La dépendance à la nicotine est l’un des troubles comorbides les plus fréquents chez les patients atteints de troubles psychiatriques. Les programmes de sevrage tabagique (REP) pharmacologiques et non pharmacologiques basés sur des données probantes fonctionnent également chez les patients souffrant de troubles psychiatriques. Les méta-analyses montrent que le traitement de la dépendance à la nicotine n’aggrave pas les troubles psychiatriques – c’est même le contraire qui est observé ! Un traitement réussi de la dépendance à la nicotine réduit le risque d’autres troubles physiques et psychologiques. Les programmes de sevrage tabagique devraient faire partie intégrante d’un traitement psychiatrique complet.
Les personnes souffrant de troubles psychiatriques présentent un taux de dépendance à la nicotine massivement plus élevé que la population normale [1,2]. C’est particulièrement vrai pour les patients atteints de schizophrénie [3], de dépression [4] ou de troubles bipolaires [5]. Par rapport à la population normale, la dépendance à la nicotine est plus tenace et plus fréquente chez les patients psychiatriques et commence, par exemple, presque cinq ans avant la première psychose chez les patients atteints de schizophrénie [6]. Les patients souffrant de troubles psychiatriques et d’une dépendance à la nicotine ont une espérance de vie plus courte que les patients souffrant de troubles psychiatriques sans dépendance à la nicotine ; d’une part, la dépendance à la nicotine entraîne une augmentation des maladies cardiovasculaires [7], des maladies pulmonaires, des cancers [8] et du “food craving” (comportement impulsif consistant à manger et à boire) [9] ; d’autre part, la dépendance à la nicotine est un prédicteur statistique d’une augmentation des tendances suicidaires chez les patients souffrant de schizophrénie. [10] et d’autres troubles psychiatriques [11]. Le meilleur prédicteur de la dépendance à la nicotine et d’une faible réponse aux programmes d’aide à l’arrêt du tabac (REP) est la prise de nicotine dans les 30 premières minutes suivant le réveil [12].
Physiologiquement, la nicotine augmente le taux de dopamine dans le noyau accumbens en agissant sur les récepteurs nicotiniques alpha4bêta2 de l’acétylcholine (nACh) dans le centre mésolimbique de la récompense [13], qui favorisent la libération de dopamine.
Un modèle d’interaction hypothétique [14] pour expliquer l’augmentation de la dépendance à la nicotine dans les maladies psychiatriques décrit les facteurs suivants qui déclenchent et maintiennent la dépendance à la nicotine : a) des prédispositions génétiques communes entre la dépendance à la nicotine et les troubles psychiatriques ; b) les facteurs de stress psychosociaux ; c) environnement social dans lequel la consommation de nicotine est considérée comme habituelle, et d) la réduction temporaire des états d’anxiété et de dépression. En théorie de l’apprentissage, cette réduction est comprise dans le cadre du conditionnement opérant comme un renforcement de la répétition d’un modèle de comportement. La dépendance à la nicotine peut donc être comprise comme une automédication dysfonctionnelle dans un contexte social spécifique, avec une éventuelle vulnérabilité génétique supplémentaire : A court terme, il y a un soulagement de l’anxiété, de la dépression et du stress ressenti ; à long terme, la dépendance à la nicotine entraîne des niveaux élevés d’anxiété, de dépression et de stress.
Les personnes souffrant de troubles psychiatriques ont en principe également intérêt à traiter leur dépendance à la nicotine ; un traitement psychiatrique moderne devrait donc proposer des programmes d’aide à l’arrêt du tabac (REP) [15,16]. Ces REP ne sont d’ailleurs pas très différentes des REP pour les personnes non psychiatriques. Les obstacles souvent cités pour arrêter de fumer sont a) des attentes trop élevées en matière d’objectifs (abstinence rapide de nicotine dans un délai très court), b) une sous-estimation des chances de réussite (“Je ne vais pas y arriver !”), c) le manque de savoir-faire du patient (“comment faire ?”) ; et d) le praticien (“Quels sont les REP disponibles et comment les utiliser ?) e) des idées fausses avérées sur les conséquences à court et à long terme d’un REP sur les personnes souffrant de troubles psychiatriques [17].
Dans leur méta-analyse, Taylor et al. [18] a montré que six semaines à douze mois après un REP réussi, les scores de dépression, d’anxiété et de stress avaient diminué et que les scores d’humeur et de qualité de vie s’étaient améliorés. L’abstinence de nicotine a donc eu un effet causal sur les valeurs améliorées, car aucune autre intervention n’a eu lieu pendant la période d’observation et parce qu’il n’a pas été décrit jusqu’à présent dans la littérature que des “life events” positifs systématiques aient conduit à des améliorations durables de l’humeur chez un grand nombre de personnes pendant la même période. Taylor et al. [18] n’ont certes pas pu exclure, sur la base des données, que la pratique régulière d’une activité physique ait entraîné une amélioration de l’humeur en tant que variable confondante. Toutefois, cette possibilité semble très improbable en raison de la prévalence désormais épidémique de l’inactivité physique [19].
Un entretien motivationnel approfondi doit être réalisé avant un REP pharmacologique et non pharmacologique.
Zwar et al. [1,20,21] proposent la règle des 5A :
- Ask (“Demandez à chaque patient s’il/elle souhaite arrêter de fumer”)
- Advice (“Suggérez d’arrêter de fumer”)
- Assess (“Évaluer le degré de dépendance à la nicotine et le degré de motivation”)
- Assist (“aider le patient à prendre la décision d’arrêter de fumer”)
- Arrangements (“Organiser le sevrage tabagique et motiver le patient à persévérer”)
Les traitements pharmacologiques (voir Mendelsohn [1] pour une description détaillée) sont les thérapies de remplacement de la nicotine (NET), la varénicline (Champix®; Chanlix®), le bupropion (Wellbutrin®) et la combinaison de NETs et de varénicline ou de bupropion : NETs + varénicline, par exemple, multiplie par trois les taux de réussite par rapport au placebo [22,23]. Les REP doivent être commencés environ deux semaines avant l’arrêt effectif de la nicotine et un suivi étroit du traitement est très important en cas de prise de psychotropes supplémentaires : Le patient doit rapidement discuter des changements d’effets avec des spécialistes afin de maintenir l’adhérence au traitement à un niveau élevé et d’assurer la stabilité et la réussite du REP.
Parmi les méthodes non pharmacologiques, on trouve notamment la Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) ; la méta-analyse de Oikonomou et al. [24] décrit qu’après quatre mois de MBSR, le taux d’abstinence a été multiplié par deux par rapport à un “treatment-as-usual”, pour atteindre environ 27%. On ne dispose pas encore de données suffisantes pour évaluer le seul effet de l’activité physique régulière comme REP [25]. Cependant, “l’activité physique régulière” devrait désormais faire partie du programme de traitement standard des patients souffrant de troubles psychiatriques [26-31]. L’activité physique régulière a des effets bénéfiques sur l’humeur et anxiolytiques [32,33] et est excellente pour contrer une éventuelle prise de poids après un REP [34].
Plusieurs fournisseurs pour tous les appareils mobiles modernes proposent des applications avec des REP comportementales (Fig. 1).
En résumé, les personnes souffrant de troubles psychiatriques présentent une dépendance à la nicotine nettement plus élevée, la dépendance à la nicotine entraîne d’autres handicaps physiques et psychologiques massifs, les patients souffrant de troubles psychiatriques souhaitent traiter leur dépendance à la nicotine et les REP font partie intégrante d’un traitement moderne et complet.
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