La fatigue s’accompagne d’une sensation pénible de fatigue et d’épuisement inhabituels et intenses et peut entraîner une baisse considérable des performances, voire une incapacité à travailler. De nombreux patients atteints de cancer sont touchés par la fatigue liée aux tumeurs. Malgré cela, la fatigue reste sous-diagnostiquée. Le diagnostic est toutefois un préalable à la thérapie et à la rééducation. Une anamnèse détaillée, des questionnaires spécifiques et la tenue d’un journal de bord de la fatigue peuvent être utiles pour établir le diagnostic. Lors de l’évaluation, il faut toujours garder à l’esprit que la fatigue peut également être provoquée par des facteurs non liés à la tumeur, éventuellement faciles à traiter, par exemple la dépression, les troubles du sommeil ou de l’alimentation. La plupart du temps, plusieurs causes ou facteurs sont impliqués. Facteurs d’influence présents ensemble.
Presque tous les patients atteints de tumeur se plaignent de fatigue, d’épuisement ou de manque d’énergie à un moment ou à un autre de leur maladie. Ces troubles se manifestent au niveau physique, cognitif et affectif et sont regroupés sous le terme générique de “fatigue associée aux tumeurs” (cancer-related fatigue, CrF). Elles ne sont généralement pas liées à un effort antérieur et ne peuvent guère être influencées par le repos. Les symptômes peuvent être autolimités, mais ils peuvent aussi devenir chroniques et persister pendant des années après la fin du traitement de la tumeur [1]. Selon le type et la gravité de la maladie, la souffrance des patients et de leurs proches peut être considérable. Selon des études récentes, la fatigue liée à la tumeur est également associée à des durées de survie plus courtes [2].
La fatigue, l’épuisement et le manque d’énergie sont des phénomènes universels qui peuvent se manifester non seulement dans les maladies tumorales, mais aussi comme symptômes de nombreux autres troubles de santé et comme effets (secondaires) des traitements. De plus, ces symptômes sont également présents dans la population normale [3]. D’où l’importance d’un diagnostic approfondi et d’une évaluation des diagnostics différentiels.
Causes et facteurs associés de la fatigue liée aux tumeurs
Si un patient atteint d’une tumeur souffre de fatigue et d’épuisement, cela signifie certes que les troubles sont “associés à la tumeur” dans le sens où ils apparaissent en même temps que la maladie tumorale ou son traitement, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont la cause.
Si un patient se plaint de fatigue et d’épuisement, on se demandera probablement si ces symptômes ne sont pas dus à une progression (non encore détectée) de la maladie tumorale ou si le traitement en cours ne pourrait pas en être responsable. En conséquence, on prendra éventuellement les mesures diagnostiques nécessaires. Mais pour pouvoir identifier des causes extérieures à la tumeur (et éventuellement les traiter de manière causale), le diagnostic de la fatigue associée aux tumeurs devrait toujours être un diagnostic différentiel. Il faut savoir que la fatigue liée aux tumeurs est considérée comme un phénomène complexe et multicausal, et que chez la plupart des patients, plusieurs causes ou facteurs d’influence peuvent être présents simultanément [1]. Les (co)causes et facteurs d’influence de la fatigue associée aux tumeurs qui sont pertinents pour le diagnostic différentiel peuvent être, par exemple, des médicaments sédatifs, un stress émotionnel et des comorbidités (tableau 1).
Dans le cadre du diagnostic différentiel, il est en outre utile de faire la distinction avec d’autres états de fatigue décrits dans la CIM-10, tels que le syndrome d’épuisement post-viral, la neurasthénie ou un syndrome de burnout [4]. Le syndrome de fatigue chronique (SFC) entre également en ligne de compte.
Diagnostic et diagnostic différentiel
La complexité de la situation exige une approche diagnostique différenciée (figure 1). Pour la planification du traitement en particulier, il est nécessaire de distinguer les patients dont les causes et les facteurs d’influence peuvent être traités de ceux pour lesquels les causes/facteurs d’influence concrets ne peuvent pas être identifiés. Les premiers doivent, dans la mesure du possible, bénéficier d’un traitement causal (éventuellement complété par un traitement symptomatique), les seconds ne reçoivent que des propositions de traitement symptomatique [1].
Dépistage de la fatigue
La directive actuelle sur la fatigue du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) stipule que “tous les patients devraient être dépistés pour la fatigue lors de leur visite initiale, à intervalles réguliers pendant et après le traitement du cancer, et lorsque cela est cliniquement indiqué” [5]. Le dépistage permet d’identifier à moindre coût les patients susceptibles de souffrir d’une fatigue associée aux tumeurs cliniquement significative et d’en être affectés.
Conformément à une proposition du NCCN 2013, on peut utiliser à cet effet une échelle numérique de 0 à 10. Un seuil de 4 (pour l’intensité) et de 5 (pour la gêne) est considéré comme cliniquement pertinent [1]. En suivant Kenneth L. Kirsh et ses collègues, le dépistage de la fatigue peut également se faire à l’aide d’une question courte (“Êtes-vous constamment ou très souvent fatigué sans qu’il y ait une raison à cela ?”) et/ou de questionnaires [6].
Anamnèse
Comme la fatigue associée aux tumeurs est un événement subjectif qui est principalement saisi par les déclarations des patients eux-mêmes, l’anamnèse est considérée comme l’élément le plus important du processus de diagnostic [1]. L’exploration de différents thèmes de l’anamnèse, tels que les plaintes actuelles et les expériences antérieures d’épuisement, s’est avérée utile dans la pratique clinique quotidienne (figure 1).
La question de la première apparition des symptômes de fatigue et de la situation dans laquelle les troubles ont débuté est assez fructueuse sur le plan diagnostique. Par exemple, si un patient rapporte que sa fatigue est apparue pour la première fois huit ans avant le diagnostic initial de sa tumeur et qu’on lui a également diagnostiqué une sclérose en plaques à l’époque, il est peu probable que les symptômes soient (uniquement) dus à la fatigue associée à la tumeur. La question de l’évolution des symptômes (type, intensité, amélioration, aggravation) peut alors contribuer à clarifier davantage la situation.
La question des différences entre la fatigue ressentie et la “fatigue quotidienne” peut également orienter le diagnostic : Presque tous les patients atteints de fatigue associée à une tumeur sont capables de distinguer clairement leurs plaintes actuelles de fatigue d’autres états d’épuisement [7]. En règle générale, ils déclarent également n’avoir jamais connu un état d’épuisement tel que celui qu’ils connaissent actuellement avant leur tumeur.
La question sur la médication actuelle doit porter non seulement sur les médicaments délivrés sur ordonnance, mais aussi sur d’autres médicaments (y compris les médecines complémentaires), afin de pouvoir envisager, le cas échéant, des interactions pharmacodynamiques comme (co)cause des symptômes de fatigue.
Questionnaires sur la fatigue liée aux tumeurs
Trois questionnaires, spécialement conçus pour évaluer la fatigue associée aux tumeurs, ont été validés pour les pays germanophones et peuvent donc être utilisés pour confirmer le diagnostic (par exemple dans le cadre d’une procédure d’expertise) (tableau 2). Les trois questionnaires ont de bonnes propriétés psychométriques et peuvent être utilisés rapidement et facilement dans la pratique quotidienne. En outre, le module Fatigue de l’EORTC, l’EORTC QLQ-FA 13, est disponible depuis peu pour une utilisation dans les études [8].
Critères CIM-10 pour la fatigue associée aux tumeurs
Pour le diagnostic de la fatigue associée aux tumeurs, la “Fatigue Coalition” autour de David Cella a proposé pour la première fois des critères CIM-10, qui n’ont cependant pas encore été pris en compte dans la CIM malgré tous les efforts (tableau 3) [9]. Ces critères permettent de poser le diagnostic si le patient répond par l’affirmative à au moins 6 des 11 symptômes et si ces symptômes sont apparus presque quotidiennement au cours des quatre dernières semaines pendant une période de 14 jours. L’un des symptômes doit être une fatigue évidente, disproportionnée par rapport à l’effort précédent. Pour pouvoir poser le diagnostic de “fatigue associée aux tumeurs”, la personne concernée doit en outre se sentir limitée par la fatigue et les symptômes doivent être la conséquence de la maladie tumorale ou de son traitement.
Il ressort d’une récente revue systématique que les critères doivent être révisés, mais qu’ils sont fiables et valables. Il n’est pas clair, par exemple, si six symptômes sont vraiment nécessaires pour établir un diagnostic pour le critère A [10]. De plus, il n’y a pas de preuve scientifique que les symptômes doivent être apparus pendant 14 jours consécutifs sur une période de quatre semaines. L’expérience clinique montre qu’il existe des patients qui ne répondent pas à ce critère, mais qui souffrent néanmoins de fatigue tumorale.
Journal de la fatigue et mesure en temps réel
Pour établir le diagnostic et planifier le traitement, il peut être utile de demander aux patients de tenir un journal de fatigue dans lequel ils indiquent (par exemple à l’aide de l’échelle de 0 à 10), à des moments précis de la journée, à quel point ils se sentent fatigués à ce moment-là et dans quelle situation de la vie quotidienne ils se trouvent. Cela peut également se faire, dans l’esprit d’une mesure en temps réel (“Ecological Momentary Assessment” [EMA]), à l’aide d’un “journal électronique” dans lequel le patient note plusieurs fois par jour, en réponse à un signal sonore, le niveau de fatigue qu’il ressent à ce moment-là [11]. L’expérience personnelle de cette approche est bonne [12].
Examen physique, laboratoire et diagnostics complémentaires
Il n’y a pas de résultats organiques ni de paramètres de laboratoire indiquant un diagnostic. Si l’anamnèse (détaillée), l’examen physique et l’examen de laboratoire de base orienté ne révèlent pas de troubles fonctionnels sous-jacents, des examens de laboratoire et d’appareillage plus poussés sont rarement concluants [1].
Si les étapes diagnostiques précédentes ont par exemple révélé des indices de troubles fonctionnels, ceux-ci doivent être clarifiés à l’aide de méthodes diagnostiques appropriées.
Fatigue tumorale ou dépression ?
L’épuisement étant un symptôme central des troubles dépressifs, il convient toujours d’examiner si les plaintes des patients peuvent être attribuées à une dépression unipolaire. Pour cela, on peut par exemple vérifier si le patient répond plutôt aux critères de la CIM-10 pour la dépression ou aux critères de la CIM-10 pour la fatigue associée aux tumeurs [13]. L’utilisation (complémentaire) de questionnaires de dépression et de CrF appropriés peut aider à les différencier, tout comme la question de la motivation et de l’impulsion. Les patients souffrant de fatigue associée aux tumeurs ont souvent de l’énergie et de la motivation, alors que les patients dépressifs en sont souvent dépourvus [4]. Les expressions typiques des patients sont : “Je veux bien, mais je n’y arrive pas”, mais aussi : “Je ne veux plus, car j’ai toujours constaté que je n’y arrivais pas”. La question “Êtes-vous triste parce que vous êtes si fatigué ou y a-t-il d’autres raisons à cela ?” peut être utile. Il faut toujours garder à l’esprit que certains patients souffrent à la fois de fatigue associée aux tumeurs et de dépression unipolaire.
Déficience cognitive
La fatigue associée aux tumeurs peut également se manifester au niveau cognitif. Les patients qui en souffrent se plaignent d’une diminution de leurs capacités intellectuelles, comme des problèmes de concentration et de mémoire. La distinction avec le “chemobrain” est floue et nécessite une clarification scientifique. Même si les troubles subjectivement ressentis ne correspondent pas toujours aux résultats des tests de performance cognitive, les troubles doivent être pris au sérieux et faire l’objet d’une évaluation appropriée [14,15].
Pour le groupe de travail sur les mesures de soutien en oncologie, rééducation et médecine sociale de la Société allemande du cancer (ASORS). www.asors.de
Reproduction autorisée par Springer Medizin. Publié dans : Im Focus Oncologie 2013 ; 16(7-8) : 40-44.
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