Environ deux tiers des patients épileptiques peuvent être libérés des crises sans effets secondaires intolérables grâce à une pharmacothérapie antiépileptique adaptée et prise régulièrement. La prise régulière de médicaments est plus facilement atteinte avec le patient en tant que partenaire autonome et responsable dans la relation médecin-patient, au sens des concepts d’adhésion et de concordance. Des dosages répétés, en routine ou en post-traitement, des concentrations sériques des antiépileptiques et leur interprétation appropriée peuvent aider à détecter les défauts d’observance et à optimiser les pratiques de prise.
Les épilepsies sont un groupe de maladies cérébrales chroniques très nombreuses et très diverses qui ont en commun la survenue de crises d’épilepsie non provoquées.
Dans la plupart des cas, le traitement est exclusivement symptomatique, c’est-à-dire qu’il n’agit pas sur la pathologie cérébrale épileptogène elle-même, mais a pour objectif de supprimer le symptôme “crise d’épilepsie”.
La pharmacothérapie antiépileptique permet à environ deux tiers des personnes concernées de ne plus avoir de crises sans effets secondaires intolérables [1]. Du point de vue du patient, cela signifie la prise quotidienne régulière d’un ou plusieurs médicaments pendant de nombreuses années, souvent même à vie. Même l’omission d’une seule dose peut entraîner la survenue d’une crise, avec toutes les conséquences médicales et sociales que cela implique (blessures, perte de l’aptitude à conduire, incapacité de travail). Ainsi, le succès du traitement de l’épilepsie, comme celui d’autres maladies chroniques, dépend de l’adhésion au traitement, résultat de la collaboration entre le patient et le médecin, ce que l’on décrivait autrefois par le terme de compliance, et plus tard et plus récemment par les termes d’adhésion et de concordance.
Les définitions de ces trois termes sont expliquées ci-dessous, puis nous utiliserons principalement le terme d’adhésion. L’importance et les causes du manque d’adhérence dans le traitement de l’épilepsie sont ensuite abordées. La détection d’un manque d’adhésion n’est souvent pas facile dans la pratique. Outre une anamnèse soigneuse et prudente, les dosages des concentrations sériques d’antiépileptiques peuvent jouer un rôle, dont l’utilisation est expliquée. Il propose ensuite des moyens pratiques d’obtenir une adhésion stable et donc l’absence de crises, condition préalable à une participation sociale maximale de la personne concernée.
Comme l’adhérence d’un patient individuel a donc aussi une dimension sociale (notamment pour l’évaluation de l’aptitude à la conduite ou de la capacité à travailler ou à se réinsérer), son évaluation a un rôle à jouer dans l’évaluation/l’expertise médico-sociale des patients épileptiques, ce qui sera abordé en conclusion.
Définitions
L’observance est la mesure dans laquelle un patient suit les instructions du médecin. Par rapport à une prise régulière de médicaments prescrits, l’observance signifie donc la fréquence à laquelle un médicament prescrit est pris. Il s’agit donc d’une valeur mesurable, par exemple sous la forme d’un pourcentage, qui peut être utilisée dans des études.
Le terme plus récent d’adhésion prend désormais davantage en compte le point de vue du patient, dans la mesure où la participation à un traitement repose sur une décision consciente du patient. Il s’agit donc de la mesure dans laquelle le patient consent consciemment à une thérapie proposée et la suit ensuite. Le patient n’est donc plus considéré comme un simple exécutant des prescriptions médicales, mais comme une personne qui décide de manière autonome de son traitement. Pour que cela soit possible, le patient doit être informé en détail par le médecin des avantages, des inconvénients et des alternatives d’un traitement particulier proposé. Cet aspect est désormais pris en compte par la notion de concordance . Il s’agit de la mesure dans laquelle un schéma de traitement est respecté par une communication ouverte entre le médecin et le patient, en intégrant les idées du patient dans le processus de décision. Ainsi, la concordance implique l’ensemble du processus entre le médecin et le patient, qui vise à ce que le patient puisse être convaincu du traitement proposé afin de pouvoir le suivre de manière fiable [2].
Les trois notions expliquées reflètent donc une évolution dans la compréhension de la relation médecin-patient lors de la mise en œuvre de thérapies de longue durée, qui doit également se refléter dans la prise en charge médicale des patients épileptiques, comme nous le verrons ci-après.
Épidémiologie, importance et causes du manque d’adhésion
Jusqu’à 50% des patients souffrant de maladies chroniques et nécessitant un traitement médicamenteux ne le prennent pas conformément à la prescription du médecin, et la quantité prise est généralement inférieure à celle prescrite. Cela a non seulement des effets négatifs sur les patients individuels, mais aussi des effets économiques défavorables sur l’ensemble du système de santé. Selon une étude suédoise qui a examiné l’importance économique du manque d’adhésion, cela entraîne des dépenses supplémentaires inutiles de 40 à 50 % des dépenses totales en médicaments, selon le modèle utilisé. Ce chiffre ne tient pas compte des coûts engendrés par les mesures médicales rendues nécessaires par le manque d’adhésion (comme l’hospitalisation d’urgence) [3].
Malheureusement, il n’existe pas d’études épidémiologiques examinant systématiquement la fréquence et la pertinence des défauts d’observance dans les cas d’épilepsie. Seules de petites études permettent d’imaginer l’ampleur considérable de ce phénomène et son importance chez les patients qui ne parviennent pas à se débarrasser de leurs crises malgré une médication prescrite de manière adéquate. Ainsi, dans une étude, 20 patients épileptiques ont reçu une boîte de comprimés munie d’un dispositif électronique qui enregistrait à chaque fois l’ouverture. Le taux d’ouverture conforme à la prescription était de 88% juste avant et de 86% juste après une consultation, mais de 67% seulement un mois plus tard [4].
Le manque d’adhérence est souvent responsable de la survenue de crises, comme le montre une étude qui a comparé les concentrations sériques obtenues par voie postiche avec la moyenne de deux valeurs déterminées en routine chez 52 patients ayant eu 61 crises. Dans 44,3% des crises, les concentrations sériques postiches étaient inférieures de plus de 50% à la moyenne des valeurs obtenues en routine, ce qui a été considéré comme une conséquence d’une prise insuffisante de médicaments [5]. Il est également probable que des défauts d’adhérence jouent un rôle dans le déclenchement de l’état de mal épileptique ou de la mort subite inattendue dans l’épilepsie (SUDEP) [6,7].
Il n’existe pas d’études systématiques sur les causes du manque d’adhésion. Dans les publications susmentionnées, différents facteurs favorisant la survenue d’un manque d’adhésion sont discutés et peuvent souvent être combinés chez un même patient. Il s’agit d’effets secondaires, de dysfonctionnements cognitifs, de comorbidités psychiatriques (par ex. troubles de l’adaptation, dépression, psychose, troubles de la personnalité), d’une conception non somatique de la maladie, de bénéfices primaires, secondaires et tertiaires de la maladie.
Détection d’un manque d’adhésion
Là encore, il n’existe aucune étude évaluant ou même comparant les différentes méthodes de détection. Sur la base de la longue expérience de l’auteur, l’outil le plus important pour identifier un problème d’adhésion est une anamnèse minutieuse et prudente. Il ne suffit pas de demander (en passant) si les médicaments sont pris régulièrement. Il convient au contraire de se renseigner précisément sur les pratiques de prise. Si aucune aide à la prise de médicaments n’est utilisée, il convient de déterminer comment une éventuelle lacune médicamenteuse pourrait être remarquée. De même, le fait de souligner qu’une prise régulière de médicaments sans outils tels qu’une boîte hebdomadaire ou un réveil électronique pourrait être difficile à réaliser, même pour un médecin, s’il est lui-même un patient, donne au patient l’occasion de réfléchir de manière critique à sa pratique de prise.
Bien entendu, il convient de poser des questions ciblées sur les effets secondaires, mais aussi sur les facteurs et comorbidités mentionnés ci-dessus et, surtout, sur la situation sociale.
En outre, dans la pratique quotidienne de l’auteur, la comparaison des concentrations sériques postiches avec les valeurs obtenues en routine, mentionnée ci-dessus, joue un rôle important. Une valeur unique, à moins qu’elle ne soit inférieure au seuil de détection et que d’importants problèmes d’absorption soient exclus, ne permet généralement pas de se prononcer avec certitude sur l’adhérence. Cependant, à dose constante, les concentrations sériques d’un médicament ne devraient pas trop varier lors de mesures répétées (voir l’exemple de cas 1).
Des variations plus importantes ne sont pas toujours dues à un manque d’adhérence, mais peuvent également être dues à des interactions avec des médicaments associés variables. (voir l’étude de cas 2). Pour l’évaluation de l’adhésion, il n’est donc généralement pas pertinent de savoir si une concentration sérique déterminée à un moment donné se situe ou non dans ce que l’on appelle la plage de référence d’un laboratoire [8].
Les piluliers électroniques mentionnés dans les études susmentionnées ou encore la comparaison entre la médication prescrite et la médication achetée ne peuvent évidemment pas être utilisés dans la pratique quotidienne.
Mesures pour améliorer l’adhésion – Concordance
En l’absence d’études sur le sujet, nous ne pouvons donner ici que des indications générales, mais elles peuvent toutes être déduites des concepts mentionnés ci-dessus derrière les notions d’adhésion et de concordance [9]. Au début d’un traitement médicamenteux efficace de l’épilepsie, il y a un patient bien informé qui, convaincu du bénéfice du traitement envisagé, y consent en toute connaissance de cause. Le schéma d’administration doit être aussi simple que possible et tenir compte de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie du médicament choisi (pour la plupart des antiépileptiques, une répartition en deux doses uniques est tout à fait suffisante).
Il convient d’encourager l’utilisation de moyens auxiliaires tels que des dosettes hebdomadaires (avec des curseurs journaliers amovibles) et/ou des réveils électroniques.
Le patient doit gérer lui-même l’ensemble de l’approvisionnement et de la prise des médicaments, à moins que des troubles cognitifs ne l’en empêchent. Dès le début du traitement, il convient d’attirer l’attention sur le fait que des irrégularités de prise peuvent survenir et que le médecin et le patient peuvent et doivent toujours en parler ouvertement, sans quoi le patient risque de prendre plus de médicaments qu’il ne le devrait, avec le risque de subir plus d’effets secondaires.
Si une erreur de prise entraîne une crise ou si les résultats des dosages sériques suggèrent un manque d’adhérence, il ne faut pas en discuter avec le patient dans une atmosphère où il a l’impression d’être un coupable avéré. Il s’agit alors plutôt, après une analyse minutieuse des pratiques de prise, de chercher ensemble des solutions pour améliorer l’adhésion. Après une crise déclenchée par une erreur de prise, il est généralement interdit d’étendre la médication. Dans les cas où une comorbidité psychiatrique affecte l’adhésion, elle doit être abordée, le cas échéant, avec un traitement approprié.
Évaluation médico-sociale d’un manque d’adhérence
Lors de l’évaluation/expertise médico-sociale d’un patient souffrant d’une épilepsie active affectant sa capacité de travail et de réinsertion, il faut partir du principe qu’une pharmacothérapie antiépileptique est un traitement raisonnable que le patient doit suivre de manière adéquate dans le cadre de son obligation de coopérer et de réduire le dommage [10]. Cette conception peut sembler à première vue contraire à l’atmosphère de bienveillance et de confiance mutuelle exigée plus haut pour parvenir à la concordance, en tenant compte des souhaits du patient dans la relation médecin-patient, et réduire le patient à un exécutant des prescriptions médicales, mais elle fait finalement appel à la responsabilité sociale du patient majeur dans notre système d’assurance solidaire très performant. Elle peut donc tout à fait être communiquée dès le début d’un traitement antiépileptique, dans l’esprit du concept d’adhésion, et constituer ainsi la base du consentement d’un patient à la pharmacothérapie antiépileptique.
Conclusions
La prise régulière de médicaments est une condition importante pour l’absence de crises. Comme pour d’autres maladies chroniques, elle ne peut pas être considérée comme acquise en permanence. L’information complète sur les avantages, les inconvénients et les alternatives d’une pharmacothérapie proposée, ainsi qu’un entretien sans reproche sur les éventuels défauts d’adhésion, revêtent une importance capitale. La pharmacothérapie antiépileptique est un traitement raisonnable au sens de l’obligation de coopérer et de réduire le dommage dans le cadre de l’assurance sociale ou de l’assurance pension.
Dr. med. Thomas Dorn
Littérature :
- Brodie MJ, Kwan P : Approche échelonnée de la prise en charge de l’épilepsie. Neurology 2002 ; 58(8 Suppl 5) : 2-8.
- De las Cuevas C : Towards a clarification of terminology in medicine taking behavior : compliance, adherence and concordance are related although different terms with different uses. Curr Clin Pharmacol 2011 ; 6 : 74-77.
- Hovstadius B, Petersson G : Non-adhésion au traitement médicamenteux et coûts d’acquisition des médicaments dans une population nationale – une étude de registre basée sur les patients. BMC Health Serv Res 2011 ; 28 : 326.
- Cramer JA, Scheyer RD, Mattson RH : Déclin de l’observance entre les visites en clinique. Arch Intern Med 1990 ; 150 : 1509-1510.
- Specht U, et al. : Niveaux sériques postiches de médicaments antiépileptiques pour la détection de la non-observance. Epilepsy Behav 2003 ; 4 : 487-495.
- DeLorenzo RJ, et al : A prospective, population-based epidemiologic study of status epilepticus in Richmond, Virginia. Neurology 1996 ; 46 : 1029-1035.
- Lathers CM, et al : Forensic antiepileptic drug levels in autopsy cases of epilepsy. Epilepsy Behav 2011 ; 22 : 778-785.
- Patsalos PN, et al : Antiepileptic drugs–best practice guidelines for therapeutic drug monitoring : a position paper by the subcommittee on therapeutic drug monitoring, ILAE Commission on Therapeutic Strategies. Epilepsia 2008 ; 49 : 1239-1276.
- Faught E : Adhérence au traitement médicamenteux antiépileptique. Epilepsy Behav 2012 ; 25 : 297-302.
- Dorn T : L’évaluation de l’aptitude au travail et à la réinsertion en cas d’épilepsie. Epileptologie 2008 ; 25 : 174-181.
InFo Neurologie & Psychiatrie 2014 ; 12(4) : 10-14