Charge de travail excessive, obligation d’économiser, traits de personnalité prédisposant – les médecins sont deux fois plus touchés par le burnout que la population générale. Un bref aperçu des connaissances actuelles – et des conseils pour éviter le piège du burnout.
Environ la moitié des médecins hospitaliers suisses travaillent en moyenne 56 heures par semaine, soit six heures de plus que ce qui est autorisé par la loi. C’est ce qui ressort de l’étude représentative DemoSCOPE, réalisée en 2017 sur mandat de l’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (ASMAC). Le surmenage se traduit par de la fatigue pour une personne sur deux et un sentiment d’épuisement pour une personne sur trois. Près de 40% d’entre eux atteignent les limites de leur résistance [1]. Si cela devient un état permanent, le pas vers le burnout n’est plus très loin. Bien que le syndrome d’épuisement professionnel ne soit pas un diagnostic selon la CIM-10, il est considéré comme une maladie liée au stress professionnel qui peut précéder ou être associée à des maladies psychologiques et psychosomatiques. Le burnout est mesuré à l’aide du Maslach Burnout Inventory (MBI), une liste de questions qui examine les dimensions de l’épuisement émotionnel, de la dépersonnalisation et de la réduction de la performance [2]. Pour les médecins concernés, les axes les plus pertinents sont l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation ou l’insensibilité aux patients [3].
Le burnout chez les médecins – quelques chiffres
De nombreuses études montrent que le burnout constitue une menace sérieuse, en particulier pour les médecins. Ainsi, une étude de la Mayo Clinic conclut que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des médecins américains s’est nettement détérioré entre 2011 et 2014 : Plus de la moitié d’entre eux (n=6880) souffrent d’un syndrome d’épuisement professionnel. Le taux de burnout chez les médecins est donc deux fois plus élevé que dans la population générale [4]. La tendance est également à la hausse en Suisse [5]. Il existe toutefois des différences entre les domaines d’expertise. Les oncologues sont les plus touchés, avec une prévalence de 71% [6]. Le taux d’épuisement professionnel est élevé dans certains pays, notamment en Suisse ( figure 1). Les médecins urgentistes, les médecins de premier recours et les internes de médecine générale [4,7] ainsi que les professionnels de la santé travaillant dans des établissements psychiatriques sont plus exposés [8]. Il existe également des différences entre les sexes : les femmes ont tendance à être plus souvent malades, ce qui est attribué à la double charge de la vie familiale et professionnelle, aux aspects de genre au sein de la hiérarchie et à une perception différente des symptômes [9]. Le passage des études à la vie professionnelle est considéré comme une phase critique [10].
Facteurs étiologiques
Depuis l’ouverture du secteur de la santé à l’économie de marché, les médecins sont confrontés à des facteurs de stress externes supplémentaires. La charge de travail est encore alourdie par l’augmentation des tâches administratives, la principale cause de leur surcharge de travail pour les participants à l’étude DemoSCOPE. Il reste de moins en moins de temps pour les contacts avec les patients. Et si la numérisation a permis d’améliorer l’efficacité dans de nombreux domaines, elle représente aussi parfois une charge [11]. L’économisation place les médecins entre leur mission d’assistance médicale et une culture administrative guidée par le marché. Leur marge de manœuvre est de plus en plus limitée par les contraintes de coûts. Cela s’accompagne également d’une perte de statut, qui a un impact négatif sur le désir de reconnaissance : Les “dieux en blanc” sont devenus des générateurs de coûts dans l’esprit du public [12]. Outre ces facteurs, les facteurs de stress classiques sur le lieu de travail (p. ex. mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée, manque de soutien en cas de charge de travail trop élevée, conflits, etc.) revêtent toujours une grande importance. Dans le setting hospitalier structuré hiérarchiquement, les internes en particulier courent le risque de se retrouver dans une situation où l’équilibre entre l’engagement et la récompense n’est plus garanti [13].
Les empreintes biographiques jouent un rôle essentiel dans le développement du syndrome d’épuisement professionnel. Ils contrôlent la perception du stress et les stratégies de gestion du stress correspondantes. Le déséquilibre émotionnel prend souvent racine dès l’enfance : les violations des besoins fondamentaux de l’enfant (par exemple l’attachement, la reconnaissance, l’orientation, la sécurité) peuvent se traduire par un comportement de contrôle excessif, un perfectionnisme ou un altruisme allant jusqu’au sacrifice de soi. Dans le cadre de la pratique médicale quotidienne, ces schémas peuvent avoir un effet destructeur. Le travail avec les urgences ou les malades chroniques, en particulier, exige une prise de contrôle constante de la part du médecin, qui veut assumer sa responsabilité (éventuellement excessive sur le plan individuel) vis-à-vis du patient. Le risque d’épuisement professionnel est renforcé par une recherche de reconnaissance liée à l’estime de soi, qui se traduit par une hyperactivité et un sacrifice. La suractivité empêche à son tour de faire face aux conditionnements fatals – jusqu’à ce que la limite de performance soit dépassée. [13] (Fig.2).
Quand le médecin devient un patient
Lorsqu’un médecin est atteint d’épuisement professionnel, cela s’accompagne non seulement d’une dégradation générale de sa santé, mais aussi d’un risque significativement accru de suicide et d’abus de substances [14–16]. Les médecins concernés subissent également beaucoup plus d’accidents de la route [17]. Les patients sont également touchés : La qualité des soins diminue et le taux d’erreur augmente de plus de moitié [1]. Pour le système de santé, cela signifie, outre une réduction de la productivité des médecins et des coûts liés aux erreurs médicales, une fuite des cerveaux avec des implications financières et de soins : Environ un tiers des participants à une étude allemande envisagent d’émigrer vers [18] en raison de la charge de travail.
Qu’est-ce qui aide ?
En tant que problème multidimensionnel, le burnout exige des solutions intégrales. Une combinaison de changements structurels des conditions de travail et de stratégies individuelles d’adaptation est la plus efficace à cet égard [19]. Au niveau individuel, la formation à la résilience s’est révélée être un outil utile. La résilience est la capacité à gérer les situations de stress en prenant soin de soi. La pleine conscience peut aider à percevoir les signaux corporels et à développer des stratégies d’adaptation [20]. Ceux qui souhaitent tester s’ils sont à risque peuvent le faire, entre autres, en ligne via le test de risque de burnout [21]. Il existe également des réseaux de soutien tels que ReMed. Depuis sa mise en place en 2010, cette organisation, financée par la FMH, s’adresse spécifiquement aux médecins. Elle sert d’une part de plate-forme d’échange de connaissances et d’expériences en matière de promotion de la santé et de prévention, et d’autre part de point de contact confidentiel en cas de crise. En 2017, le nombre de demandes de conseil s’est élevé à 141, dont environ la moitié pour cause de surcharge professionnelle. Bien que le degré de notoriété interne de ReMed ne soit actuellement que de 55%, le réseau est considéré comme très pertinent par les médecins [22]. Il reste à espérer que ces offres et d’autres gagneront en popularité afin de lever le tabou sur le burnout chez les médecins.
Littérature :
- ASMAC, DemoSCOPE : Charge de travail des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique. Enquête auprès des membres 2017. www2.vsao.ch/fileupload/20175561028_pdf.pdf, consulté le 23.07.18.
- Maslach C, Jackson SE, Leiter MP : Maslach burnout inventory : manual. Mountain View, CA : Consulting Psychologists Press 2009.
- West CP, et al : Single item measures of emotional exhaustion and depersonalization are useful for assessing burnout in medical professionals. J Gen Intern Med 2009 ; 24 : 1318-1321.
- Shanafelt TD, et al : Changes in Burnout and Satisfaction With Work-Life Balance in Physicians and the General US Working Population Between 2011 and 2014. Mayo Clin Proc 2015 ; 90 : 1600-1613.
- Arigoni F, Bovier PA, Sappino AP : Tendance au burnout chez les médecins suisses. Swiss Med Wkly 2010 ; 140 : w13070.
- Banerjee S, et al : Burnout professionnel chez les jeunes oncologues européens : résultats de l’enquête sur le burnout du comité des jeunes oncologues de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO). Ann Oncol 2017 ; 28 : 1590-1596.
- Goehring C, et al : Psychosocial and professional characteristics of burnout in Swiss primary care practitioners : a cross-sectional survey. Swiss Med Wkly 2005 ; 135 : 101-108.
- O’Connor K, Müller Neff D, Pitman S : Burnout in mental health professionals : A systematic review and meta-analysis of prevalence and determinants. Eur Psychiatry 2018 ; 53 : 74-99 [Epub ahead of print].
- Beschoner P, et al. : Aspects de genre chez les médecins. Vie professionnelle et charges psychosociales. Bundesgesundheitsbl 2016 ; 59 : 1343-1350.
- Dyrbye LN, et al : Satisfaction des médecins et burnout à différentes étapes de la carrière. Mayo Clin Proc 2013 ; 88 : 1358-1367.
- Shanafelt TD, et al : Relations entre les burnes des clercs et les caractéristiques de l’environnement électronique avec le burnout du physicien et la satisfaction professionnelle. Mayo Clinic Proc 2016 ; 91 : 836-848.
- Von Känel R : Burnout et résilience chez les médecins. Prim Hosp Care 2017 ; 17 : 51-56.
- Egle UT : Le burnout chez les médecins. Revue d’éthique médicale 2015 ; 61 : 13-21.
- Fond G, et al. : Psychiatrie : une discipline à risque spécifique de problèmes de santé mentale et de comportements addictifs ? Résultats de l’étude nationale BOURBON. J Affect Disord 2018 ; 238 : 534-538.
- Brown SD, Goske MJ, Johnson CM : Au-delà de l’abus de substances : stress, burnout, et dépression comme causes de l’incapacité du médecin et du comportement perturbateur. J Am Coll Radiol 2009 ; 6 : 479-485.
- Shanafelt TD, et al : Special report : suicidal ideation among American surgeons. Arch Surg 2011 ; 146 : 45-62.
- West CP, Tan AD, Shanafelt TD : Association of resident fatigue and distress with occupational blood and body fluid exposures and motor vehicle incidents. Mayo Clin Proc 2012 ; 87 : 1138-1144.
- Pantenburg B, et al. : Physician emigration from Germany : insights from a survey in Saxony, Germany. BMC Health Serv Res 2018 ; 18 : 341.
- West CP, et al : Interventions to prevent and reduce physician burnout : a systematic review and meta-analysis. Lancet 2016 ; 388 : 2272-2281.
- Bergner T : Prévention du burnout. Prévenir l’épuisement – construire l’énergie. L’auto-assistance en 12 étapes, 3e édition. Stuttgart : Schattauer, 2015.
- Test de risque de burnout (BRT) : www.burnoutprotector.com. Mise à jour du 26.07.2018.
- ReMed : Réseau de soutien aux médecins (PPT). www.fmh.ch/rem/remed/services.html. Accès le 23.07.18.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2018 ; 16(6) : 38-40