, mais aussi identifier les menaces futures grâce à l’analyse des risques. Les conférences sur la sécurité clinique, au cours desquelles les cliniciens et les experts en sécurité des patients échangent des informations sur les dangers concrets qu’ils rencontrent au quotidien et développent ensemble des solutions, constituent un moyen d’action possible. L’implication des patients peut également contribuer à améliorer la sécurité des patients. De nombreux patients oncologiques sont préoccupés par leur sécurité et sont prêts à s’engager dans la mesure de leurs possibilités et de leurs compétences [11]. Il est notamment important d’encourager les patients à aborder directement les erreurs potentielles (par exemple, une erreur de patient) [12]. Un changement de culture approprié nécessite du temps et l’engagement de toutes les parties concernées, mais il contribue grandement à améliorer la sécurité.
Les erreurs ne peuvent pas être totalement évitées, même dans les soins oncologiques. Mais nous pouvons ensemble rendre le système aussi résistant que possible.
Messages Take-Home
- Les systèmes de soins complexes représentent un risque pour les patients.
- Pour améliorer la sécurité des patients dans les soins oncologiques, il faut une standardisation des procédures, des processus et des informations (p. ex. transferts, doubles contrôles), des solutions techniques et technologiques (p. ex. codes-barres, vincristine non plus en bolus avec compatibilité Luer-Lock), un changement de culture (p. ex. “speaking up”, implication des patients).
Littérature :
- Quaresma M, Coleman MP, Rachet B : 40-year trends in an index of survival for all cancers combined and survival adjusted for age and sex for each cancer in England and Wales, 1971-2011 : a population-based study. The Lancet 2015 ; 385 : 1206-1218.
- Mattsson TO, et al : Non-intercepted dose errors in presricing anti-neoplastic treatment : a prospective, comparative cohort study. Annals of Oncology 2015 ; 26 : 981-986.
- Trbovich P, et al : Interruptions lors de la livraison de médicaments à haut risque. Journal of Nursing Administration 2010 ; 40 : 211-218.
- Trbovich P, et al : The Effects of Interruptions on Oncologists’ Patient Assessment and Medication Ordering Practices. Journal of Healthcare Engineering 2013 ; 4 : 127-144.
- Schwappach DL, Pfeiffer Y, Taxis K : Medication double-checking procedures in clinical practice : a cross-sectional survey of oncology nurses’ experiences. BMJ Open 2016 ; 6(6) : e011394. DOI: 10.1136/bmjopen-2016-011394.
- Bunnell CA, et al : High performance teamwork training and systems redesign in outpatient oncology. BMJ Quality & Safety 2013 ; 22 : 405-413.
- Hoppe-Tichy T, Horscht J, Schöning T : Administration intrathécale accidentelle de vincristine. Pharmacie hospitalière 2010 ; 31 : 181-187.
- Gilbar P, Chambers CR, Larizza M : Medication safety and the administration of intravenous vincristine : International survey of oncology pharmacists. Journal of Oncology Pharmacy Practice 2015 ; 21 : 10-18.
- Schwappach DL, Gehring K : ‘Saying it without words’ : a qualitative study of oncology staff’s experiences with speaking up about safety concerns. BMJ Open 2014 ; 4 : e004740.
- Schwappach DL, Gehring K : Fréquence et prédicteurs de la prise en compte des préoccupations de sécurité des patients parmi le personnel de l’oncologie : une étude par sondage. European Journal of Cancer Care 2015 ; 24 : 395-403.
- Schwappach DL, Wernli M : Perceptions des patients en chimiothérapie sur la sécurité de l’administration des médicaments. Journal of Clinical Oncology 2010 ; 28 : 2896-2901.
- Schwappach DL, Frank O, Hochreutener M : Éviter les erreurs – Aidez-nous ! Votre sécurité à l’hôpital. Zurich : Fondation pour la sécurité des patients. 2010.
InFo ONKOLOGIE & HÉMATOLOGIE 2017 ; 5(5):24-26