Les allergies médicamenteuses graves peuvent potentiellement mettre la vie en danger, c’est pourquoi il est très important de les détecter et de les traiter rapidement. Dans de nombreux cas, il s’agit d’exanthèmes plutôt bénins. Cependant, dans 2 à 5% des cas, ils sont potentiellement très dangereux. Il s’agit notamment de la nécrolyse épidermique toxique et du syndrome de Stevens-Johnson.
Allergies aux médicaments : subdivision
Les hypersensibilités aux médicaments sont fréquentes. Dans de nombreux cas, il s’agit d’exanthèmes plutôt bénins. Cependant, dans 2 à 5% des cas, ils sont potentiellement très dangereux. On distingue les réactions prévisibles, c’est-à-dire d’origine pharmacologique (type A), et des réactions imprévisibles, soit allergiques, soit pseudo-allergiques (type B). Les réactions de type A représentent environ 80% de tous les effets secondaires et, contrairement aux réactions de type B, elles sont liées à la dose. Allergique (type B) Les réactions sont dues à une réponse immunitaire contre le médicament en question. Selon Coombs et Gells, ces réponses immunitaires sont divisées en 4 catégories, chacune correspondant à un mécanisme différent (médié par les IgE, les cellules T, les complexes immuns ou les récepteurs Fc IgG). Cliniquement, cela se traduit par des tableaux très différents, allant de l’urticaire aux dermatites de contact, en passant par des réactions anaphylactiques et des réactions cutanées bulleuses. Alors que certains médicaments présentent une fréquence particulière pour les types d’allergie, (presque) tous les médicaments peuvent potentiellement provoquer une allergie.
Les principales allergies médicamenteuses graves
Parmi les allergies médicamenteuses graves, on compte
- l’anaphylaxie,
- le syndrome de Stevens-Johnson (SJS) et sa variante maximale, la nécrolyse épidermique toxique (TEN),
- l’érythème polymorphe majeur et
- le DRESS (Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms).
Les réactions “non graves”, qui comprennent entre autres l’exanthème maculopapuleux médicamenteux, l’AGEP (Acute generalized exanthematous pustulosis), le SDRIFE (symmetric drug-related intertriginous and flexural exanthema), ne sont pas traitées ici.
Anaphylaxie
L’anaphylaxie est une réaction de type I, également appelée réaction immédiate, dans laquelle le médicament est reconnu par les anticorps IgE, ce qui entraîne une libération massive d’histamine après leur arrimage aux mastocytes. Les symptômes de l’anaphylaxie sont des démangeaisons, de l’urticaire, des bouffées vasomotrices, un œdème de Quincke (degré I), nausées, vomissements, crampes, rhinorrhée, enrouement et dyspnée (grade II), défécation, œdème laryngé, bronchospasme, cyanose et choc (grade III) et l’arrêt respiratoire et circulatoire (grade IV). Typiquement, 2 systèmes d’organes ou plus sont impliqués. Cette forme aiguë d’allergie médicamenteuse se développe généralement dans les minutes qui suivent l’ingestion ou l’administration, les déclencheurs les plus fréquents étant notamment les antibiotiques bêtalactames, les AINS, les myorelaxants ou encore les désinfectants comme la chlorhexidine.
Les signes d’alerte sont l’apparition de papules, d’un angioedème et/ou de symptômes généraux quelques minutes à 1-2 heures après l’administration du médicament, parfois associés à un prurit palmoplantaire et/ou à un goût métallique dans la bouche.
L’anaphylaxie nécessite une action immédiate : L’administration (selon la gravité) de corticostéroïdes, d’antihistaminiques et, le cas échéant, d’adrénaline, conformément aux directives ; une surveillance jusqu’à 8 heures après la disparition des symptômes graves est utile et nécessite donc souvent un traitement et une surveillance à l’hôpital. En raison de la nature aiguë de l’événement et de son déroulement, qui nécessitent un traitement d’urgence immédiat, nous vous renvoyons à des instructions détaillées élaborées par ailleurs.
Syndrome de Stevens-Johnson (SJS)/Nécrolyse épidermique toxique (TEN)
Le SJS et le TEN sont des réactions médicamenteuses bulleuses, le plus souvent avec une atteinte des muqueuses, qui se distinguent par leur degré de gravité, c’est-à-dire leur extension à la surface du corps (<10% pour le SJS, >30% pour le TEN). Il s’agit de réactions relativement rares (incidence d’environ 1 à 2 cas par million par an), mais qui sont associées à une morbidité et une mortalité très élevées. Contrairement à l’anaphylaxie, le SJS/TEN est une réaction de type IV, dite de type tardif, dans laquelle ce ne sont pas des anticorps mais des cellules T (principalement cytotoxiques) qui médiatisent la réaction allergique. Cliniquement, cela signifie qu’une sensibilisation doit d’abord avoir lieu, c’est-à-dire que les symptômes peuvent se développer dans les 7 à 21 jours en cas de première exposition, et plus tôt en cas de ré-exposition. Les principaux déclencheurs sont les sulfamides, l’allopurinol, les tétracyclines, les anticonvulsivants et les AINS.
La peau présente un exanthème maculeux érythémato-violacé et des vésicules boursouflées, ou un décollement de la peau, qui peut être très rapide (en quelques heures). (Fig.1A). La formation de bulles touche généralement aussi les muqueuses (conjonctivales, enales, génitales), ce qui se manifeste ici aussi sous la forme d’une dysphagie, de brûlures oculaires et de brûlures génitales. Une sensation diffuse de brûlure/douleur au niveau de la peau est souvent décrite par les patients atteints de SJS/TEN, même avant la formation de cloques. La plupart du temps, les patients sont en état général réduit. Les complications aiguës les plus redoutées sont la septicémie et la déstabilisation hémodynamique causées par les surinfections. Jusqu’à 30% des patients ont une évolution létale. Le diagnostic repose sur la clinique, l’anamnèse et l’histologie.
En raison de la rareté des SJS/TEN, il est très difficile de mener des études de recherche translationnelle et des essais cliniques suffisamment probants. Celles-ci sont toutefois indispensables en raison du caractère potentiellement létal des réactions et des nombreuses questions en suspens dans ce domaine. L’équipe de la clinique dermatologique de l’Hôpital universitaire de Zurich a donc établi, avec des collègues de France, des États-Unis et du Japon, un registre international pour la documentation précise et standardisée et la collecte de tissus des cas de SJS/TEN dans le monde entier (www.irten.org). Notre objectif est de contribuer à une meilleure compréhension des pathomécanismes et du traitement potentiel du SJS/TEN et de ses conséquences tardives.
Érythème exsudatif majeur (EEM majeur)
Bien que la distinction avec le SJS/TEN soit encore controversée, l’EEM est considéré comme une entité distincte. Comparé au SJS/TEN, l’EEM est moins dangereux, mais peut néanmoins être très prononcé sur la peau. Une réaction de type IV (cellule T) sous-jacente est discutée. L’EEM s’accompagne souvent d’une infection, notamment de l’herpès simplex. Les caractéristiques cliniques sont des lésions en forme de cocarde (fig. 1C) avec une structure zonée, c’est-à-dire un centre livide, une zone centrale évidée et une bordure érythémateuse (fig. 1C). Le diagnostic de l’EEM repose sur la clinique, l’anamnèse et, le cas échéant, l’histologie et surtout les prélèvements viraux.
Il faut distinguer l’EEM majeur de l’EEM mineur (sans atteinte des muqueuses), qui survient souvent dans le cadre d’une infection herpétique ou parainfectieuse et n’est que rarement d’origine médicamenteuse.
Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms – DRESS
Une entité relativement récente parmi les allergies médicamenteuses graves est le DRESS, également appelé à l’origine syndrome d’hypersensibilité à la carbamazépine et à la phénytoïne (Fig. 1B). Le DRESS est une réaction de type IV causée principalement par les lymphocytes T auxiliaires, qui s’accompagne généralement d’un “signal de danger” supplémentaire, généralement sous la forme d’une réactivation de virus (surtout HHV6). Le DRESS se caractérise par le fait qu’il ne se développe généralement que plusieurs semaines ou mois après le début du traitement. Le DRESS a été le plus souvent décrit avec des anticonvulsivants (en particulier la carbamazépine et la phénytoïne), mais aussi la dapsone (sulfamides), les barbituriques et le vémurafénib/cobimétinib. Les manifestations cliniques du DRESS sont très hétérogènes et vont de l’exanthème maculeux, des pustules, de l’érythrodermie jusqu’à la formation de bulles (ce que l’on appelle le DRESS TEN-like). L’association avec un gonflement du visage, un gonflement des ganglions lymphatiques et de la fièvre est pertinente pour le diagnostic. Le DRESS est dangereux en raison de l’implication des organes, qui peut aller jusqu’à la défaillance d’un organe et la mort : L’hépatite est la plus fréquente, mais une myocardite, une néphropathie, une atteinte du SNC et de l’IG peuvent également se produire.
Le diagnostic de DRESS repose sur une combinaison de critères cliniques (exanthème, gonflement du visage gonflement des ganglions lymphatiques, fièvre) et, en laboratoire, une éosinophilie (>12%), des lymphocytes atypiques et des paramètres de laboratoire indiquant une atteinte d’organes, notamment une augmentation de l’AST/ALT et une augmentation de la créatinine (et une réduction de l’eGFR).
Principaux signes d’alerte à l’hôpital
La reconnaissance des signes d’alerte en cas d’allergie médicamenteuse est très importante sur le plan clinique, car une reconnaissance aussi précoce que possible et, par conséquent, un traitement adéquat ont une grande importance pour le pronostic, c’est-à-dire qu’ils peuvent éviter des lésions organiques et une évolution potentiellement mortelle. Il peut être difficile, même pour un œil averti, de distinguer les réactions médicamenteuses non dangereuses des réactions allergiques graves. Certains indices cliniques et anamnestiques sont d’autant plus importants et doivent absolument être adressés à de tels patients (tab. 1, tab. 2).
La question de la formation de bulles et de l’atteinte des muqueuses doit occuper une place centrale dans l’anamnèse. Il convient également de demander explicitement si la peau, les yeux, ainsi que les muqueuses buccales et génitales présentent des brûlures ou une dysphagie. Ces symptômes fournissent des indications importantes sur l’implication des muqueuses. En particulier, la sensation de brûlure ou de douleur de la peau est typique du SJS/TEN, mais nettement moins observée dans les exanthèmes médicamenteux “banals”. La question du début et de l’étendue des lésions cutanées est également un point de repère important, car la progression peut être très rapide, en particulier dans le cas du SJS/TEN. La question de la chronologie de la prise de médicaments précédente est importante pour identifier les déclencheurs potentiels et les médicaments “à risque” (1. Quoi exactement, 2. Depuis ou jusqu’à quand) et dans la délimitation des réactions. Il est également important de se demander s’il y a eu une exposition antérieure et si les symptômes étaient présents à l’époque, car les réactions peuvent être plus graves et plus rapides en cas de ré-exposition.
En fonction des points décrits ci-dessus, les signes vitaux doivent être déterminés cliniquement, toute la peau et les muqueuses doivent être examinées et les ganglions lymphatiques doivent être palpés. Dans le cadre du statut dermatologique, le signe de Nikolski doit également être testé : Il s’agit de tester si la peau se détache en exerçant une pression latérale avec le doigt sur une peau non affectée (sans cloques) (test de Nikolski). I) et si une vessie existante peut être déplacée en exerçant une pression (Nikolski II). Un statut interne, y compris Les paramètres vitaux doivent être déterminés. Comme mentionné précédemment, il convient de prêter une attention particulière à l’atteinte des muqueuses, à la formation de bulles (et au signe de Nikolski positif), au gonflement des ganglions lymphatiques et du visage, ainsi qu’à la fièvre et aux signes vitaux anormaux.
Les examens de laboratoire doivent inclure une numération formule sanguine, y compris une analyse de sang. être différenciée manuellement : Ceci est important car une éosinophilie prononcée est un “drapeau rouge” qui indique une réaction grave et, selon sa sévérité, un risque de lésion grave d’un organe, comme une myocardite à éosinophiles potentiellement létale. Les lymphocytes atypiques sont un autre moyen de diagnostiquer un DRESS. La CRP doit également être déterminée. En ce qui concerne les lésions organiques potentielles (surtout dans le cas du DRESS), il convient dans un premier temps de déterminer les valeurs hépatiques (AST, ALT, bilirubine) et rénales (créatinine, eGFR).
Suspicion d’allergie médicamenteuse grave : que faire ?
En cas de suspicion d’allergie médicamenteuse grave, il convient de prendre immédiatement contact avec le service dermatologique d’un hôpital central afin de déterminer la marche à suivre : Sur le plan thérapeutique, le plus important est de stopper/remplacer immédiatement les déclencheurs probables (et les substances à réaction croisée), en tenant compte bien sûr de l’indication primaire ou en la couvrant. La suite du diagnostic (biopsie, hémocultures, frottis, etc.), le traitement et la prise en charge du patient doivent être mis en œuvre immédiatement, conformément à ce qui a été convenu, car un retard peut avoir des conséquences pronostiques.
Même en l’absence de signes d’alerte, il convient d’arrêter/de remplacer l’agent déclencheur potentiel (sauf indication vitale) et de consulter directement un dermatologue.
Allergies médicamenteuses graves : Traitement aigu et post-opératoire
Le traitement aigu des patients atteints de RTE et, selon leur degré de gravité, de DRESS, est effectué dans l’unité de soins intensifs (de brûlures) par une équipe interdisciplinaire. Dans le cas du SJS/TEN, les “meilleurs soins de soutien” sont prodigués pour le traitement des plaies, la prévention des surinfections et la stabilisation hémodynamique, ainsi qu’un traitement adjuvant (par ex. avec des immunoglobulines intraveineuses, des inhibiteurs du TNF-alpha ou de la ciclosporine). En cas de DRESS, glucocorticostéroïdes à fortes doses (ainsi qu’un traitement symptomatique). L’EEM majeur est également traité par des glucocorticostéroïdes systémiques.
Le traitement allergologique de tous les patients atteints de st.n. L’évaluation des allergies médicamenteuses graves se fait idéalement au plus tôt 4 à 6 semaines et jusqu’à 6 mois après la disparition de l’allergie et comprend, selon le type de réaction, des tests sérologiques (sérologies, test de transformation lymphocytaire, test d’activation des basophiles) et/ou des tests cutanés (prick, tests intradermiques et épicutanés, parfois avec lecture tardive après 24 à 48 heures).
Le suivi des patients doit également revêtir une grande importance et impliquer des équipes de différentes disciplines. Chez les patients DRESS, le traitement doit être arrêté sur une longue période et sous contrôle approprié, sous peine de voir la maladie réapparaître. Les patients atteints d’un SJS ou d’un RTE, en particulier, souffrent non seulement de l’évolution extrêmement grave et potentiellement létale de la maladie, mais aussi des séquelles parfois lourdes et souvent très invalidantes. Outre les hyper et hypopigmentations, les cicatrices sclérales ou génitales, les séquelles psychiatriques sont fréquentes, notamment sous la forme d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Messages Take-Home
- Les allergies médicamenteuses graves comprennent : Anaphylaxie (réaction de type 1), SJS / TEN, DRESS, EEM majeur
- Les allergies médicamenteuses graves peuvent potentiellement mettre la vie en danger, c’est pourquoi il est très important de les détecter et de les traiter rapidement.
- Les principaux signes cliniques d’alerte sont la formation de cloques, l’atteinte des muqueuses, l’étendue de l’atteinte, le gonflement du visage et des ganglions lymphatiques, la réduction du TA et des signes vitaux anormaux.
- Un premier bilan doit inclure une numération formule sanguine avec différenciation microscopique, un bilan hépatique, un bilan rénal et une CRP.
- Chez Vd.a. allergie médicamenteuse grave : prendre contact immédiatement avec le service de dermatologie d’un hôpital central ou, en cas de RTE, avec un centre disposant d’une unité de soins intensifs pour les brûlés.
Littérature complémentaire :
- Mockenhaupt M : 2014. Syndrome de Stevens-Johnson et nécrolyse épidermique toxique : profils cliniques, considérations diagnostiques, étiologie et prise en charge thérapeutique. Semin Cutan Med Surg 33 : 10-16.
- Deuel J, Schaer D, Schmid-Grendelmeier P, Vallelian F : [CME. Severe cutaneous drug reaction]. Pratique 2014 ; 15 ; 103(21) : 1231-1243.
- Leaute-Labreze C, Lamireau T, Chawki D, et al. : 2000. Diagnostic, classification, et prise en charge de l’érythème polymorphe et du syndrome de Stevens-Johnson. Arch Dis Child 83 : 347-352.
- Illing PT, Vivian JP, Dudek NL, et al. : 2012, Immune self-reactivity triggered by drug-modified HLA-peptide repertoire. Nature 486 : 554-558.
- Nassif A, Bensussan A, Boumsell L, et al. : 2004. nécrolyse épidermique toxique : les cellules effectrices sont des cellules T cytotoxiques spécifiques aux médicaments. J Allergy Clin Immunol 114 : 1209-1215.
- Viard I, Wehrli P, Bullani R, et al. : 1998. Inhibition de la nécrolyse épidermique toxique par blocage du CD95 avec l’immunoglobuline intraveineuse humaine. Science 282 : 490-493.
- Kardaun SH, Jonkman MF : 2007. Traitement pulsé à la dexaméthasone pour le syndrome de Stevens-Johnson/la nécrolyse épidermique toxique. Acta Derm Venereol 87 : 144-148.
- Brockow K1, Pfützner W2 : Cutaneous drug hypersensitivity : developments and controversies. Curr Opin Allergy Clin Immunol. 2019 May 22. doi : 10.1097/ACI.0000000000000548. [Epub ahead of print]
- Pichler WJ. Mécanisme immunitaire et classification de l’hypersensibilité aux médicaments. Allergie. 2019 Mar 6. doi : 10.1111/all.13765
- Phillips EJ, Bigliardi P, Bircher AJ, et al : Controversies in drug allergy : Testing for delayed reactions. J Allergy Clin Immunol. 2019 Jan;143(1) : 66-73.
- www.ck-care.ch/documents/10181/14458/Anaphylaxis_HandelnimNotfall_20180908.pdf/58b48ad9-7c7e-4171-b090-48fa41ceb115 und www.ck-care.ch/documents/10181/14458/Anaphylaxie_NFP_KinderJugendliche_20190117_1.pdf/02705bda-e424-4241-9e14-d0a648450c09).
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2019 ; 29(4) : 8-12