Lors du congrès du CMPR à Lucerne, le professeur Gregor Hasler, de la clinique universitaire de psychiatrie de Berne, a dirigé un atelier intéressant sur le thème de la cognition dans la dépression. Les troubles de la mémoire, la diminution de la concentration et le ralentissement sont des symptômes auxquels les médecins et les patients ne prêtent que peu d’attention en cas de dépression – bien qu’ils réduisent considérablement la qualité de vie et la capacité de travail.
Les troubles cognitifs liés à la dépression peuvent se manifester dans quatre sous-domaines de la cognition : la mémoire, l’attention, la vitesse de traitement et les fonctions exécutives. Les problèmes typiques décrits par les patients sont des troubles de la concentration, une attention perturbée et des difficultés à se concentrer, des problèmes de “multitasking”, une mauvaise mémoire à court terme, un ralentissement et également des difficultés à s’attaquer aux tâches et à les mener à bien. La cognition “chaude” et la cognition “froide” sont toutes deux perturbées. La cognition chaude est la pensée avec une forte implication émotionnelle, par exemple une discussion avec le patron ; la cognition froide est la pensée avec une faible implication émotionnelle, par exemple en regardant un film à la télévision ou en faisant une liste de courses.
Symptômes persistants avec une forte diminution de la qualité de vie
Les symptômes cognitifs sont souvent oubliés lors de l’évaluation et du traitement de la dépression, tant par les médecins que par les patients. Lors de l’évaluation clinique de routine de la dépression, on ne demande traditionnellement que les trois ensembles de symptômes émotionnels, de symptômes physiques et de symptômes supplémentaires (irritabilité, douleur, larmoyance, anxiété, craintes exagérées concernant la santé physique). De même, la cognition n’est guère abordée dans les questionnaires et échelles classiques de la dépression. De leur côté, les patients ne perçoivent souvent pas les troubles de la concentration et de la mémoire comme faisant partie de la maladie.
Cette non-prise en compte dans le diagnostic est inversement proportionnelle à l’importance que le dysfonctionnement cognitif a sur le fonctionnement au quotidien. Après le symptôme “humeur triste”, les troubles de la concentration sont le deuxième symptôme le plus important qui affecte la vie quotidienne des patients dépressifs. Les symptômes dépressifs présentent également une forte fluctuation – les patients rapportent les mauvais jours et les bons jours. Les symptômes cognitifs, en revanche, sont très persistants, ne fluctuent guère et persistent souvent même après la disparition de la dépression. Le professeur Hasler a donc plaidé pour que ces symptômes soient davantage pris en compte, car ils ont un fort impact sur la qualité de vie et le traitement (tab. 1).
Augmentation de la dépense énergétique lors de la réflexion
Un bilan neuropsychologique n’est pas toujours pertinent, car l’important n’est pas la capacité cognitive actuelle du patient, mais le changement par rapport au passé. Si un universitaire occupant un poste de direction n’est soudainement plus en mesure de répondre aux exigences de son travail, il peut néanmoins fournir une performance normale lors des tests neuropsychologiques. En outre, les patients déprimés peuvent généralement fonctionner normalement pour des tâches courtes, mais ils doivent pour cela dépenser plus d’énergie que les personnes en bonne santé, ce qui entraîne une fatigue importante.
Dans la pratique, il peut être utile d’estimer la fonction cognitive en posant des questions simples : Avez-vous plus de mal à vous décider lorsque vous faites vos courses ? Vous avez du mal à vous concentrer lorsque vous travaillez ? Avez-vous plus de mal à aborder et à mener à bien les tâches (motivation) ?
Un autre problème important est celui de la rumination émotionnelle. la rumination, au cours de laquelle les patients reviennent sans cesse à des pensées négatives et égocentriques. Ces patients n’ont certes pas de mal à se concentrer sur les pensées négatives, mais ils manquent de concentration pour d’autres tâches cognitives. En outre, il existe une tendance à décrire les événements passés de manière négative et non spécifique (“Je n’ai jamais aimé mon mari”, “Je n’ai jamais été heureuse dans ce métier”).
Prendre en compte les diagnostics différentiels
Lors de l’évaluation, il est important de prêter attention aux diagnostics différentiels du dysfonctionnement cognitif (tableau 2). Il faut essayer d’évaluer si les troubles cognitifs ressentis subjectivement par le patient correspondent aux déficits observés. Il faut également tenir compte du fait que les déficits sont limités ou diffus, subtils ou grossiers. En cas de suspicion d’effet secondaire ou d’abus de médicaments, il convient de réduire la dose ou, si possible, de remplacer le médicament. Le diagnostic comprend également un statut neurologique et un laboratoire de base (statut du fer, paramètres thyroïdiens, etc.).
Le travail comme moyen de réhabilitation
Auparavant, la règle “First train, then place” s’appliquait aux patients qui avaient des difficultés sur leur lieu de travail : d’abord la thérapie et la réhabilitation du patient, puis la recherche d’un nouvel emploi. On s’en est depuis éloigné, car il est désormais admis que les mesures de réadaptation peuvent être prises parallèlement au travail normal et que le travail lui-même peut servir de moyen de réadaptation : “First place, then train”. Aux États-Unis, une telle approche est même imposée par la loi. Comme les primes d’assurance maladie y sont payées par les employeurs, ces derniers ont plutôt intérêt à ce que leurs collaborateurs ne tombent pas malades ou ne soient pas victimes de maladies. retourner rapidement au travail. En Suisse, la situation est différente et comme les entreprises ont peu d’intérêt à ce que les employés malades reprennent le travail le plus tôt possible, le principe du “premier lieu, puis formation” ne s’est pas encore imposé.
La réadaptation fonctionnelle est une possibilité de réadaptation professionnelle pour les patients dépressifs : dans différents modules suivis parallèlement au travail professionnel, le patient s’exerce à des compétences telles que la communication, la planification, le contrôle de l’attention et la résolution de problèmes. Cela permet par exemple de bien améliorer la capacité d’apprentissage, mais pas de la ralentir. Les entraînements cognitifs peuvent être dangereux pour les personnes dépressives, car si le patient ne parvient pas à réaliser les tâches, il se sent en situation d’échec. Il est plus judicieux de recourir à des thérapies par l’exercice et à des médicaments psychotropes qui améliorent également les capacités cognitives. Le donépézil et les inhibiteurs de la cholinestérase, qui ont un certain effet sur la démence, n’ont malheureusement aucun effet sur les patients dépressifs.
Source : Congrès du CMPR, 25-26 juin 2015, Lucerne
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(9) : 43-44