Les déclencheurs les plus fréquents d’anaphylaxie chez les adultes sont les médicaments et les piqûres d’insectes, et chez les enfants, les aliments. L’évolution et la dynamique de l’anaphylaxie ne sont pas prévisibles. Selon les recommandations de la WAO et de nombreuses directives internationales, l’adrénaline est le médicament de choix en cas d’anaphylaxie. Les corticostéroïdes n’ont pas d’indication immédiate dans l’anaphylaxie. L’adrénaline doit être administrée par voie intramusculaire et non sous-cutanée. La dose initiale chez l’adulte est d’au moins 0,3-0,5 mg (règle générale : 0,1 mg par 10 kg de poids corporel). Il n’y a pas de contre-indication absolue à l’utilisation d’adrénaline en cas d’anaphylaxie. Chaque patient doit faire l’objet d’une évaluation allergologique après une réaction allergique générale.
Tout médecin, quelle que soit sa spécialité, peut être confronté à une urgence allergique. Ceci notamment parce que les réactions potentiellement mortelles sont souvent iatrogènes, c’est-à-dire causées par l’acte médical. Que ce soit à l’hôpital ou dans un cabinet médical, sur le lieu de travail, dans un institut d’enseignement ou même à la maison, il est important de reconnaître un événement allergique aigu afin de pouvoir demander de l’aide et de mettre en place un traitement rapidement.
“Je ne vais probablement pas passer à côté”, répondront la plupart des personnes ayant une formation médicale. Pourtant, il a été récemment démontré à l’hôpital général universitaire Gregorio Marañón de Madrid que le diagnostic n’avait pas été posé chez 44% des patients souffrant d’anaphylaxie admis aux urgences [1]. En outre, après l’enquête allergologique, la cause présumée de l’hospitalisation d’urgence a dû être revue dans 45% des cas. Des résultats similaires ont été obtenus auprès de 7822 médecins et professionnels de la santé interrogés. Lors de la présentation de différents scénarios cliniques, le diagnostic correct d’anaphylaxie n’a été posé correctement que dans 55% des cas [2]. L’événement de l’anaphylaxie, tout comme son identification, ne semble donc pas si simple, mais reste un défi médical.
Prévalence et facteurs déclenchants
Le nombre d’hospitalisations dues à une anaphylaxie a augmenté ces dernières années en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. Heureusement, les décès sont relativement rares, de sorte que le taux de mortalité est resté stable.
Les déclencheurs les plus fréquents de réactions anaphylactiques graves sont les médicaments – en particulier les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les antibiotiques – et les piqûres d’insectes (guêpes, abeilles) chez les adultes, alors que chez les enfants, ce sont les aliments [3]. Les études récentes soulignent de plus en plus l’importance des circonstances à risque, des cofacteurs et des facteurs d’augmentation qui sont à l’origine d’une réaction allergique sévère (tableau 1) [4]. L’anaphylaxie peut être sévère chez les patients atteints d’une maladie mastocytaire telle que la mastocytose ou une augmentation de la tryptase sérique de base [5].
Les infections (inapperçues, virales), les efforts physiques intenses (y compris l’activité sexuelle), les boissons alcoolisées, la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (y compris le métamizole), les inhibiteurs de la pompe à protons, mais aussi les émotions fortes et le stress sont des co-facteurs fréquemment identifiables dans l’anaphylaxie. L’anaphylaxie ou l’urticaire induite par l’effort est considérée comme une entité distincte [6]. Ces dernières années, une variante dépendante de l’alimentation a été décrite (“food-dependent exercise-induced anaphylaxis” [FDEIA]), qui a surtout attiré l’attention en relation avec l’ingestion de produits à base de blé. Chez certaines personnes, on a constaté une sensibilisation à la protéine de blé oméga-5 gliadine (Tri a 19). L’atopie n’est pas une condition préalable.
Évolution et symptômes
Le diagnostic d’anaphylaxie est posé cliniquement sur la base des symptômes impliquant plusieurs systèmes d’organes (tableau 2). La réaction allergique se déclenche généralement rapidement et peu de temps après un contact avec un antigène, raison pour laquelle les personnes concernées parlent déjà elles-mêmes d'”allergie”. Bien que le tégument et les muqueuses soient les plus impliqués (par ex. prurit généralisé, érythème, urticaire ou angio-œdème), d’autres systèmes d’organes peuvent être touchés. Très souvent, le système circulatoire est touché avec une sensation de faiblesse, une tachycardie, des vertiges et une chute de la tension artérielle. Une irritation des voies respiratoires, toute forme de dyspnée, mais aussi des troubles gastro-intestinaux aigus tels que des coliques ou des vomissements peuvent être des signes d’anaphylaxie. Il est impossible de prévoir quand la réaction allergique s’arrêtera ou quand il faudra s’attendre à un arrêt cardiaque. En particulier chez les personnes atteintes de mastocytose, les réactions circulatoires primaires peuvent se manifester jusqu’au choc, sans que les signes cutanés ou pulmonaires soient présents. Les symptômes prodromiques d’une activation aiguë des mastocytes sont souvent des démangeaisons palmoplantaires ou génitales, un goût métallique étrange ou encore une sensation d’anxiété inexpliquée.
Le dosage de la tryptase dans le sérum permet de vérifier si l’activation des mastocytes a expiré. La prise de sang doit être effectuée une à cinq heures après une réaction allergique générale, quel que soit le traitement suivi, et comparée à une seconde mesure effectuée au moins un jour après. Un taux de tryptase “normal” au stade aigu n’exclut pas une anaphylaxie.
Traitement : le principal médicament est l’adrénaline
Le principe de traitement de toute réaction allergique est uniforme, quel que soit l’âge, le facteur déclenchant ou le stade clinique. Selon les recommandations de la WAO et de nombreuses directives internationales et nationales, l’adrénaline est considérée comme le médicament de choix pour l’anaphylaxie et toute réaction allergique générale [7,8]. L’adrénaline est le seul médicament qui réduit à la fois le taux d’hospitalisation et le taux de mortalité chez les patients souffrant d’anaphylaxie. Selon les experts, il n’y a pas de contre-indication absolue à l’utilisation de l’adrénaline en cas de réaction allergique grave.
L’adrénaline doit toujours être administrée par voie intramusculaire et non sous-cutanée ! Grâce à l’absorption intramusculaire, des taux plasmatiques suffisants sont atteints en beaucoup moins de temps qu’avec une administration sous-cutanée. L’endroit idéal pour l’administration intramusculaire d’adrénaline est la zone antérolatérale de la cuisse. Chez l’adulte, la dose initiale doit être d’au moins 0,3-0,5 mg (règle générale : 0,1 mg pour 10 kg de poids corporel). Si aucun effet thérapeutique n’est visible après trois à cinq minutes, l’administration d’adrénaline doit être répétée. La source déclenchant l’anaphylaxie ou suspectée doit être éliminée le plus rapidement possible (par exemple, arrêt de la perfusion) – si disponible, de l’oxygène doit être administré (masque 40-60%, lunettes 8-10 l/min). Étant donné que la perte de liquide dans les tissus peut atteindre 35% en dix minutes, une voie veineuse doit être mise en place et un volume doit être ajouté le plus rapidement possible après l’administration d’adrénaline (50-100 ml/10 kg dans les cinq à dix premières minutes). Le fait que des colloïdes ou des solutions d’électrolytes soient utilisés n’a pas d’importance (tab. 3). Si la stabilisation de la circulation est insuffisante, l’adrénaline doit être administrée par voie intraveineuse ou au perfuseur (0,1-0,4 µg/min). En cas d’administration intraveineuse, l’adrénaline doit être diluée au moins dans un rapport de 1:9 avec du NaCl 0,9% ou, mieux, de 1:100 (p. ex. 1 mg d’adrénaline dans 99 ml de NaCl 0,9% correspond à 10 µg/ml) et injectée lentement – si possible sous monitorage ECG.
Une étude d’observation rétrospective analysant la sécurité de l’adrénaline dans le traitement de l’anaphylaxie a montré que seulement 1% des personnes traitées par voie intramusculaire – contre 10% des personnes recevant de l’adrénaline par voie intraveineuse – ont développé des effets secondaires à l’administration d’adrénaline. Aucun surdosage en adrénaline n’a été observé lors d’une injection intramusculaire [9].
Après la mise en place d’une perfusion, un antihistaminique (clemastine, dimétindène) doit être administré par voie intraveineuse (tableau 3). La clémastine, en particulier, doit être injectée lentement, sur deux à trois minutes et non en bolus, car elle peut induire une chute de la pression artérielle. Selon la situation, par exemple en cas d’urticaire seule ou de léger gonflement du visage, un antihistaminique peut être administré par voie orale. Il convient de noter qu’un effet thérapeutique ne peut être attendu qu’après plus d’une demi-heure après l’administration orale. Les corticostéroïdes ne sont pas des médicaments d’urgence de première intention en cas d’anaphylaxie. Même administrés par voie intraveineuse, ils ne déploient pas une certaine efficacité avant au moins une heure. Cependant, les corticostéroïdes ne doivent pas être retenus chez les patients souffrant d’asthme, de maladies pulmonaires et chez ceux qui développent un angio-œdème.
Évaluation et suivi
Tout patient doit être soumis à une évaluation allergologique après une réaction allergique générale, mais plus particulièrement après une anaphylaxie. Selon notre grande expérience (plusieurs publications), la majorité des déclencheurs de réaction (>90%) peuvent être identifiés avec suffisamment de précision. Les personnes concernées peuvent être rendues attentives aux sources de danger et instruites sur les mesures essentielles de comportement. Le risque d’une prochaine réaction allergique générale, généralement imprévue, peut ainsi être réduit (Odds Ratio 0,78) [10]. Dans certains cas, comme l’allergie au venin d’hyménoptère, l’immunothérapie spécifique permet d’obtenir une protection élevée à long terme en cas de réexposition [11].
Le moment optimal pour une évaluation allergologique après une réaction allergique sévère n’est pas clairement défini. Pour les allergies aux venins d’insectes, il est généralement recommandé de procéder à un examen au plus tôt trois à quatre semaines après un événement aigu, et pour les allergies aux médicaments, si possible dans les six mois.
Il est devenu courant dans de nombreux endroits qu’un kit de médicaments d’urgence soit remis au patient après une réaction allergique. Ce kit se compose d’un antihistaminique (p. ex. deux comprimés de lévocétirizine ou de fexofénadine) associé à un corticostéroïde (p. ex. prednisolone deux comprimés de 50 mg). Chez les jeunes enfants, les comprimés peuvent être remplacés par des antihistaminiques sous forme de gouttes (p. ex. cétirizine en gouttes 0,25 mg/kg) ou de sirop (p. ex. desloratadine 1,25-2,5 mg) ainsi que par des comprimés hydrosolubles (p. ex. bétnésol 0,2-0,5 mg/kg). Si cette combinaison peut suffire pour les réactions allergiques cutanées, elle ne peut pas supprimer les réactions systémiques graves telles que l’hypotension, le choc ou même le bronchospasme aigu lorsqu’elle est prise par voie orale. Par conséquent, un auto-injecteur d’adrénaline doit toujours être prescrit en cas de réaction anaphylactique. Ces injecteurs d’adrénaline sont trop rarement prescrits dans le monde, malgré une indication donnée. Toutefois, le règlement seul ne suffit pas. Chaque patient doit être informé de l’utilisation correcte de l’injecteur d’adrénaline correspondant. Des études d’observation menées aux États-Unis ont montré que sur 261 patients présentant une anaphylaxie avérée, seuls 11% ont utilisé l’auto-injecteur d’adrénaline lors d’une nouvelle réexposition. La raison en était que 52% d’entre eux n’avaient pas reçu d’auto-injecteur d’adrénaline et que seuls 16% savaient l’utiliser correctement [12]. Des programmes éducatifs structurés pour améliorer la gestion de l’anaphylaxie et la disponibilité des auto-injecteurs d’adrénaline sont nécessaires. En Suisse, des formations sur l’anaphylaxie sont proposées aux personnes concernées, aux parents, aux enseignants ou à d’autres professionnels par le centre aha ! Centre d’Allergie Suisse, Berne.
Littérature :
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- Tejedor-Alonso MA, Moro-Moro M, Múgica-García MV : Epidémiologie de l’anaphylaxie : Contributions des 10 dernières années. J Investig Allergol Clin Immunol 2015 ; 25(3) : 163-175.
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DERMATOLOGIE PRATIQUE 2016 ; 26(1) : 16-20