Le bruit du trafic est un sujet d’actualité. La crise de Corona a appris aux gens à apprécier le calme qui s’est installé en de nombreux endroits pendant plusieurs semaines à la suite de la réduction drastique de la mobilité et de la diminution du bruit lié à la circulation.
Le bruit du trafic est un sujet d’actualité. La crise de Corona a appris aux gens à apprécier le calme qui s’est installé en de nombreux endroits pendant plusieurs semaines à la suite de la réduction drastique de la mobilité et de la diminution du bruit lié à la circulation.
La mesure et la description du bruit [1]
La mesure physique objective des sons gênants, c’est-à-dire du bruit, est le décibel (dB), une mesure logarithmique. Une augmentation de 10 dB correspond à un doublement du volume sonore perçu. Un doublement par deux sources sonores de même intensité entraîne une augmentation de la valeur dB de 3 dB. L’évaluation subjective du son dépend de son volume, de sa fréquence, de sa tonalité, de sa nature impulsive, du moment où il se produit et de sa durée. Par exemple, pour une même pression sonore, l’oreille humaine perçoit les sons graves et aigus comme moins forts que les sons moyennement aigus. La plupart des pays utilisent le filtre de fréquence A (dB(A)) pour décrire le bruit, afin de corriger les valeurs mesurées pour les différentes fréquences du son en fonction de la capacité auditive humaine.
Pour évaluer l’effet perturbateur d’une exposition au bruit, on utilise une valeur moyenne des niveaux sonores, appelée niveau sonore continu équivalent en énergie Leq. Il mesure l’énergie totale des événements sonores sur une période de mesure donnée, par exemple toute la journée, toute la nuit ou toute une année. Le niveau jour-soir-nuit Lden, également une valeur moyenne, est défini de manière à couvrir toute la journée. Pour tenir compte de la différence de gêne pendant les différentes périodes de la journée, les heures de soirée sont pondérées par une majoration de 5 dB(A) et les heures de nuit par une majoration de 10 dB(A).
Afin de limiter les nuisances sonores en Suisse, l’ordonnance sur la protection contre le bruit fixe des valeurs de planification, des valeurs limites d’immissions et des valeurs d’alarme pour différents types de bruit. Elles sont adaptées à la sensibilité au bruit de la zone exposée et sont toujours plus basses pendant la nuit. Dans les zones résidentielles, par exemple, les valeurs limites d’immission pour le jour et la nuit sont respectivement de 60 et 50 dB – ces valeurs limites définissent le seuil à partir duquel le bruit perturbe considérablement le bien-être de la population. Les valeurs d’alarme analogiques sont respectivement de 70 et 65 dB et marquent l’urgence de travaux de rénovation tels que l’installation de fenêtres antibruit. Pour tenir compte des différents effets perturbateurs des différents types de bruit dans les valeurs limites, des corrections de niveau, appelées valeurs K, sont également appliquées. Par exemple, pour évaluer les dépassements de valeurs limites dans le cas du bruit industriel, on ajoute de deux à six décibels aux valeurs mesurées à mesure que le contenu en sons et en impulsions augmente.
Exposition de la population suisse au bruit du trafic et mesures de limitation du bruit
Le trafic routier est le principal contributeur à l’exposition au bruit de la population. Selon les estimations de l’Office fédéral de l’environnement, une personne sur sept est exposée à la pollution sonore nocive ou incommodante à son domicile le jour et une sur huit la nuit. Bruit du trafic routier concerné, c’est-à-dire une exposition au bruit supérieure à la valeur limite d’immission. Le bruit du trafic routier est essentiellement un problème urbain, mais les zones situées hors de l’influence des zones centrales urbaines sont également touchées à plus de 5% (figure 1). Pour une population de 8,3 millions d’habitants en Suisse (situation 2015), cela représente environ 1,1 millions de personnes le jour et 1,0 millions la nuit. En outre, environ 16 000 personnes sont affectées par le bruit ferroviaire nuisible ou gênant à leur domicile le jour et 87 000 la nuit. Le bruit des avions, qu’il soit nuisible ou gênant, affecte 24 000 personnes le jour et 75 000 la nuit à leur domicile [1].
La première priorité des mesures de limitation du bruit est la réduction des émissions sonores à la source (par ex. revêtements routiers et pneus peu bruyants ; réduction de la vitesse sur les routes ; véhicules plus légers, matériel roulant moderne pour les trains ; avions moins bruyants). La deuxième priorité est de lutter contre la propagation du bruit (par exemple, construction de murs antibruit). Si les émissions sonores des installations ne peuvent pas être réduites en dessous des valeurs limites en raison de priorités plus élevées (p. ex. construction de routes ou de voies ferrées au niveau national), des mesures d’insonorisation des bâtiments environnants entrent en ligne de compte (p. ex. fenêtres antibruit et ventilation de confort).
Le bruit de la circulation comme facteur de risque cardiovasculaire : mécanismes d’action présumés
Sur la base des preuves existantes, les particules fines dans l’air sont considérées depuis plusieurs années comme un facteur de risque causal de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires. La pollution de l’air est considérée comme le facteur de risque environnemental le plus important du point de vue de la santé, mais elle est immédiatement suivie par le bruit de la circulation [2].
Il est de plus en plus confirmé scientifiquement que le bruit peut finalement entraîner des modifications physiopathologiques du système vasculaire par le biais de la pollution sonore, du stress chronique, de l’activation du système nerveux autonome et du système endocrinien et de la perturbation du sommeil. Ces changements peuvent finalement se traduire par l’apparition ou la progression de maladies cardiovasculaires.
L’évaluation des nuisances sonores est influencée par des facteurs personnels. Il s’agit par exemple de l’attitude et des jugements de valeur individuels et sociaux à l’égard de la source de bruit ou de la situation psychologique et de l’activité actuelle de la personne concernée. Une découverte importante est cependant que la perception du bruit comme un facteur de stress n’est pas une condition préalable à ses effets physiopathologiques.
Le bruit, qu’il soit perçu consciemment comme un facteur de stress ou par ses effets de stress objectifs, modifie l’équilibre des voies biologiques associées au stress, passant d’une réaction de fuite aiguë répétée à une réaction de stress chronicisée [3]. Le bruit, comme d’autres facteurs de stress chroniques, est associé à une augmentation de la pression artérielle, de la glycémie, de la viscosité sanguine et des lipides sanguins, ainsi qu’à une activation de la coagulation sanguine (Fig. 2). Ce sont tous des biomarqueurs physiopathologiquement établis dans le développement des maladies cardiovasculaires. Il a également été démontré que le bruit peut également déclencher des dysfonctionnements endothéliaux par le biais du stress oxydatif et de processus inflammatoires. L’exposition au bruit a également été associée à une réduction de la variabilité du rythme cardiaque. Dans le modèle animal, l’exposition au bruit a en outre provoqué des processus inflammatoires dans l’intestin, qui pourraient également entraîner une modification de la flore intestinale. L’étude génomique des modifications induites par le bruit dans le tissu aortique des animaux a montré des changements dans les gènes ayant une fonction régulatrice sur la fonction vasculaire, le remodelage vasculaire et la mort cellulaire [3].
Preuves épidémiologiques des associations entre le bruit de la circulation et les maladies cardiovasculaires
Sur la base d’une méta-analyse des preuves existantes, un groupe d’experts mandaté par l’OMS a conclu que le bruit du trafic, en particulier le bruit du trafic routier, augmente le risque de cardiopathies ischémiques (maladies coronariennes stables et syndromes coronariens aigus) sur la base de preuves [4]. L’OMS a estimé que l’incidence des cardiopathies ischémiques augmentait de 8% pour chaque augmentation de 10 dB de l’exposition au bruit, à partir de 53 dB. Parallèlement, le risque d’hypertension, d’accident vasculaire cérébral, d’arythmie, d’insuffisance cardiaque, d’obésité et de diabète pourrait également augmenter [5–7]. Les études épidémiologiques les plus récentes renforcent encore ces liens présumés. De plus, contrairement aux études plus anciennes, les preuves récentes prennent en compte l’exposition simultanée à la pollution atmosphérique et les facteurs socio-économiques. Tous deux influencent également le risque de maladies cardiovasculaires. En même temps, ils sont souvent fortement corrélés au bruit de la circulation. Cependant, lors de l’ajustement pour ces facteurs dans les modèles de régression multiple, l’association entre le bruit du trafic et les maladies cardiovasculaires persiste généralement et ne change souvent que faiblement.
Sur la base d’une analyse de la relation dose-effet, l’OMS a recommandé de réduire le Lden pour la protection contre les maladies cardiovasculaires comme suit : moins de 53 dB pour le trafic routier ; moins de 54 dB pour le bruit des trains ; et moins de 45 dB pour le bruit des avions. Ces valeurs sont plus basses que les limites d’immissions actuellement recommandées par l’OMS, qui sont de 55 dB.
Le bruit de la circulation est particulièrement critique la nuit [8,9]. Pour les troubles du sommeil auto-déclarés et polysomnographiques, le bruit est particulièrement pertinent aux premières heures du matin, lorsque la pression de sommeil est moins élevée. Des problèmes d’endormissement sont également avérés en cas de bruit en début de nuit. Cependant, la distinction épidémiologique des effets à long terme du bruit de la circulation pendant la journée et à différents moments de la nuit est un défi. Par exemple, l’attribution du bruit de la circulation au lieu de résidence est plus sujette à erreur pendant la journée, car la plupart des personnes passent également un pourcentage important de la journée dans des lieux autres que leur domicile. De plus, les bruits diurnes et nocturnes sont souvent si fortement corrélés sur le lieu de résidence qu’il est difficile de déterminer leurs effets indépendants sur la santé. Il existe cependant des preuves épidémiologiques selon lesquelles le bruit nocturne est particulièrement nocif pour les événements cardiovasculaires aigus, en particulier lorsqu’il se présente sous la forme d’événements isolés se distinguant du bruit de fond général. En revanche, pour des critères cardiovasculaires plus chroniques, comme l’insuffisance cardiaque, l’exposition au bruit de la circulation tout au long de la journée semble importante.
Le voyage de recherche – il se poursuit et s’élargit
Dans l’optique d’une prévention efficace des maladies cardio-vasculaires, il est important d’une part de caractériser encore mieux la causalité des risques environnementaux. D’autre part, nous voulons mieux comprendre les effets sur la santé de plusieurs facteurs qui se rencontrent, dans le contexte de la conjonction de différents risques environnementaux (tels que la pollution de l’air, le bruit de la circulation et le manque d’espaces verts), en particulier dans les environnements urbains.
La recherche sur les exposomes permet de le faire [10]. L’exposome a été défini comme l’ensemble des facteurs endogènes et exogènes auxquels un organisme humain est exposé au cours de sa vie. Bien sûr, cela ne peut pas être analysé sous cette forme extrême. Néanmoins, les technologies modernes offrent la possibilité de mesurer les facteurs environnementaux et le comportement des personnes à l’aide de capteurs, de données satellites ou de wearables avec beaucoup plus de précision que ce qui était possible auparavant avec les seules données de questionnaires. De plus, les technologies génomiques (-omics technologies) nous permettent d’analyser des milliers de molécules dans différents fluides corporels facilement accessibles. Dans les consortiums de recherche avec de grandes études à long terme et des biobanques associées, ces technologies sont appliquées pour mesurer et modéliser plus précisément, par exemple, l’exposition au bruit et simultanément d’autres expositions (environnement alimentaire, environnement résidentiel construit, environnement social) des participants à l’étude. Parallèlement, le matériel stocké dans les biobanques est utilisé pour rechercher les empreintes moléculaires que ces schémas d’exposition laissent dans le corps. Les réseaux moléculaires associés permettent de déduire de nouvelles connaissances sur les mécanismes d’action biologiques des facteurs environnementaux et de style de vie [11]. Une compréhension de la biologie est un pilier important de la compréhension de la causalité.
Une évaluation de santé publique du lien entre le bruit du trafic et les maladies cardiovasculaires
Les effets aigus du bruit de la circulation sur les paramètres et les maladies cardiovasculaires peuvent être clairement démontrés dans des expériences en laboratoire et chez l’homme dans le cadre d’expériences naturelles. Comme pour d’autres risques environnementaux, l’exposition à long terme au bruit chronique de la circulation ne peut pas être randomisée, de sorte que les preuves sont basées sur des études épidémiologiques d’observation. Si la causalité des associations de bruit observées dans les études à long terme peut être approchée par les méthodes d’exposome présentées ci-dessus, elle ne pourra jamais être absolue. C’est pourquoi la réglementation des immissions et des émissions sonores devra toujours se faire dans un contexte d’incertitude. Mais il est vrai que les preuves d’un effet causal du bruit de la circulation sur la santé sont si fortes et que la charge de morbidité associée est potentiellement si importante que ne rien faire n’est pas une option. Il est du devoir de la science, en dialogue avec la politique, d’attirer l’attention sur l’importance des mesures de protection de la tranquillité. Ces efforts sont désormais soutenus par l’épidémie de coronavirus. Le nouveau calme apporté par le lockdown a rendu les citoyens plus sensibles au bruit de la circulation. Dans plusieurs régions d’Europe, dont la Suisse, des efforts sont actuellement déployés pour recenser les dépassements de la limite de vitesse et les contrôles de vitesse au moyen de contrôles, afin de mieux réglementer les dépassements de la limite de bruit par les véhicules individuels.
Une évaluation des effets cardiovasculaires du bruit de la circulation d’un point de vue clinique
Ce qui est important pour l’approche clinique, c’est que le bruit de la circulation peut contribuer à la fois à l’apparition de nouvelles maladies cardiovasculaires et à l’évolution clinique des maladies existantes. Cela signifie que les médecins de premier recours comme les spécialistes peuvent émettre des recommandations sur la prévention du bruit chez leurs patients. Les conseils se concentrent sur les recommandations qui protègent le sommeil nocturne d’un bruit excessif. Il s’agit notamment de conseils pour protéger la chambre à coucher d’un bruit excessif en la plaçant du côté le plus calme de la maison. En présence d’une ventilation de confort dans la maison, il peut également être judicieux de recommander de dormir la fenêtre fermée, en particulier les jours où il ne fait pas trop chaud. Si ces mesures ne sont pas possibles, il peut être recommandé de dormir avec des protections auditives. Pour les patients particulièrement sensibles au bruit, il peut également être utile de recommander un changement de domicile dans un endroit plus calme. D’un point de vue individuel, un changement de logement peut probablement améliorer la qualité de vie globale liée à la santé, car la gêne et la sensibilité au bruit ont été associées à une réduction considérable de cette qualité dans nos propres études [12]. D’un point de vue de santé publique, ce n’est évidemment pas une recette, car cela crée un potentiel de trafic supplémentaire et une augmentation de la pollution, y compris sonore. Il est donc d’autant plus important de protéger les zones résidentielles par des mesures à la source et un aménagement du territoire adéquat à long terme.
Messages Take-Home
- Les personnes exposées de manière chronique ou aiguë à des niveaux élevés de bruit de la circulation ont un risque accru d’infarctus du myocarde et probablement d’autres maladies cardiovasculaires et de diabète.
- Recommandez à vos patients de déplacer leur chambre à coucher du côté le plus calme de l’appartement ou de la maison afin de se protéger contre un risque cardiovasculaire accru.
- Les mesures prises contre une exposition subjective excessive au bruit contribuent à améliorer la qualité de vie liée à la santé.
Littérature :
- OFEV (éd.) : Pollution sonore en Suisse 2018. Résultats du monitoring national du bruit sonBASE, état 2015. Office fédéral de l’environnement. Berne. État de l’environnement, n° 1820 : 30 p.
- Sørensen M, Pershagen G. : Transportation noise linked to cardiovascular disease independent from air pollution. Eur Heart J 2019 ; 40(7) : 604-606.
- Hahad O, Kröller-Schön S, Daiber A, et al : The Cardiovascular Effects of Noise. Dtsch Arztebl Int 2019 ; 116(14) : 245-250.
- OMS (Organisation mondiale de la santé). Lignes directrices sur le bruit dans l’environnement pour la région européenne 2018. Rep, WHO Reg. Off. Eur., Copenhague. www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0008/383921/noiseguidelines-eng.pdf?ua=1
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- Foraster M, Eze IC, Vienneau D, et al : Long-term exposure to transportation noise and its association with adiposity markers and development of obesity. Environ Int 2018 ; 121(Pt 1) : 879-889.
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- Héritier H, Vienneau D, Foraster M, et al. : A systematic analysis of mutual effects of transportation noise and air pollution exposure on myocardial infarction mortality : a nationwide cohort study in Switzerland. Eur Heart J 2019 ; 40(7) : 598-603.
- Daiber A, Lelieveld J, Steven S, et al : The “exposome” concept – how environmental risk factors influence cardiovascular health. Acta Biochim Pol 2019 ; 66(3) : 269-283.
- Eze IC, Jeong A, Schaffner E, et al : Genome-Wide DNA Methylation in Peripheral Blood and Long-Term Exposure to Source-Specific Transportation Noise and Air Pollution : The SAPALDIA Study. Environ Health Perspect 2020 ; 128(6) : 67003.
- Cerletti P, Eze IC, Schaffner E, et al : The independent association of source-specific transportation noise exposure, noise annoyance and noise sensitivity with health-related quality of life. Environ Int 2020 ; 143 : 105960.
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