Cette revue, non exhaustive, reprend les principales dermatoses, pour lesquelles on retrouve une littérature relativement abondante sur l’effet des anti-TNF. Les traitements biologiques semblent une alternative intéressante dans la prise en charge de nombreuses pathologies dermatologiques inflammatoires réfractaires aux traitements habituels. En effet, les résultats des études actuellement disponibles sont encourageants, mais incluent un nombre limité de patients pour la plupart. Par ailleurs, pour certaines pathologies, nous ne disposons que de cas décrits; il est ainsi possible qu’il y ait un biais, par la publication uniquement des cas avec réponse favorable. Des études randomisées double aveugle sont donc nécessaires. Il est intéressant de constater que l’ustekinumab a également été utilisé avec succès dans certains cas. Au cours de ces prochaines années, l’arrivée de nouvelles molécules, telles que les anti-IL-17, devraient augmenter d’avantage nos possibilités thérapeutiques.
Depuis quelques années, les progrès de la recherche immunologique sont à l’origine du développement d’alternatives thérapeutiques qui ciblent de façon plus spécifique les étapes clés de la pathogenèse de certaines maladies inflammatoires. En dermatologie, nous avons vu apparaître de nouveaux traitements du psoriasis, ciblés au niveau de la signalisation cytokinique impliquée dans la genèse de la maladie. A l’heure actuelle, il existe plusieurs inhibiteurs du tumor necrosis factor (TNF)-α dont l’indication a été approuvée en Suisse pour le psoriasis: l’Etanercept, l’Infliximab et l’Adalimumab. Plus récemment, un anticorps monoclonal dirigé contre la sous-unité p40 de l’interleukine (IL)-12 et l’IL-23, l’Ustekinumab, a également été mis sur le marché.
Il y a de nombreuses pathologies pour lesquelles ces traitements biologiques sont efficaces, bien que leur utilisation ne soit pas encore approuvée dans ces indications. On retrouve en effet de plus en plus de littérature qui supporte leur utilisation dans de nombreuses maladies, y compris dermatologiques.
Maladies granulomateuses
Le TNF-α sécrété par les macrophages joue un rôle central dans la formation des granulomes. Il a en effet été démontré que l’utilisation d’anti-TNF pouvait induire la réactivation d’une tuberculose latente. Par ailleurs, leur efficacité a été démontrée dans d’autres maladies granulomateuses, telles que la maladie de Crohn. Il a donc été supposé que les antagonistes du TNF pourraient être utiles dans le traitement de certaines maladies granulomateuses cutanées, réfractaires aux traitements conventionnels.
La sarcoïdose est une maladie inflammatoire, caractérisée par la formation de granulomes non caséeux, qui peut toucher de nombreux organes, le plus souvent les poumons et la peau. Il existe plusieurs cas rapportés de sarcoïdose systémique avec atteinte cutanée, traités par Infliximab [1–4]. Par ailleurs, deux études randomisées contre placebo ont montré que l’Infliximab était efficace dans le traitement des atteintes extra-pulmonaires de la sarcoïdose, y compris l’atteinte cutanée [5,6]. Dans une analyse comprenant 54 patients avec un lupus pernio, on a constaté une résolution quasi complète des lésions chez 77% des patients sous Infliximab, contre 19% des patients traités par stéroïdes systémiques [7]. On retrouve également des cas de sarcoïdose traités avec succès par Adalimumab [8–10].
Une étude récente randomisée double aveugle contre placebo, comprenant 16 patients, a montré une diminution significative de la taille des lésions chez les patients présentant une sarcoïdose cutanée, traitée par Adalimumab (dose initiale de 80 mg, puis 40 mg/semaine) [11]. En cas de réponse insuffisante au dosage habituellement prescrit pour le psoriasis, une majoration des doses permet d’obtenir une évolution favorable chez les patients qui présentent une sarcoïdose cutanée chronique réfractaire [12].
L’Etanercept semble moins efficace dans cette indication. En effet, on retrouve un seul cas rapporté [13]. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que, contrairement à l’Etanercept, l’Adalimumab et l’Infliximab induisent l’apoptose des cellules qui présentent à leur surface la forme liée du TNF-α, entraînant ainsi une destruction des granulomes [12].
Il existe très peu de données concernant la prescription d’Ustekinumab dans la sarcoïdose. Il a été démontré qu’il y avait une production augmentée d’IL-12 dans les granulomes sarcoïdosiques. L’IL-12 joue un rôle important dans la différentiation des cellules-T dans cette maladie. Pourtant, dans une étude récente, qui a été conduite de manière randomisée, double aveugle contre placebo, comprenant 173 patients, les patients souffrant d’une sarcoïdose pulmonaire et/ou cutanée n’ont pas répondu à un traitement d’Ustekinumab 180 mg, puis 90 mg à la huit, 16 et 24e semaine [14].
D’autres maladies granulomateuses cutanées plus rares ont également montré une évolution favorable sous traitements biologiques. C’est notamment le cas de la nécrobiose lipoïdique. Bien qu’il n’existe aucune étude à l’heure actuelle, plusieurs cas ayant répondu à un traitement d’Adalimumab, Etanercept ou Infliximab sont décrits [15–19]. Afin d’augmenter la biodisponibilité localement et de réduire le risque d’effets secondaires systémiques, certains patients ont été traités par des injections intra-lésionnelles d’Etanercept ou d’Infliximab, avec une réponse partielle chez tous les patients [20,21].
Le granulome annulaire est une dermatose granulomateuse fréquente, généralement asymptomatique et qui régresse spontanément après un à deux ans. Il existe néanmoins des cas disséminés qui peuvent être invalidants et récalcitrants, et pour lesquels un traitement d’anti-TNF peut être une alternative intéressante. Il n’y a pas eu d’études randomisées jusqu’à présent, mais quelques cas de granulomes annulaires ayant régressé sous anti-TNF sont également décrits [22–24].
Hidradénite suppurative, cellulite disséquante du scalp
L’hidradénite suppurative ou maladie de Verneuil est une maladie invalidante, caractérisée par la présence de lésions douloureuses, abcédantes, entraînant la formation de cicatrices au niveau des zones riches en glandes apocrines, justifiant l’utilisation de traitements systémiques. Certaines études évaluant l’efficacité des anti-TNF dans la maladie de Crohn ont montré une amélioration concomitante de cette dermatose.
Des résultats prometteurs sous anti-TNF ont été décrits au cours de ces dernières années. De nombreux cas et séries de cas, d’évolution favorable sous les trois anti-TNF, ont été publiés. Le taux de réponse semble néanmoins plus élevé avec l’Infliximab, par rapport à l’Adalimumab et à l’Etanercept (resp. 82, 76 et 68%) [25]. Une étude double aveugle contre placebo a montré que l’Infliximab entrainait une amélioration de la douleur, de la sévérité de la maladie et de la qualité de vie, ainsi qu’une diminution des marqueurs inflammatoires chez ces patients [26]. Une deuxième étude ouverte prospective, comprenant dix patients, a également montré une diminution significative du nombre de poussées et de sites atteints [27]. Il a également été démontré que l’Adalimumab était efficace, puisqu’il a permis une amélioration de la qualité de vie ainsi qu’une diminution du nombre de lésions et de sites atteints après un mois de traitement chez six patients [28]. Une étude ouverte prospective a montré qu’un traitement hebdomadaire d’Adalimumab entraînait une amélioration significative des lésions chez 15 patients [29]. Par contre, les résultats concernant l’Etanercept sont moins encourageants, puisqu’une étude randomisée double aveugle contre placebo n’a pas objectivé d’amélioration significative chez 20 patients traités pendant douze semaines (50 mg 2×/semaine) par rapport au groupe placebo [30].
Au vu de la réponse aux anti-TNF, il est possible que l’Ustekinumab soit également efficace, puisqu’il réduit l’expression des cytokines de type Th1, telles que le TNF-α. Parmi les six cas décrits dans la littérature, cinq ont eu une réponse partielle ou complète au traitement, alors qu’un cas n’a pas répondu [31–34]. Enfin, l’utilisation des inhibiteurs de l’interleukine 1 tels que l’Anakinra sera peut-être également intéressante, comme cela a été rapporté dans une série de six patients [35].
La cellulite disséquante peut être une maladie isolée ou associée à la Maladie de Verneuil et l’acné conglobata dans le cadre de la triade du syndrome d’occlusion folliculaire. Elle est caractérisée par la présence de pustules folliculaires stériles, menant également à la formation d’abcès et de lésions cicatricielles. Le traitement est souvent décevant. Au vu des résultats positifs des anti-TNF sur l’hidradénite suppurative, quelques patients présentant une cellulite disséquante sévère ont été traités avec Infliximab ou Adalimumab, avec bon effet [36–38].
Pityriasis rubra pilaire (PRP)
Il s’agit d’une maladie rare, caractérisée par la présence de papules folliculaires hyperkératosiques, évoluant vers des plaques érythémateuses orangées avec des espaces réservés de peau saine. Bien que la pathogenèse du PRP ne soit pas connue, il partage certaines caractéristiques cliniques et histologiques avec le psoriasis.
Une revue récente de la littérature sur le traitement du PRP de type I par des anti-TNF, incluant 15 cas, retrouve une réponse complète chez douze patients (80%), une réponse partielle dans deux cas et pas de réponse chez un patient [39]. Les trois anti-TNF ont été utilisés avec succès, bien que l’Infliximab soit la molécule le plus souvent employée. Ces traitements ont été prescrits en monothérapie dans 40% des cas, et en association au méthotrexate ou à l’acitrétine dans 60% des cas. Des réponses rapides ont également été observées sous Ustekinumab [40–42]. Ces observations suggèrent que les traitements biologiques pourraient être utiles dans le traitement des PRP réfractaires aux traitements conventionnels. Néanmoins, il faut noter que dans 80% des cas, le PRP régresse spontanément dans les trois ans suivant le diagnostic. Des études prospectives randomisées sont donc nécessaires pour clairement établir l’efficacité de ces traitements.
Maladies neutrophiliques
Le pyoderma gangrenosum (PG) est une dermatose chronique caractérisée par la présence d’ulcères à bordures sous-minées, le plus souvent au niveau des membres inférieurs. Plus de la moitié des cas surviennent en association à une autre pathologie, le plus souvent une maladie inflammatoire de l’intestin. Malgré la rareté des études contrôlées évaluant le traitement du PG et l’absence d’algorithme standardisé, la prednisone et la cyclosporine sont habituellement prescrits pour les formes sévères.
Les premiers résultats positifs des biologiques dans le PG ont été décrits chez les patients souffrant d’une maladie de Crohn avec un PG associé. En 2001, Tan MH et al. a rapporté deux patients souffrant d’une maladie de Crohn et un PG, traités par Infliximab pour leur maladie digestive, avec amélioration des deux pathologies [43]. L’Infliximab est l’anti-TNF le plus utilisé dans cette indication, mais des résultats positifs ont également été décrits avec l’Adalimumab et l’Etanercept [44–45]. Il existe uniquement une étude randomisée double aveugle contre placebo, comprenant 30 patients, qui a évalué l’efficacité de l’Infliximab dans le PG. Deux semaines après une première injection d’Infliximab 5 mg/kg, les patients dans le groupe traité présentaient un taux de réponse statistiquement plus important que dans le groupe placebo. Après une à deux perfusions, 69% des patients (20/29) avaient répondu favorablement, et 21% étaient en rémission complète. Il n’y avait pas de différence en fonction de la coexistence d’une maladie digestive associée [46]. D’après une revue récente de la littérature, les anti-TNF semblent être le traitement le plus efficace avec un taux de réponse de 92% [47].
En cas d’échec des anti-TNF, l’Ustekinumab pourrait également être une alternative, puisque quelques cas ont été traités avec succès [48–50] Chez un de ces patients, il a été démontré que l’expression de l’IL-23 était augmentée dans les lésions de PG [50].
Le syndrome de Sweet est une dermatose neutrophilique caractérisée par l’apparition abrupte d’un état fébrile, une neutrophilie et des lésions douloureuses le plus souvent au niveau de la tête, du cou et des membres supérieurs. De nombreux cas sont idiopathiques, mais cette dermatose peut être associée à une néoplasie, une pathologie inflammatoire ou la grossesse. En général, l’évolution est rapidement favorable sous corticoïdes systémiques, mais il existe des formes récidivantes. Il existe également quelques cas de syndrome de Sweet ayant régressé sous anti-TNF. Les cas décrits sont tous associés à une autre pathologie inflammatoire, notamment des polyarthrites rhumatoïdes et maladies de Crohn [51–55]. Il faut néanmoins signaler qu’il existe un risque augmenté de développé une pathologie tumorale sous anti-TNF. Ces traitements devraient donc être prescrits avec prudence dans cette indication, qui peut dans certains cas être associée à une néoplasie sous-jacente.
Conclusion
Les traitements biologiques sont une alternative intéressante dans de nombreuses pathologies dermatologiques réfractaires aux traitements conventionnels. Dans ce genre de situations, il est donc important d’adresser ces patients à un dermatologue pour évaluer l’indication à ce type de traitements.
A RETENIR
- Les traitements biologiques semblent une alternative intéressante dans la prise en charge de nombreuses pathologies dermatologiques inflammatoires réfractaires.
- Les résultats des études actuellement disponibles sont encourageants, mais incluent un nombre limité de patients pour la plupart. Pour certaines pathologies, nous ne disposons que de cas décrits. Des études randomisées double aveugle sont donc nécessaires.
- Au cours de ces prochaines années, l’arrivée de nouvelles molécules, telles que les anti-IL-17, devraient augmenter d’avantage nos possibilités thérapeutiques.
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