Il est très important de reconnaître le plus tôt possible une psychose naissante, car une aide précoce peut éviter des conséquences négatives allant jusqu’à la chronicité de la maladie. Les centres spécialisés dans le dépistage précoce jouent un rôle important, mais les médecins de premier recours peuvent également reconnaître les symptômes précoces, y réagir à temps et de manière adéquate et améliorer ainsi de manière décisive l’évolution et le pronostic.
Les psychoses schizophréniques sont souvent caractérisées par un début insidieux et atypique. Le diagnostic et le traitement sont souvent tardifs, lorsque les symptômes se sont pleinement manifestés. Cependant, des conséquences graves apparaissent déjà dans la phase prépsychotique et même avant, dans la phase dite “prodromique”, qui n’est pas encore spécifique. Le dépistage et l’intervention précoces en cas de psychose débutante contribuent à minimiser les conséquences négatives, entre autres les difficultés marquées dans le domaine social, scolaire ou professionnel, ainsi que le risque d’évolution grave et chronique de la maladie.
Début insidieux et atypique
Les psychoses schizophréniques débutent en moyenne plusieurs années avant que le premier diagnostic ne soit posé. Chez environ 70% des patients atteints ultérieurement de psychose, on peut observer une évolution insidieuse de la psychose [1] : Au cours des premières années, on observe principalement des prodromes non caractéristiques ou des symptômes prodromiques, c’est-à-dire des changements non spécifiques qui affectent la nature, les émotions, le comportement et les performances. Il peut ainsi y avoir une perte d’énergie et d’intérêt, des troubles de la concentration, des troubles du sommeil et une diminution de la résistance au stress : Les patients se sentent plus minces et plus sensibles qu’avant, tout leur “colle à la peau”, ils ont du mal à se concentrer et sont facilement distraits. Ils n’ont plus guère d’énergie pour faire face à la vie quotidienne et leur intérêt diminue, même pour les choses qu’ils appréciaient auparavant – ils ne sont tout simplement “plus les mêmes”. Les personnes concernées ont de plus en plus de mal à assumer leur rôle au sein de la famille, dans les relations de couple et au travail – c’est ce qu’on appelle la “ligne de vie brisée”.
A ce stade, les personnes concernées peuvent constater sur elles-mêmes ce que l’on appelle des “symptômes de base”, c’est-à-dire des altérations subjectives de la pensée et de la parole ainsi que des modifications de la perception. Ces signes prodromiques deviennent souvent de plus en plus spécifiques au fil du temps. La méfiance s’installe et des intérêts, des idées et des perceptions inhabituels apparaissent. A cela s’ajoutent de plus en plus de problèmes interpersonnels qui peuvent conduire à un retrait social (voir l’étude de cas).
Au fur et à mesure de l’évolution, les symptômes peuvent encore s’aggraver. Des symptômes psychotiques sous-jacents apparaissent, appelés symptômes (pré)psychotiques atténués. De tels symptômes sont des préformes de troubles du moi, de délires ou d’hallucinations. Les patients ont l’impression d’être “comme dans un film” ou leur propre corps leur semble étrange. Certains patients se sentent observés et suivis. Dans ce cas, la conviction délirante fait défaut, ce qui signifie que le critère de délire au sens de conviction immuable n’est pas (encore) rempli à ce stade. Certains patients perçoivent les couleurs et les sons de manière plus intense ou rapportent d’autres modifications sensorielles étranges. Le critère d’une hallucination, au sens d’une perception sans fondement réel, n’est cependant pas (encore) rempli. Des hallucinations isolées, brèves et transitoires, comme entendre son propre nom, peuvent se produire.
Durant cette “phase prépsychotique”, des symptômes psychotiques transitoires peuvent également apparaître, appelés symptômes psychotiques courts, transitoires et intermittents. Les troubles du moi, le délire et les hallucinations sont ici de courte durée et transitoires (quelques minutes à une semaine maximum avec rémission spontanée). Si les symptômes s’aggravent encore, une première décompensation psychotique peut alors survenir avec des symptômes aigus persistants tels que des troubles de la pensée, des délires ou des hallucinations (figure 1) [2].
Conséquences d’un début de psychose
Les conséquences peuvent être graves dès les premiers stades de la maladie psychotique, qui n’ont pas encore été diagnostiqués. L’humeur dépressive, le manque d’énergie et de motivation ainsi que les troubles de la pensée, de l’attention et de la concentration entraînent souvent, dès le début de la psychose, une baisse des performances à l’école, dans les études ou au travail. Il se caractérise par une prise et un traitement de l’information souvent perturbés et une irritabilité accrue. Associée à une méfiance liée à la maladie, elle entraîne un retrait social généralisé.
Quel est le rôle du dépistage ?
Des études ont montré que la phase prodromique non spécifique dure en moyenne deux à cinq ans [3]. Même si des symptômes psychotiques sont déjà présents, il faut en moyenne un à trois ans pour que la psychose soit diagnostiquée et traitée. Le dépistage précoce permet d’évaluer à temps un statut de risque de psychose ou de diagnostiquer une psychose pleinement déclarée, mais aussi d’établir un diagnostic différentiel.
Détection précoce dans les centres de détection précoce : les centres de détection précoce tels que la consultation de détection précoce des psychoses (FePsy) des Cliniques psychiatriques universitaires (UPK) de Bâle offrent aux personnes en quête d’aide une évaluation et des conseils complets et individuels en ambulatoire [4]. Il s’agit d’évaluer si les symptômes rapportés par les patients peuvent être les premiers signes d’un début de psychose ou même s’ils remplissent déjà les critères d’une décompensation psychotique. Il s’agit également de déterminer s’il existe un risque génétique, c’est-à-dire si un parent proche du patient est lui-même atteint d’une maladie psychotique.
Pour l’entretien clinique, la consultation FePsy utilise des procédures de diagnostic clinique spécialement développées à cet effet, telles que le “Basel Screening Instrument for Psychoses” (BSIP) [5] et le “Basler Interview für Psychosen” (BIP) [6].
Des examens complémentaires (examen psychiatrique et psychologique approfondi, y compris des tests neuropsychologiques, EEG, IRM du cerveau, examens de laboratoire) permettent d’évaluer de manière plus fiable le statut de risque des patients ou de confirmer le diagnostic posé et de déterminer les causes possibles. De plus, ces méthodes de diagnostic permettent d’exclure, à des fins de diagnostic différentiel, d’autres maladies présentant des symptômes similaires, telles que le TDAH, la dépression ou l’épilepsie du lobe temporal. Sur la base des conclusions tirées des examens, un plan de traitement individuel est établi pour chaque patient et des mesures appropriées sont mises en place, si nécessaire en collaboration avec le médecin référent.
Détection précoce par le premier soignant : la “liste de contrôle des risques de psychose” a été spécialement développée pour les premiers soignants dans le cadre de la consultation FePsy de Bâle (fig. 2) [7].
Ce questionnaire permet, dans le cadre d’une consultation de médecine générale, d’évaluer facilement et rapidement s’il existe un risque de psychose et si une orientation vers une consultation de dépistage est indiquée. Il existe également un outil d’auto-évaluation correspondant, le “syndrome d’auto-screening” (figure 3) [8]. Ces questionnaires permettent d’éviter que la symptomatologie chez les jeunes ne soit qualifiée à tort de “crise d’adolescence” ou – même chez les adultes – que seule une dépression soit diagnostiquée à première vue.
Intervention précoce
Selon les dernières connaissances, un traitement spécifique à chaque stade est proposé dans le cadre de programmes d’intervention précoce. Il convient de faire une distinction entre le traitement des patients présentant un premier épisode psychotique complet et les interventions auprès des patients à risque dans une phase prodromique potentielle.
Intervention précoce chez les patients à risque : Les interventions auprès des personnes présentant un risque accru de développer une psychose doivent être très prudentes et ne doivent pas (encore) inclure une médication antipsychotique avec des neuroleptiques [9]. L’établissement d’une relation thérapeutique solide, l’aide en cas de problèmes psychiques aigus (par ex. mesures de réduction du stress et soutien par des travailleurs sociaux) et surtout une très bonne psychoéducation ainsi que, le cas échéant, une gestion cognitivo-comportementale des cas devraient être prioritaires. Une éventuelle médication doit être axée sur les symptômes, par exemple des antidépresseurs en cas d’humeur dépressive ou de troubles du sommeil.
Intervention précoce chez les premiers malades psychotiques : En cas de décompensation psychotique clairement diagnostiquée, l’utilisation précoce de neuroleptiques est indiquée. Des entretiens de soutien, une psychoéducation, des programmes d’entraînement neuropsychologique et, si possible, une thérapie cognitivo-comportementale spécifique aux personnes atteintes pour la première fois devraient être utilisés en accompagnement. Là encore, une relation thérapeutique stable avec le patient et ses proches est essentielle, notamment pour garantir l’observance du traitement et réduire le risque de rechute.
Conclusions
Les psychoses schizophréniques sont des maladies mentales potentiellement graves, mais qui sont désormais relativement faciles à contrôler si elles sont diagnostiquées à temps et traitées de manière adéquate. Dans ces conditions, de nombreuses personnes concernées peuvent à nouveau mener une vie “normale” et remplir leurs différents rôles sociaux. Un accompagnement thérapeutique prolongé est essentiel pour réussir ce retour à la vie.
Cet article est basé sur Riecher-Rössler (2014) [10].
Anita Riecher-Rössler, professeur et docteur en médecine
MSc Fabienne Soguel-dit-Piquard
Littérature :
- Klosterkötter J, et al. : Diagnostic de la schizophrénie dans la phase prodromique initiale. Arch Gen Psychiatry 2001 ; 58 : 158-164.
- Borgwardt S, et al : Détection et traitement précoces des psychoses : prévenir les conséquences graves de la maladie. INFO Neurologie & Psychiatrie 2010 ; 8 : 6-10.
- Riecher-Rössler A, et al : Early detection and treatment of schizophrenia : how early ? Acta Psychiatr Scand 2006 ; 113 (Suppl 429) : 73-80.
- Riecher-Rössler A, et al. : Prédiction des psychoses par une évaluation progressive à plusieurs niveaux – Le projet Fepsy de Bâle. Fortschr Neurol Psychiatr 2013 ; 81(5) : 265-275.
- Riecher-Rössler A, et al. : The Basel Screening Instrument for Psychosis (BSIP) : development, structure, reliability and validity. Fortschr Neurol Psychiatr 2008 ; 76(4) : 207-216.
- Riecher-Rössler A, et al : The Basel Interview for Psychosis : structure, fiabilité et validité. Schizophr Res 2014 ; 153 (Suppl 1) : S128.
- Aston J, Gschwandtner U, Riecher-Rössler A : Screening pour la détection précoce des psychoses schizophréniques dans le cabinet du médecin généraliste. Forum Med Suisse 2002 ; 41 : 971-974.
- Kammermann J, Stieglietz RD, Riecher-Rössler A : “Selbstscreen-Prodrom” – Un outil d’auto-évaluation pour la détection précoce des maladies mentales et des psychoses. Fortschr Neurol Psychiatr 2009 ; 77 : 278-284.
- Fusar-Poli P, et al : The psychosis high-risk state : a comprehensive state-of-the-art-review. JAMA Psychiatry 2013 ; 70(1) : 107-120.
- Riecher-Rössler A : Détection et intervention précoces dans les psychoses débutantes. NeuroTransmetteur [im Druck].
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Les psychoses présentent souvent un début insidieux avec des symptômes non spécifiques.
- De graves conséquences apparaissent dès les premières phases.
- Le dépistage précoce contribue à prévenir la décompensation psychotique ou la chronicité de la maladie.
- Les listes de contrôle des risques aident à la détection précoce.
- Une intervention précoce permet de retrouver une vie normale.
A RETENIR
- Les psychoses présentent souvent un début insidieux avec des symptômes non spécifiques.
- Les conséquences néfastes apparaissent dès la phase initiale.
- Le diagnostic précoce contribue à la prévention d’une décompensation psychotique ou d’une chronicisation de la maladie.
- Les check-lists des risques aident au diagnostic précoce.
- Une intervention précoce permet de retrouver une vie normale.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(11) : 47-52