Une femme au foyer de 54 ans a subi un épisode aigu d’angio-œdème de la langue et de la paroi postérieure du pharynx et a dû être traitée en urgence aux soins intensifs (figure 1). Comme les gonflements sont apparus 30 minutes après avoir mangé des spaghettis à la sauce tomate et des palourdes, on a pensé à un événement allergique et la patiente a été adressée à un allergologue pour un bilan. Le rapport médical mentionne une légère pancytopénie préexistante.
Les antécédents allergologiques n’étaient pas concluants en ce qui concerne les maladies atopiques préexistantes, en particulier il n’y avait aucune preuve de réactions allergiques ou d’intolérance antérieures liées à l’alimentation. En conséquence, les prick-tests (dépistage de l’atopie, aperçu des aliments, y compris les moules) et les dosages des IgE étaient négatifs. Avant l’épisode, la patiente ne prenait pas de produits contenant de l’ASA ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens et ne suivait pas de traitement par inhibiteurs de l’ECA ou antagonistes de l’angiotensine (AT)-II (sartans) [1, 2].
Lors du diagnostic différentiel des angio-œdèmes (tableau 1) , en l’absence d’antécédents de facteurs déclenchants, les douleurs abdominales occasionnelles ont été interprétées comme un angio-œdème héréditaire en rapport avec la localisation particulière de la poussée d’angio-œdème et le profil du complément a été examiné.
Tant la protéine inhibitrice C1 (<0,03 g/l ; intervalle normal 0,2-0,36) que le taux de C4 (<0,01 g/l ; intervalle normal 0,1-0,4) n’étaient pas mesurables. De même, la fonction inhibitrice C1 était très faible, avec <18% (norme 70-135% ; laboratoire d’immunologie, USZ).
Sous le diagnostic de travail d’un angio-œdème héréditaire (type I), un traitement par l’androgène atténué danazol (Danatrol), d’abord à 40 mg/jour pendant deux semaines, puis à 200 mg/jour pendant deux semaines supplémentaires, a été mis en place pour la prévention des crises. Un contrôle des paramètres de coagulation a révélé la présence d’anticorps antiphospholipides (IgM anticardiolipine 520 UI/l ; norme <15 UI/l) ; la sérologie des auto-anticorps antinucléaires et anti-ADN était négative, ce qui a permis d’exclure un lupus érythémateux disséminé (SLE). Le diagnostic initial d’angio-œdème héréditaire a été révisé en faveur d’un “angio-œdème acquis (Acquired-Angioedema [AAE]) avec déficit en inhibiteur C1 associé à un syndrome des antiphospholipides (APS)”.
Le diagnostic d’AAE a ensuite été confirmé par la détermination à deux reprises de taux réduits de C1q et de C1r (C1q 0,014 g/l ; norme : 0,0460-1116 g/l et C1r 37% ; norme : 75-125%). Finalement, une biopsie de la moelle osseuse a permis de diagnostiquer un lymphome non hodgkinien à cellules B (LNH, IgG κ).
Diagnostic
Angio-œdème acquis (AAE) en cas de déficit acquis en inhibiteur C1 (type I) par consommation/présence d’un inhibiteur dans un lymphome non hodgkinien
Discussion
En raison des médiateurs impliqués, les angio-œdèmes sont aujourd’hui classés en deux catégories pathogéniques : les angio-œdèmes à médiation mastocytaire ou histaminergique (souvent accompagnés d’urticaire) et les angio-œdèmes à médiation bradykinine (sans qu’il y ait de quintes) (tableau 1) [1, 5]. Parmi ces derniers, outre les angio-œdèmes héréditaires (HAE) (types II et III) dus à un déficit en inhibiteur de C1 et les angio-œdèmes induits par les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), causés par les inhibiteurs de l’ECA ou les antagonistes de l’AT-II, il existe une autre forme extrêmement rare d’angio-œdème, qui est également caractérisée par un déficit en inhibiteur de la C1-estérase (C1-INH) [4]. Toutefois, la carence n’est pas due à une modification des gènes (patrimoine génétique), mais à certaines maladies “acquises” ou à des processus dans l’organisme qui consomment davantage de C1-INH ou qui l’inactivent (ou l’inhibent). En conséquence, il n’y a pas assez de C1-INH (fonctionnel) disponible pour freiner la formation excessive de bradykinine. Les niveaux de bradykinine augmentent et un gonflement de la peau et des muqueuses peut se produire. Contrairement à l’angio-œdème héréditaire, cette forme rare d’angio-œdème médié par la bradykinine ne se manifeste généralement qu’après l’âge de 30 ans, et ne touche pas les autres membres de la famille. L’angio-œdème acquis peut accompagner une autre maladie sous-jacente, qui doit dans tous les cas faire l’objet d’un examen médical.
Dans le cas présent, il était tout d’abord crucial de déterminer les facteurs de complément C4 et C1 inhibiteur afin d’exclure les angio-œdèmes histaminergiques, par exemple en cas de suspicion d’allergie alimentaire. La détermination supplémentaire des premiers composants du complément C1q et C1r a servi à différencier un HAE d’un AAE. La maladie sous-jacente d’un AAE devait faire l’objet de recherches sérologiques supplémentaires (exclusion des maladies auto-immunes telles que le LED et autres) et d’une biopsie de la moelle osseuse [6]. La pancytopénie a pu être expliquée dans le cadre d’une participation de la moelle osseuse au lymphome non hodgkinien.
Conclusion
Dans la plupart des cas, les angio-œdèmes sont dus à des causes allergiques. Cependant, il existe également des angio-œdèmes non allergiques, qui sont comparativement très rares et dont le contexte médical reste souvent inaperçu pendant une longue période. Les différents types d’angio-œdème nécessitant des traitements différents, il est important d’identifier la cause du gonflement.
En principe, on distingue les formes suivantes d’angio-œdème :
- Angio-œdème médié par l’histamine (cela inclut les angio-œdèmes causés par les allergies et les médicaments)
- Angio-œdème à médiation par la bradykinine ou angio-œdème héréditaire (AOH) provoqué par un déficit ou une déficience en inhibiteur de C1.
Ce cas clinique a montré que le déficit en inhibiteur C1 peut non seulement être héréditaire, mais aussi rarement acquis, auquel cas on parle d’angio-œdème acquis (AAE). L’examen de laboratoire est déterminant pour établir le diagnostic. La réalisation de prick-tests et le dosage des inhibiteurs C1 et C4 permettent d’exclure dans un premier temps un angio-œdème histaminergique. En mesurant les niveaux des différentes valeurs sanguines C1q et C1r, il est possible, dans une étape ultérieure, de faire la distinction entre un HAE et un AAE. Alors que les premiers gonflements
Alors que les attaques d’AOH surviennent toujours avant l’âge de 30 ans, l’AAE, qui est rare, n’apparaît généralement qu’après. Un AAE peut être un indicateur d’une maladie sous-jacente et ne doit en aucun cas être ignoré.
Littérature :
- Wüthrich B : Angio-œdème. Rarement d’origine allergique. Première partie : Classification, physiopathologie, diagnostic. Forum Med Suisse 2012 ; 12 (7) : 138-143.
- Wüthrich B : Angio-œdème. Rarement d’origine allergique. Deuxième partie : Thérapie. Forum Med Suisse 2012;12 (8) : 175-178.).
- Wüthrich B : Existe-t-il un œdème de Quincke ? Diagnostic différentiel avec l’angio-œdème. DERMATOLOGIE PRATIQUE 2012 ; 1 : 20.
- Wüthrich B : Quel est votre diagnostic ? (quiz). DERMATOLOGIE PRAXIS 2011;3 : 38 et 42.
- Maurer M, Magerl M : JDDG 2010 ; 8/9 : 663-672.
- Beretta KR, et al : Schweiz Med Wschr 1991 ; 121 : 943-947.