En Suisse, un certain nombre de préparations à base de millepertuis sont enregistrées, dont la composition ne diffère pas sensiblement. Seule une minorité d’entre eux peut être utilisée dans l’indication “dépression légère à modérée”, et ce depuis quelques années seulement.
Lorsqu’une entreprise pharmaceutique lance une nouvelle molécule sur le marché, celle-ci bénéficie d’une protection par brevet de 10 à 15 ans, ce qui permet à l’entreprise d’amortir les coûts de développement élevés. Pendant cette période, aucune autre entreprise ne peut produire ce principe actif en utilisant la voie de synthèse décrite dans le brevet sans l’accord du titulaire du brevet. Dans le cas d’une plante médicinale, cela n’est pas possible car une plante en tant qu’être vivant ne peut pas être brevetée.
Cela pose des défis importants à une entreprise qui produit des médicaments à base de plantes. En effet, si une telle entreprise souhaite mettre sur le marché une préparation dont le principe actif est l’extrait d’une nouvelle plante médicinale ou une préparation contenant une plante médicinale connue, mais pour une nouvelle indication, elle doit également fournir une documentation pharmacologique, toxicologique et clinique importante, ce qui entraîne bien entendu un coût financier important. Et à peine sur le marché, d’autres entreprises lanceraient en parasite une préparation à base de plantes identique et utiliseraient les données de la première entreprise pour l’efficacité et la sécurité de la préparation.
Pour échapper à ce dilemme, des entreprises développent des extraits de plantes dits standardisés, qui peuvent être brevetés. Il s’agit d’extraits d’une plante médicinale qui ont une teneur bien définie en substances actives, le plus souvent par rapport à l’une d’entre elles, ainsi qu’un rapport bien défini entre la plante médicinale et l’extrait, appelé rapport drogue/extrait (DEV, en pharmacie, le terme “drogue” désigne une plante médicinale séchée, voir “drug”).
Tous les extraits ne se valent pas
Mais ce n’est que la moitié de ce qui est dit sur les extraits standardisés ! En effet, si ces extraits protègent déjà contre les resquilleurs, ils ont également une importante signification médicale. Différents extraits d’une même plante médicinale peuvent avoir des effets très différents et leurs possibilités thérapeutiques peuvent varier considérablement. En ce qui concerne les allégations thérapeutiques, une entreprise ne peut se référer qu’à des études réalisées avec le même extrait végétal de sa préparation.
Une plante médicinale possède des dizaines, souvent des centaines de composants, dont beaucoup sont impliqués dans un effet synergique et conduisent à une indication particulière pour la plante médicinale. Selon le liquide ou le mélange de liquides (solvant) utilisé pour l’extrait, différents ingrédients peuvent être extraits. L’eau, solvant polaire, permet d’extraire principalement des ingrédients polaires (hydrophiles), tandis qu’un solvant plutôt apolaire permet d’obtenir un extrait contenant davantage d’ingrédients lipophiles. Un thé est donc un extrait liquide préparé avec de l’eau chaude, il contient donc plutôt peu d’ingrédients lipohiles.
Extraits de millepertuis
Hypericum perforatum, le nom botanique du millepertuis, est l’une des plantes médicinales les plus étudiées avec le ginkgo biloba. Son efficacité dans les dépressions légères et moyennes a été démontrée de manière convaincante par de nombreuses études cliniques. Par ailleurs, la supériorité des préparations à base de millepertuis sur les antidépresseurs de synthèse en termes d’événements indésirables a également été démontrée (HAUSARZT PRAXIS 10/2013). Et depuis peu, même des médecins habituellement sceptiques vis-à-vis de la phytothérapie prescrivent des préparations à base de millepertuis dans les indications correspondantes. Cela est en partie lié à la demande des patients, qui sont informés des effets secondaires désagréables de nombreux antidépresseurs synthétiques et de l’excellente tolérance des préparations à base de millepertuis.
Hyperforin
Comment les différentes entreprises qui ont mis sur le marché des préparations à base d’Hypericum perforatum différencient-elles leurs extraits de millepertuis les uns des autres ou quels sont les arguments d’une entreprise pour présenter son extrait sous un jour particulièrement favorable ? Enfin, tous les extraits sont très similaires et contiennent 500 à 900 mg d’extrait de millepertuis standardisé en hypéricine totale. Et jusqu’à présent, aucun ingrédient n’a pu être identifié comme jouant un rôle décisif dans l’action synergique de nombreux ingrédients.
Il y a quelques années, un débat a éclaté entre différents fournisseurs de préparations à base de millepertuis au sujet de l’importance de l’hyperforine, un autre composant lipophile de l’Hypericum perforatum (figure 1). D’un côté, on soulignait l’importance de l’hyperforine. L’hyperforine serait le composant essentiel du millepertuis, responsable de l’efficacité antidépressive réelle d’une préparation à base de millepertuis. D’un autre côté, des arguments ont été avancés selon lesquels l’hyperforine ne participerait pas du tout à l’effet du millepertuis, mais serait au contraire même responsable de manière décisive des interactions connues du millepertuis (HAUSARZT PRAXIS 9/2015).
Les laboratoires pharmaceutiques ont commandé des études et organisé des symposiums où des scientifiques de renom ont fourni des arguments et soutenu les partisans et les adversaires de l’hyperforine. Il ne fait aucun doute que beaucoup d’argent a été dépensé pour cela. Et l’on peut imaginer avec quel intérêt les dirigeants des entreprises pharmaceutiques qui produisent des antidépresseurs de synthèse ont suivi cette bataille.
Indication
Et tout d’un coup, les conflits mentionnés ont pris fin, car les entreprises ont apparemment compris qu’elles ne pouvaient pas aller plus loin. Pour cela, ils se sont concentrés sur les indications. En effet, jusqu’à cette date, les différentes préparations à base de millepertuis ne recevaient pas cette indication, malgré les nombreuses études qui documentaient leur efficacité dans les dépressions légères à modérées. Dans le Compendium des médicaments, les entreprises ne pouvaient mentionner dans les indications que “troubles de l’humeur, humeur déprimée, instabilité de l’humeur, nervosité, troubles du sommeil associés” et autres indications similaires. Il manquait le mot décisif “dépression”. Mais les entreprises ont commandé de nouvelles études et le succès ne s’est pas fait attendre. Entre-temps, il existe en Suisse trois préparations différentes à base de millepertuis, dont l’indication est “dépression légère et modérée”. (tableau 1). Cela permet aux entreprises concernées d’entrer en concurrence directe avec les antidépresseurs synthétiques, car ils ont la même indication, du moins dans le domaine des dépressions légères et moyennes, sans parler des avantages en termes de sécurité.
Résumé
Il existe en Suisse différentes préparations à base de millepertuis dont les principes actifs sont des extraits standardisés en hypéricine totale. Leur efficacité ne diffère pas sensiblement entre elles. Pour un médecin qui veut prescrire une préparation à base de millepertuis à un patient dépressif, outre le remboursement par l’assurance de base, la dose est tout au plus importante. La fourchette de dosage est large, comme le montre le tableau 1. La dose nécessaire pour un traitement antidépresseur efficace est toutefois très individuelle. Certains patients se contentent de 250-500 mg, d’autres ont besoin de beaucoup plus. Il appartient au médecin traitant de déterminer la dose efficace pour son patient.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(12) : 6-7