Les déficiences du système immunitaire peuvent avoir des conséquences dévastatrices [1]. Cependant, comme les symptômes sont très variés, le diagnostic d’immunodéficience primaire est souvent tardif [2]. Or une détection précoce est essentielle pour mettre en place une thérapie adéquate et améliorer de manière décisive la qualité de vie des patients, comme le souligne le Prof. Mike Recher, de l’hôpital universitaire de Bâle, dans cette interview.

Prof. Mike Recher
Médecin responsable, consultation en déficience immunitaire
Médecine interne FMH/Allergologie et immunologie clinique
Polyclinique médicale
Hôpital universitaire de Bâle
Qu’est-ce que l’immunodéficience primaire ?
L’immunodéficience signifie que le système immunitaire ne fonctionne pas correctement. Notre système immunitaire a essentiellement deux tâches : premièrement, la protection contre les infections et deuxièmement, la tolérance immunitaire. Dans le cas d’une immunodéficience ou d’un déficit immunitaire, au moins une de ces tâches ne peut être remplie, souvent même les deux. Au moment de la première consultation ou des premiers examens, on ne sait généralement pas si l’immunodéficience est primaire ou secondaire. L’immunodéficience primaire signifie que la cause de l’immunodéficience est génétique. Souvent, cependant, les modifications génétiques sous-jacentes ne sont pas connues ou doivent être recherchées pendant des années. La cause génétique expliquant pourquoi le système immunitaire est incapable d’exercer ses fonctions n’est connue que dans des cas isolés. En revanche, dans l’immunodéficience secondaire, la déficience immunitaire n’est pas congénitale : elle est causée par un facteur externe. Un exemple classique serait le VIH ou le virus de la rougeole, où une déficience immunitaire se produit après l’infection. Mais il existe par ailleurs d’innombrables autres facteurs. Ainsi, l’immunodéficience secondaire est un terme générique et se rencontre principalement chez les adultes.
Face à quels signes un médecin traitant doit-il envisager une immunodéficience ?
Je dis toujours à mes patients que les humains possèdent environ 20 000 gènes, que l’on peut comparer à des instructions de montage des différents composants d’une montre mécanique. Chaque gène est le plan d’un tel composant, et si l’une de ces pièces ne fonctionne pas correctement, la montre non plus. Sur nos 20 000 gènes, environ 3 000 à 5 000 participent au système immunitaire. Par conséquent, une plainte sur quatre d’un patient peut être causée par le système immunitaire. Bien sûr, cette formulation est quelque peu mathématique, mais elle a le mérite de montrer que les symptômes d’alarme sont extrêmement variés. Un exemple classique serait celui d’un patient qui a régulièrement des refroidissements, comme des pneumonies à répétition, des sinusites récurrentes ou des bronchites persistantes. Cependant, ce ne sont de loin pas les seuls symptômes. Une diarrhée chronique, par exemple, peut également indiquer une déficience immunitaire, tout comme une hypertrophie de la rate ou des ganglions lymphatiques. Il y a aussi des patients chez qui des changements dans la formule sanguine, la dyspnée ou des valeurs hépatiques élevées sont la première manifestation. En outre, une question se pose toujours en oncologie : un cancer, comme le lymphome, pourrait-il être dû à un déficit du système immunitaire ? En somme, il existe une grande variété de symptômes susceptibles de suggérer une déficience immunitaire.
10 signes d’alerte d’immunodéficience primaire chez l’enfant
voir la Jeffrey Modell Foundation : |
Quand un médecin traitant doit-il vous adresser un patient ?
Il existe un test simple pour déterminer les défenses du système immunitaire que tout médecin de famille ou pédiatre peut effectuer. Pour cela, un prélèvement sanguin est effectué et analysé en laboratoire pour détecter dans le sérum la présence d’immunoglobulines – IgG, IgM et IgA. L’analyse ne nécessite pas de laboratoire spécial et est également très peu coûteuse (environ 6 CHF). Par conséquent, la détermination des immunoglobulines doit vraiment être très largement proposée. Je suis toujours étonné de voir à quel point cela est rarement fait – parfois même chez des patients hospitalisés chez qui on soupçonne clairement un trouble immunitaire. Les immunoglobulines se mesurent très bien et ont des valeurs normales très claires. Bien que des taux normaux d’immunoglobulines sériques n’excluent pas une immunodéficience, si les valeurs s’écartent de la norme, on est en présence d’une immunodéficience. Dans ce cas – si l’on ne sait pas exactement ce qui se cache derrière – il est judicieux de consulter un spécialiste. En effet, on sait que l’espérance de vie des patients souffrant d’un déficit immunitaire peut être réduite. Par rapport aux diabétiques, par exemple, les patients souffrant de déficience immunitaire ont également une moins bonne qualité de vie, comme l’ont montré des études. Il ne faut donc pas attendre pour faire les analyses nécessaires.
Comment procédez-vous lorsqu’un patient vous est adressé ?
Comme d’habitude lors d’une consultation, la première chose à faire est d’écouter l’histoire complète du patient. Pourquoi est-il ici maintenant ? Pourquoi m’a-t-il été adressé ? Cet examen est généralement suivi d’un examen médical axé sur les organes immunologiques. Cela comprend la palpation des ganglions lymphatiques accessibles, c’est-à-dire sous les aisselles, au niveau de l’aine et sur le cou, pour détecter les hypertrophies anormales. On examine ensuite la rate située dans la partie supérieure gauche de l’abdomen, qui ne doit normalement pas être ressentie. Si c’est le cas, elle est hypertrophiée. En outre, certains autres signes, comme des inflammations de la peau, sont plus fréquents chez les patients atteints de troubles immunitaires. Par conséquent, il faut toujours regarder la peau : les mains, par exemple, peuvent avoir des verrues virales. Le diagnostic visuel au niveau des coudes permet de conclure à une tendance allergique. On contrôle aussi le cœur et les poumons. En outre, des tests de laboratoire supplémentaires sont effectués pour vérifier le fonctionnement du système immunitaire.
Que signifie le diagnostic d’« immunodéficience primaire » pour l’enfant ?
Les troubles immunitaires peuvent varier considérablement en termes de gravité. Dans la forme la plus grave, l’enfant risque de mourir d’une infection sévère. Dans un tel cas, vous devez agir rapidement. Il y a donc des immunodéficiences pour lesquelles il faut remplacer la moelle osseuse immédiatement. C’est pourquoi, depuis 2019, chaque nouveau-né est également soumis à un dépistage de ces graves anomalies à l’aide d’une ponction de sang au talon. Mais le plus souvent, l’enfant est simplement souvent enrhumé et malade. Il est plus vulnérable, peut aussi devoir aller à l’hôpital pour une pneumonie. Un autre signe est que l’enfant ne prend pas assez de poids ou présente des symptômes gastro-intestinaux, comme la diarrhée chronique mentionnée précédemment. La tendance à l’infection n’est toutefois pas nécessairement la première indication d’immunodéficience : elle peut aussi se traduire par des modifications de la formule sanguine. L’anémie, par exemple, se manifeste par un essoufflement, tandis que les saignements de la peau et du nez surviennent lorsqu’il y a trop peu de plaquettes. Ainsi, même dans l’enfance, les signes cliniques sont très variés.
D’après votre expérience, quels sont les principaux défis liés à l’immunodéficience primaire ?
Il est important de transmettre des connaissances et des informations sur ces troubles. Ainsi, d’une part, il convient de sensibiliser l’ensemble de la population sur ce sujet. D’autre part, il est important également d’informer les prestataires de soins primaires de l’existence de ce type de maladie. C’est logique notamment parce qu’il existe des traitements très efficaces pour les immunodéficiences. Une approche thérapeutique importante est la substitution des immunoglobulines. Cette protection immunitaire doit être administrée régulièrement car les immunoglobulines se dégradent en quelques semaines. Ainsi, il est désormais possible de contrôler, voire de prévenir les infections chez des patients qui, par le passé, seraient morts de pneumonies récurrentes. Grâce aux perfusions régulières d’immunoglobulines, la plupart des patients ont une espérance de vie normale.
Que voudriez-vous que les pédiatres et les prestataires de soins primaires sachent d’autre sur ce sujet ?
Comme nous l’avons mentionné, la biologie du système immunitaire est influencée par tellement de gènes qu’il est très probable que des troubles immunitaires soient également fréquents chez les patients des pédiatres et dans le cadre des soins primaires. Avant on avait tendance à dire d’une personne « elle est plutôt fragile » ; or on sait maintenant que cela indique la présence d’une déficience immunitaire qui n’a pas encore été découverte. Des patients ont dû attendre 69 ans ou plus après le premier symptôme jusqu’à ce que le bon diagnostic soit posé et qu’un traitement adéquat soit mis en place. Tout ce que je peux dire, c’est de garder en tête que le dépistage des immunodéficiences est simple, peu coûteux et a un impact positif autant sur l’espérance de vie que sur la qualité de vie des patients.
Littérature
Cet article a été rédigé avec le soutien financier de Takeda Pharma AG.
C-ANPROM/CH/CUVI/0008 05/2021
Article en ligne depuis le 28.06.2021