Après des années d’essais infructueux avec des anticorps monoclonaux dirigés contre certaines formes de bêta-amyloïde, il semble que l’on dispose pour la première fois d’un candidat prometteur pour le traitement de la démence d’Alzheimer – du moins pour les formes précoces de la maladie. Lors du congrès de l’American Academy of Neurology à Washington, les résultats de l’étude PRIME ont été rediscutés et ventilés en fonction du statut de l’ApoE4 et du stade de la maladie. En matière de diagnostic, des tests cutanés pourraient être disponibles à l’avenir.
En ouverture du congrès, une étude épidémiologique a donné une image saisissante de l’importance des affections neurologiques dans les statistiques de la maladie au niveau mondial. En se basant sur les données de 1990 à 2013, les auteurs ont conclu que le nombre de décès attribués aux maladies neurologiques avait augmenté de 50% depuis 1990. En 2013, 6,4 millions de décès ont été causés par des accidents vasculaires cérébraux et 2 millions d’autres affections neurologiques – dont la plus dominante est la démence (d’Alzheimer), qui a représenté 85% des décès. Mesurées par les années de vie corrigées de l’incapacité (DALY), qui regroupent en un seul chiffre à la fois la mortalité et la morbidité, les maladies neurologiques représentent tout de même 8% de la charge mondiale de morbidité. Les auteurs tirent donc une conclusion plutôt pessimiste : même si le nombre de décès dus aux attaques cérébrales diminue, la mortalité due aux maladies neurologiques continuera d’augmenter de manière drastique en raison du vieillissement de la population.
Il serait donc d’autant plus important de disposer d’outils permettant de contrôler efficacement des maladies aussi redoutables que la démence d’Alzheimer. On en est encore loin. Cependant, un nouvel agent modificateur de la maladie, l’aducanumab (BIIB037), est actuellement à l’étude dans le cadre d’un essai de phase Ib contre la démence d’Alzheimer. Il s’agit d’un anticorps monoclonal humain qui est sélectif pour les formes agrégées du peptide bêta-amyloïde. L’étude a pour but d’évaluer l’innocuité, la tolérance, la pharmacocinétique et la pharmacodynamie de la molécule chez des patients atteints de démence prodromique ou légère de type Alzheimer.
Une analyse intérimaire a été présentée au congrès. Les résultats ont été analysés séparément en fonction du stade de la maladie et du statut de l’ApoE4. L’ApoE4 est un allèle que les personnes qui développent la maladie d’Alzheimer sont plus susceptibles de présenter que celles qui n’en sont pas atteintes. Il s’agit donc d’un gène facteur de risque qui augmente la probabilité de développer une démence de type Alzheimer – mais la physiopathologie exacte n’est pas (encore) connue.
PRIME : structure
L’essai multicentrique contrôlé randomisé s’appelle PRIME. Les patients participant à l’étude étaient âgés de 50 à 90 ans, présentaient un PET-scan Florbetapir (18F-AV-45) positif pour l’amyloïde et répondaient aux critères cliniques de la maladie d’Alzheimer prodromique ou légère. En détectant les amyloïdes, on voulait s’assurer de ne pas inclure des patients qui n’étaient pas éligibles pour l’étude. On estime que dans certaines études antérieures sur les anticorps monoclonaux, jusqu’à 30% des patients présentaient une charge amyloïde trop faible pour que l’on puisse en déduire des effets significatifs.
Les participants ont reçu de l’aducanumab (par voie intraveineuse) ou un placebo une fois par mois pendant la phase en double aveugle contrôlée par placebo, pour une durée totale de 52 semaines. Les résultats intermédiaires présentés se rapportent aux données de la semaine 26. Les patients examinés avaient déjà subi les contrôles qui avaient lieu à ce moment-là. La conception comprenait sept bras de traitement avec des augmentations de dose progressives et était stratifiée selon le statut ApoE4 (porteur/non-porteur).
Effets secondaires dépendant du statut génétique et de la dose
La démence d’Alzheimer de 59% des 165 participants évaluables a été classée comme légère, 41% étaient en phase prodromique. 65% portaient l’allèle ApoE4, 35% ne le portaient pas. Les effets secondaires liés à la sécurité les plus fréquents, basés sur l’examen IRM, étaient des anomalies d’imagerie liées à l’amyloïde (ARIA) telles que l’œdème, la micro-hémorragie ou l’hémochromatose ARIA. L’étude a montré que ces effets secondaires dépendaient à la fois de la dose d’aducanumab utilisée et du statut de l’ApoE4. Tout d’abord, les résultats pour les porteurs de l’ApoE4 :
Groupe 1 : 40 personnes ont reçu un placebo. 8% d’entre eux ont subi une ARIA.
Groupe 2 : 31 personnes ont reçu 1 mg/kg d’aducanumab. 11% d’entre eux ont subi une ARIA.
Groupe 3 : 33 personnes ont reçu 3 mg/kg d’aducanumab. 14% d’entre eux ont subi une ARIA.
Groupe 4 : 30 personnes ont reçu 6 mg/kg d’aducanumab. 43% d’entre eux ont subi une ARIA.
Groupe 5 : 32 personnes ont reçu 10 mg/kg d’aducanumab. 65% d’entre eux ont subi une ARIA.
Les effets secondaires augmentent donc avec la dose. Chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer mais ne présentant pas d’allèle ApoE4, un ARIA analogue à l’augmentation de la dose est survenu chez 8%, 18%, 11% et 17% des patients. Pour le placebo, le taux était de 0%. Les porteurs de l’ApoE4 sont donc plus touchés par les effets secondaires que les patients ne possédant pas cet allèle. Dans l’ensemble, le taux d’ARIA est relativement élevé – un problème pertinent qui doit encore être résolu. Une chose est sûre : il ne faut pas trop augmenter la dose.
Autre enseignement de l’étude : la réduction des plaques bêta-amyloïdes dans le cerveau associée au temps et au traitement (reconnaissable à la réduction du SUVR, “standardized uptake value ratio”) était d’une ampleur comparable pour les doses testées dans les deux groupes de statut génétique. Il n’y avait pas non plus de différence entre les patients atteints de la maladie d’Alzheimer prodromique et ceux atteints de la maladie d’Alzheimer légère.
Fin mars 2015, les résultats de l’étude PRIME avaient déjà fait couler beaucoup d’encre lors de la conférence internationale sur la maladie d’Alzheimer et de Parkinson à Nice. On a pu montrer qu’après 26 semaines, l’aducanumab provoque des modifications significatives du SUVR dans six régions du cerveau à partir de la dose de 3 mg/kg et que les réductions se sont encore accentuées jusqu’à la semaine 52. Ils étaient tous dose-dépendants. Des améliorations significatives ont également été observées par rapport au placebo dans le Mini-Mental-State et le Clinical-Dementia-Rating (la dose la plus efficace était à chaque fois la plus élevée). Néanmoins, plusieurs experts ont fait remarquer lors du congrès que l’euphorie était prématurée et qu’il fallait dans tous les cas attendre d’autres phases, car de nombreuses substances actives ont souvent déçu par la suite après avoir donné de bons résultats initiaux.
Des tests cutanés pour améliorer le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ?
La présentation d’une nouvelle méthode de diagnostic de la maladie d’Alzheimer a également été intéressante : des chercheurs mexicains ont montré que les échantillons de biopsie cutanée prélevés sur des sujets atteints de la maladie d’Alzheimer présentaient des niveaux de protéine tau (p-Tau) significativement plus élevés que les biopsies cutanées de sujets sains ou atteints de démence non dégénérative. L’hypothèse de départ était que le cerveau et la peau avaient la même origine embryonnaire et que les dépôts de protéines anormales devaient donc se retrouver dans les deux organes. Cette hypothèse a été étayée par des échantillons de biopsie cutanée rétro-auriculaire prélevés sur 65 personnes au total : 20 atteintes de la maladie d’Alzheimer, 16 de la maladie de Parkinson, 17 de démence non neurodégénérative et 12 témoins sains appariés).
Le test immunohistochimique pourrait à l’avenir être utilisé en complément du diagnostic. Fourni en routine par les laboratoires standard, il pourrait faciliter le diagnostic différentiel. Ce serait un progrès considérable de pouvoir détecter les fibrilles tau agrégées caractéristiques de la maladie d’Alzheimer non seulement post mortem dans le tissu cérébral, mais aussi dans la peau des malades vivants. L’objectif est maintenant d’expérimenter le test sur de plus grands groupes de personnes.
Source : Assemblée annuelle de l’Amercian Academy of Neurology, 18-25 avril 2015, Washington, États-Unis.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2015 ; 13(3) : 22-24