Trois experts renommés dans le domaine de la polyarthrite rhumatoïde, le professeur Edward Keystone de Toronto, le professeur Ronald van Vollenhoven de Stockholm et le professeur Peter Taylor d’Oxford, ont présenté un aperçu des desiderata actuels dans le traitement de cette maladie lors du congrès EULAR de cette année à Madrid. Les différences d’appréciation de la maladie par le patient et le médecin, ainsi que les mauvaises adhésions, ont une influence décisive sur le succès du traitement. Les glucocorticoïdes peuvent être utilisés efficacement dans le traitement de la PR précoce. Les agents à base intracellulaire pourraient à l’avenir constituer un pilier important dans le traitement de la PR.
Edward Keystone, Toronto, a tout d’abord présenté un aperçu des questions importantes à prendre en compte pour obtenir un succès thérapeutique dans la polyarthrite rhumatoïde (PR). Il a notamment abordé les points suivants :
L’évaluation du patient ne doit pas nécessairement être en corrélation avec l’examen général du médecin : Il est tout à fait possible que l’évaluation par le patient de l’activité de la maladie dans la PR ne corresponde pas aux résultats du médecin. Cela peut influencer fondamentalement la décision thérapeutique. Il est donc important de comprendre les mécanismes qui conduisent à une telle disparité. Une étude menée par Akhavan et al. (2012) montre que : La divergence entre le “patient global assessment” (PTGA) et le “physician global assessment” (MDGA) dans la PR précoce est significativement influencée par le “swollen joint count” (SJC) et l’échelle de douleur (1 à 10). Des études antérieures avaient déjà indiqué que l’échelle de douleur était un facteur d’influence important, les auteurs ont désormais trouvé une significativité pour le SJC [1].
L’objectif du patient est avant tout de réduire les symptômes, tandis que celui du médecin est d’éviter les dommages structurels. Pour cette raison, selon le professeur Keystone, il n’est pas surprenant que le PTGA ne corresponde pas à l’évaluation du médecin en ce qui concerne l’activité de la maladie.
Adhésion à la stratégie Treat-to-Target : les résultats de la cohorte DREAM ont montré une bonne adhésion de 80,5% des patients du groupe en rémission (DAS28 <2,6) avec une PR précoce. 19,5% des patients n’ont pas suivi les recommandations du médecin, ce qui signifie qu’ils ont arrêté ou suivi négligemment le traitement médicamenteux recommandé (7,2%) ou qu’ils l’ont poursuivi alors que le médecin ne le leur avait pas conseillé (6,2%). Une intensification sur avis médical contraire a eu lieu dans 4,3% des cas [2].
Dans le groupe non rémission (DAS28 ≥2,6), les résultats étaient légèrement moins bons : seuls 57,9% étaient adhérents, tandis que 42,1% ont poursuivi ou arrêté le traitement, bien qu’une intensification ait été conseillée [2].
Bien que l’étude montre qu’il est possible d’appliquer une stratégie de traitement à la cible en cas de PR précoce, car l’adhérence est généralement élevée, le professeur Keystone estime que certains facteurs problématiques doivent être pris en compte pour mettre en œuvre ce traitement dans la pratique médicale quotidienne :
- L’évaluation de l’activité de la maladie par le médecin diffère de celle par le patient.
- L’indice résumé ou le moment de l’ajustement thérapeutique peut ne pas refléter la réalité clinique pour le médecin.
- L’adhésion n’est pas toujours au rendez-vous.
Selon le professeur Keystone, ces problèmes peuvent être résolus avant tout en faisant en sorte que le médecin lui-même, mais aussi le patient, indépendamment de ses symptômes, soient convaincus que la stratégie Treat-To-Target est efficace.
Thérapies combinées
Le deuxième orateur, le professeur Roland van Vollenhoven, Stockholm, a abordé les formes de traitement par glucocorticoïdes. L’étude BARFOT de Svensson et al. 2005 a démontré qu’un traitement à faible dose de glucocorticoïdes pouvait être efficace. Un traitement par prednisolone en complément d’un traitement initial par un “disease-modifying antirheumatic drug” (DMARD) a permis d’obtenir des taux de rémission élevés, a retardé la progression d’une lésion radiographique et a été bien toléré. Les données soutiennent donc l’utilisation de la prednisolone à faible dose en tant que complément aux DMARD dans la PR précoce [3].
Hetland et al. ont étudié en 2006, d’une part, le succès d’un traitement combiné par méthotrexate et bétaméthasone intra-articulaire en cas de PR précoce et, d’autre part, l’effet supplémentaire d’une adjonction de ciclosporine. Les résultats montrent un très bon contrôle de la maladie par l’administration combinée de méthotrexate et de glucocorticoïde intra-articulaire. L’ajout de la ciclosporine a amélioré l’ACR20 et l’ACR-N, tandis que l’ACR50 et l’ACR70, les taux de rémission et les changements radiographiques ne différaient pas entre les deux groupes d’étude [4].
En ce qui concerne le rôle des produits biologiques, il existe plusieurs points en suspens qui doivent faire l’objet de discussions et de recherches supplémentaires. Selon le professeur van Vollenhoven, les inhibiteurs du TNF n’ont pas d’effet universel et il n’est pas évident de savoir vers quel agent changer après l’échec de l’inhibiteur initial du TNF. Malgré ces problèmes non résolus, le large éventail de recherches existantes à ce jour laisse espérer de nouveaux progrès dans ce domaine [5].
Thérapie à base intracellulaire
Peter Taylor, d’Oxford, a abordé la grande hétérogénéité de la maladie. Selon le professeur Taylor, la PR est un syndrome hétérogène qui peut emprunter de nombreuses voies inflammatoires différentes. Les thérapies biologiques actuelles ciblent les cytokines extracellulaires, les récepteurs ainsi que les cibles à la surface des cellules. Il est toutefois possible de créer de petites molécules synthétiques qui présentent une sélectivité pour les cibles intracellulaires ou les enzymes. Plusieurs inhibiteurs de Janus kinase (JAK) sont en cours de développement ou déjà sur le marché.
- Le tofacitinib est un inhibiteur de JAK-3, ce qui signifie qu’il interfère avec la voie de signalisation dite JAK-STAT, qui transmet les informations extracellulaires au nucléus cellulaire.
- Le baricitinib est un inhibiteur oral des JAK-1 et JAK-2, actuellement en phase III de développement pour son action sur la PR. Les résultats actuels montrent une efficacité clinique vs. placebo en combinaison avec le MTX.
- GLPG0634 est le premier inhibiteur sélectif de JAK-1 (actuellement en phase II). Selon le professeur Talyor, sa sélectivité pourrait conduire à un niveau élevé de réponse anti-inflammatoire.
- VX-509 est un inhibiteur oral sélectif de JAK-3 qui est également en phase II de son développement. Il a été démontré qu’il peut être utilisé efficacement en monothérapie chez les patients atteints de PR avec une maladie active.
D’autres molécules fonctionnant sur une base intracellulaire sont également en cours de développement (inhibiteur de la PDE-4, l’aprémilast, ou inhibiteur de la syk, le fostamatinib). Compte tenu du choix croissant de cibles thérapeutiques, l’intensification de la recherche est d’autant plus importante, conclut le professeur Taylor. A l’avenir, chaque patient atteint de PR devra faire l’objet d’une évaluation individuelle des risques avec un bilan coûts/bénéfices précis.
Source : “How Today’s Evidence Is Shaping Tomorrow’s RA Therapy”, symposium satellite de l’EULAR, 12-15 juin 2013, Madrid.
Littérature :
- Akhavan P, et al : Discrepancy between patient and physician global assessments in early rheumatoid arthritis (ra) – the need for swollen joint evaluation. Ann Rheum Dis 2012 ; 71(3) : 340.
- Vermeer M, et al : Adhérence à une stratégie de traitement à la cible dans la polyarthrite rhumatoïde précoce : résultats de la cohorte DREAM remission induction. Arthritis Research & Therapy 2012, 14 : R254. doi:10.1186/ar4099.
- Svensson B, et al : Low-dose prednisolone in addition to the initial disease-modifying antirheumatic drug in patients with early active rheumatoid arthritis reduces joint destruction and increases the remission rate : a two-year randomized trial. Arthritis Rheum 2005 Nov ; 52(11) : 3360-3370.
- Hetland ML, et al. (Groupe d’étude CIMESTRA) : Combination treatment with methotrexate, cyclosporine, and intraarticular betamethasone compared to methotrexate and intraarticular betamethasone in early active rheumatoid arthritis : an investigator-initiated, multicenter, randomized, double-blind, parallel-group, placebo-controlled study. Arthritis Rheum 2006 May ; 54(5) : 1401-1409.
- Van Vollenhoven RF : Questions non résolues dans le traitement biologique de l’arthrite rhumatoïde. Nat Rev Rheumatol. 2011 Avr ; 7(4) : 205-215. doi : 10.1038/nrrheum.2011.22. Epub 2011 Mar 8.