Les résultats de la recherche interdisciplinaire sur la douleur sont également pertinents pour la pratique quotidienne de la dermatologie. Comme pour d’autres indications, les effets et les effets secondaires doivent être soigneusement évalués dans ce contexte (par exemple, le risque de dépendance).
Les états douloureux pertinents dans le cadre dermatologique sont généralement de type nociceptif (déclenchés par des toxines mécaniques, thermiques et/ou chimiques) ou neuropathique (par ex. dans le cadre de la névralgie post-zostérienne et du pyoderma gangraenosum), une combinaison étant également possible (“mixed pain”) [1,2]. Lors de la réunion annuelle de l’AAD de cette année, Prentiss Lawson, MD, professeur adjoint à l’Université d’Alabama (Birmingham/USA), a présenté des résultats pratiques de la recherche interdisciplinaire sur la douleur.
Si les opioïdes sont prescrits pour une période plus longue que 1 à 2 semaines, le cabinet n’est pas équipé pour évaluer/traiter les états douloureux et les problèmes comportementaux liés à l’utilisation de substances, l’intervenant recommande d’orienter le patient vers un spécialiste de la douleur. Il en va de même dans les cas suivants [2] :
- si la douleur persiste au-delà d’une période habituelle
- chez les patients ayant des antécédents connus de dépendance ou un risque accru de surconsommation d’analgésiques
- en présence d’un risque accru de douleurs postopératoires graves
- en cas de tolérance aux opioïdes
Dépistage de la douleur postopératoire recommandé
Selon le professeur Lawson, MD, la détection des facteurs de risque de douleurs postopératoires aiguës peut se faire par un screening portant sur les critères suivants : Dépression, anxiété, menace subjective excessive de la douleur, âge <31, antécédents d’hyperalgésie et/ou de fibromyalgie, utilisation chronique d’opioïdes ou d’anxiolytiques, plusieurs interventions le même jour [2–4]. Le conférencier recommande une prise en charge basée sur les directives correspondantes, en se référant à celles des sociétés professionnelles APS (American Pain Society) et ASA (American Society of Anesthesiologists). Les recommandations thérapeutiques suivantes y sont notamment formulées : Utilisation de deux ou plusieurs médicaments ayant des mécanismes d’action différents pour l’analgésie, en combinaison avec des méthodes non pharmacologiques. L’acétaminophène (paracétamol) et/ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être utilisés comme composants de l’analgésie multimodale en l’absence de contre-indications [2,5].
Aperçu du traitement de la douleur aiguë et/ou chronique
Douleurs aiguës : le conférencier cite le tapentadol comme représentant de la classe de substances MOR-NRI (“μ-agonistes des récepteurs opioïdes/inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline”) et le tramadol comme représentant des opioïdes [2,6] (encadré). Selon le professeur Lawson, MD, les substances suivantes, par exemple, devraient être utilisées comme médicaments non opioïdes en cas de douleurs aiguës : Agents anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), agonistes α2, antagonistes des récepteurs NMDA, stabilisateurs de membrane, myorelaxants, agents topiques.
Douleurs aiguës et chroniques : Pour le traitement combiné des douleurs aiguës et chroniques, le conférencier fait référence à une approche multimodale et multidisciplinaire, dans laquelle les composants des domaines suivants peuvent être utilisés : Traitements non pharmacologiques, anesthésie régionale, méthodes physiques ou ergothérapeutiques, massage, traitement par le froid/chaud, TENS, traitement psychologique de la douleur, traitement psychiatrique des troubles affectifs/anxiété comorbides, méthodes de médecine intégrative et alternative.
Douleurs chroniques : en ce qui concerne l’utilisation des opioïdes, l’intervenant fait référence à des données récentes issues d’études d’efficacité (période d’examen de douze semaines). Selon cette étude, les opioïdes entraînent une réduction de 30% de l’intensité de la douleur par rapport au placebo [2,7,8]. Les effets analgésiques à long terme des opioïdes dépendent de la dose et du développement éventuel d’une tolérance [2,7,8]. À cet égard, le risque de dépendance aux opioïdes doit également être pris en considération.
Pour l’utilisation des opioïdes dans le cadre du traitement de la douleur chronique, le conférencier renvoie au “CDC Guideline for prescribing Opioids for chronic pain” [2,9] de 2016. Ce document contient des recommandations dans les trois domaines suivants :
- Début ou poursuite de l’utilisation d’opioïdes en cas de douleur chronique : évaluation des bénéfices et des risques ; combinaison avec d’autres méthodes thérapeutiques (pharmacologiques et non pharmacologiques) ; discussion des objectifs de traitement avec le patient.
- Sélection, dosage, durée d’utilisation, suivi et arrêt du traitement opioïde : la dose efficace la plus faible ; lors de l’initiation d’un nouveau traitement par opioïdes, privilégier les substances à libération immédiate plutôt que celles à libération prolongée ; évaluer les bénéfices et les risques, en particulier pour une dose équivalente à ≥50 mg de morphine/jour (MME/jour) ; éviter une dose ≥90 MME/jour ou procéder à un titrage prudent ; évaluer les bénéfices et les risques dans les 1 à 4 semaines suivant le début du traitement ; en cas d’utilisation prolongée, procéder à une évaluation tous les trois mois ou plus fréquemment ; prendre en compte les méthodes thérapeutiques complémentaires.
- Peser et évaluer les risques d’effets secondaires négatifs : évaluation périodique avant la reprise et au cours de l’évolution ; envisager la naloxone s’il existe un risque accru de trouble de la dépendance à une substance (par ex. antécédents de problèmes de dépendance ; dosage d’opioïdes ≥50 MME/jour ; prise simultanée de benzodiazépines ; test urinaire avant la reprise et au cours de l’évolution).
En ce qui concerne la gestion du risque de dépendance aux opioïdes (“Opioid Use Disorder”), il existe dans le manuel de diagnostic DSM-V [10] des critères qui se réfèrent entre autres au dosage, à la durée de la prise et aux symptômes comportementaux associés (aperçu 1). Les critères pour les facteurs de risque de développer un abus d’opioïdes sont indiqués dans l ‘aperçu 2 .
Source : Réunion annuelle 2019 de l’AAD, Washington (États-Unis)
Littérature :
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- Lawson P : Transparents : Universal Precautions/Risk Pain management for the dermatologist PERSPECTIVES FROM A PAIN SPECIALIST. Prentiss Lawson, Jr, MD. Professeur adjoint. Université d’Alabama à Birmingham. Département d’anesthésiologie et de médecine périopératoire. Réunion annuelle de l’AAD, 2019, https://supportaad.org/scientificsessions/am2019/SessionDetails.aspx?id=12372
- Wardhan R, Chelly J : Avancées récentes dans la prise en charge de la douleur aiguë : comprendre les mécanismes de la douleur aiguë, la prescription d’opioïdes, et le rôle du traitement multimodal de la douleur. F1000Res. 2017 Nov 29 ; 6 : 2065. doi:10.12688/f1000research.12286.1. eCollection 2017.
- Scott EL, et al. : Effets bénéfiques de l’amélioration de la dépression, de la diminution de la douleur et de l’anxiété sur les résultats de la douleur : A 12-Month Longitudinal Analysis. J Pain . 2016;17(2):215–22. 10.1016/j.jpain. 2015.
- Chou R, et al. : Prise en charge de la douleur postopératoire : un guide de pratique clinique de l’American Pain Society, de l’American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine, et de l’American Society of Anesthesiologists’ Committee on Regional Anesthesia, Executive Committee, and Administrative Council. J Pain. 2016 Feb ; 17(2) : 131-157. doi : 10.1016/j.jpain.2015.12.008. Erratum in : J Pain. 2016 Avr:17(4) : 508-510
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DERMATOLOGIE PRATIQUE 2019 ; 29(2) : 36-38