Les interactions médicamenteuses peuvent se révéler dangereuses. Le médecin généraliste, en particulier, est souvent confronté à des patients âgés multimorbides. Il convient donc de connaître les interactions des médicaments les plus courants.
Un homme de 62 ans souffrant d’un épisode dépressif majeur, traité par 40 mg/d de citalopram et 300 mg/d de bupropion, se présente à son cabinet de médecine générale pour des douleurs dorsales aiguës. Le paracétamol n’ayant aucun effet, 50 mg de tramadol sont prescrits toutes les huit heures, ce qui conduit l’homme à se présenter aux urgences trois jours plus tard avec des antécédents étrangers d’anxiété, de confusion et de sueurs profuses. L’examen clinique révèle une tension artérielle de 160/90 mmHg, un pouls de 110/min, une fréquence respiratoire de 18/min et une température corporelle de 37,5°C.
Interprétation : “En cas de suspicion de toxicité sérotoninergique ou de syndrome sérotoninergique, il convient d’examiner non seulement les signes de dysfonctionnement autonome et cognitif, mais aussi les signes moteurs extrapyramidaux”, explique le PD Dr Michael Bodmer, médecin-chef de la médecine interne, Hôpital cantonal de Zoug. En effet, le patient a montré des réflexes accrus et un clonus inductible.
Un homme de 46 ans souffrant d’une dépression sévère et traité par 100 mg/j de sertraline par jour reçoit en pharmacie du dextrométhorphane en vente libre (Nyquil®: 30 mg/30 ml et doxylamine/paracétamol) et boit 240 ml pendant une nuit. Le jour suivant, il se présente aux urgences avec une pression artérielle de 155/89 mmHg, un pouls de 110/min et une température de 39°C, ainsi que des pupilles dilatées, une hyperréflexie, des tremblements et un tonus musculaire élevé aux extrémités inférieures.
Interprétation : “C’est au plus tard en cas d’hyperthermie que la toxicité aiguë de la sérotonine, due à une surabondance de sérotonine dans la fente synaptique, devient dangereuse ou met la vie en danger. L’effet est rapide et dépend de la dose. Au début, des symptômes légers et non spécifiques peuvent apparaître”, a expliqué le conférencier. Au début, on observe souvent des signes gastro-intestinaux (sensation de plénitude, irrégularités des selles, éventuellement diarrhée). La figure 1 illustre le continuum de symptômes allant de légers à mortels. Le phénomène ne devient généralement pertinent qu’à partir de la prise de deux substances. Parmi les plus connus et les plus utilisés dans la vie quotidienne, on peut citer
- Antidépresseurs : inhibiteurs (sélectifs) du recaptage de la sérotonine, antidépresseurs tricycliques, extraits d’hypericum (SRI), moclobémide
- Analgésiques opioïdes : ici principalement le tramadol (SRI et sérotonine-releaser)
- Divers : Par exemple, le linézolide (inhibiteur de la MAO A), le dextrométhorphane, la chlorphénamine.
Hyperkaliémie
Un homme de 82 ans souffrant d’insuffisance cardiaque NYHA IV est hospitalisé (DA 110/90 mmHg, pouls 100/min, saturation 90% sous RL, souffle pulmonaire discontinu bilatéral, veines du cou congestionnées). Ses antécédents médicamenteux comprennent la spironolactone 25 mg (1-0-0), le ramipril 5 mg (1-0-1), l’aspirine cardio 100 mg (1-0-0), le métoprolol 100 mg (1-0-1) et le torasémide 10 mg (2-0-0).
Interprétation : “L’hypothèse de travail de l’hyperkaliémie était compatible avec les résultats de l’ECG. Le laboratoire a donc trouvé une forme sévère avec 8,2 mmol/l (la normale serait de 3,6-4,5 mmol/l) et une insuffisance rénale sévère avec une clairance de la créatinine (eGFR) calculée selon Cockcroft-Gault de 29 ml/min”, explique le Dr Bodmer. La figure 2 donne un aperçu des principales causes d’hyperkaliémie.
Depuis l’étude RALES, qui a démontré un bénéfice de la spironolactone en termes de survie en cas d’HI symptomatique sévère avec fraction d’éjection limitée, les prescriptions de spironolactone n’ont cessé d’augmenter. Dans ce groupe de patients, les inhibiteurs de l’ECA sont également indiqués. Cependant, l’association avec des inhibiteurs de l’ECA, des antagonistes de l’angiotensine II ainsi que des diurétiques d’épargne potassique, l’indométacine, le triméthoprime et d’autres médicaments provoquant une hyperkaliémie peut entraîner une hyperkaliémie potentiellement mortelle. Il existe des preuves épidémiologiques que les hospitalisations et les taux de mortalité dus à l’hyperkaliémie ont également augmenté depuis RALES [1]. Un autre cas illustre le problème.
Un diabétique de type 2 âgé de 64 ans souffrant d’insuffisance cardiaque systolique consulte pour une faiblesse générale. Auparavant, il avait pris du triméthoprime/sulfaméthoxazole pendant sept jours en raison d’une pyélonéphrite. L’anamnèse révèle un état post-infarctus du myocarde et une hypertension artérielle. En ce qui concerne les médicaments, il reçoit du lisinopril, du métoprolol, du furosémide et de l’insuline. Le laboratoire révèle une hyperkaliémie marquée.
Interprétation : Les facteurs de risque suivants pourraient jouer chez ce patient : D’une part, l’insuffisance cardiaque prédispose à une réduction du volume sanguin artériel (moins de flux urinaire distal-tubulaire, moins de sécrétion de potassium). D’autre part, le diabète est souvent associé à un hypoaldostéronisme ou à une résistance à l’aldostérone. L’acidose métabolique prédispose à son tour à l’hyperkaliémie et le lisinopril entraîne directement une diminution de la libération d’aldostérone. Enfin, le triméthoprime est un diurétique d’épargne potassique dont l’efficacité est comparable à celle de l’amiloride. L’ajout de ce dernier médicament a probablement été déterminant pour l’hyperkaliémie dans ce cas [2].
NOAC
Un épileptique de 53 ans (sous 600 mg de carbamazépine toutes les 12 heures) reçoit une prophylaxie de la thrombose postopératoire après l’implantation d’une prothèse de genou, d’abord avec de l’énoxaparine, puis en passant au rivaroxaban 10 mg/j (car le patient ne veut pas de seringues). Après sa sortie, il souffre en quelques jours d’une détresse respiratoire aiguë. On constate une embolie pulmonaire.
Un épileptique de 45 ans se rend aux urgences avec une jambe enflée. La différence de circonférence est de 3,5 cm, on observe une coloration livide et une douleur à la pression du mollet. Finalement, une thrombose veineuse profonde est diagnostiquée et le rivaroxaban 20 mg/j est lancé. En cours après six jours Phlegmasia coerulea dolens à la jambe droite.
Interprétation : “Tout d’abord, dans ce dernier cas, on remarque que la dose initiale de rivaroxaban a été mal choisie. D’autre part, la carbamazépine est un inducteur puissant du CYP 3A4 et de la glycoprotéine P. Elle peut donc réduire les concentrations plasmatiques de substances administrées simultanément qui sont principalement métabolisées par le CYP 3A4”, a déclaré l’orateur.
Le rivaroxaban est métabolisé à %–65% par le CYP 3A4 et le CYP 2J2. L’administration concomitante de rivaroxaban et d’inducteurs puissants du CYP 3A4 tels que la rifampicine, la phénytoïne, le phénobarbital, le millepertuis ou justement la carbamazépine peut donc entraîner une diminution de la concentration plasmatique de rivaroxaban. “Une anamnèse médicamenteuse est donc obligatoire en cas d’administration de NOAC”, a noté le Dr Bodmer. “Il faut éviter, surtout avec le rivaroxaban et l’apixaban, une co-médication avec des inducteurs puissants du CYP 3A4 et/ou de la glycoprotéine P, mais aussi avec des inhibiteurs. Ces derniers comprennent par exemple le kétoconazole ou le ritonavir. Ils peuvent augmenter la concentration plasmatique de NOAC dans des proportions cliniquement significatives”.
Avec l’edoxaban, la co-médication avec des inhibiteurs puissants de la glycoprotéine P doit être évitée. Dans les études pharmacocinétiques, l’administration concomitante d’edoxaban et d’inhibiteurs de la P-gp tels que la ciclosporine, la clarithromycine, l’érythromycine, la quinidine ou le vérapamil a entraîné une augmentation des concentrations plasmatiques d’edoxaban.
Absorption des antibiotiques
Une femme de 62 ans sous metformine, lisinopril/HCT, ibandronate et calcimagon D-3 se voit prescrire de la ciprofloxacine (2×500 mg/j p.o. pendant une semaine) pour une pyélonéphrite non compliquée. Elle prend en outre du Riopan® Gel. Où est le danger ?
Interprétation : “La prise de calcium et d’antiacides peut être problématique en combinaison avec un antibiotique”, a expliqué l’expert. “Les préparations à base de calcium s’en sortent encore un peu mieux.” La perte potentielle d’efficacité de l’antibiotique est due à la présence de cations polyvalents (chélation) et à la diminution de la solubilité/précipitation avec les antiacides [3,4]. La ciprofloxacine et la norfloxacine sont les plus touchées par cette interaction. Ces antibiotiques en particulier devraient donc être administrés deux heures avant la prise de cations polyvalents.
Messages Take-Home
A St-Gall, le PD Dr Michael Bodmer a donné un aperçu des dangers et des pièges des interactions médicamenteuses. A l’aide de casuistiques, il a guidé les visiteurs du symposium d’urgence de Suisse orientale à travers ce thème aux multiples facettes. Il s’agissait de médicaments qui sont également fréquemment prescrits dans la pratique. L’accent a été mis sur les patients âgés multimorbides présentant un traitement médicamenteux complexe. Le médecin généraliste, en tant que premier interlocuteur, joue ici un rôle crucial.
Source : Symposium d’urgence de Suisse orientale, 16 mars 2017, St. Gallen
Littérature :
- Juurlink DN, et al : Rates of hyperkalemia after publication of the Randomized Aldactone Evaluation Study. N Engl J Med 2004 Aug 5 ; 351(6) : 543-551.
- Palmer BF, Clegg DJ : Hypercalcémie. JAMA 2015 Dec 8 ; 314(22) : 2405-2406.
- Sahai J, et al : The influence of chronic administration of calcium carbonate on the bioavailability of oral ciprofloxacin. Br J Clin Pharmacol 1993 Mar ; 35(3) : 302-304.
- Nix DE, et al : Effets des antiacides à base d’aluminium et de magnésium et de la ranitidine sur l’absorption de la ciprofloxacine. Clin Pharmacol Ther 1989 Dec ; 46(6):700-705.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(4) : 52-54