Le médecin ne peut saisir le vécu unique de la maladie d’un patient que dans le cadre d’une rencontre humaine avec le patient. En écoutant activement et en posant des questions, la consultation a déjà un effet thérapeutique.
Au cours des dernières décennies, d’excellentes avancées médico-techniques ont contribué à ce que nous puissions diagnostiquer et traiter des maladies comme jamais auparavant, même dans nos cabinets de médecine générale. En plus de notre excellente formation initiale, postgraduée et continue, ils contribuent à ce qu’en Suisse, nous puissions résoudre 94,3% des plaintes par le biais de la médecine de famille et que nous ne devions adresser que 5,6% à un autre médecin [1]. (Fig. 1). Le Dr Philippe Luchsinger, président de l’association professionnelle Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe), intitule fièrement son article focus dans la newsletter de l’association “Points de vue” : “Médecins de famille et de l’enfance – la “recette pour une Suisse en bonne santé”” [2]. Et en effet, la médecine de famille apporte une contribution efficace, de qualité et rentable à notre système de santé, qui a été élu meilleur système de santé en Europe par le Health Consumer Index 2018 [3].
Focalisation sur les personnes
L’essentiel de l’impact de la médecine de famille ne provient pas de la technologie disponible, mais de son utilisation ciblée en fonction des besoins du patient. Même dans un cabinet de médecine générale moderne et bien équipé techniquement, l’être humain est au centre de l’action. Le médecin de famille ne le voit pas simplement comme le porteur d’une maladie qu’il s’agirait d’analyser et de traiter en lui, mais il le rencontre en tant que personne autonome et responsable dans son contexte de vie, avec son état de santé et de maladie unique, avec ses valeurs, ses besoins spécifiques, ses objectifs et ses ressources.
Avant de recourir à son arsenal de moyens techniques modernes, le médecin se consacre au patient en tant qu’être humain lors de la consultation. En discutant, les deux établissent une relation et une confiance mutuelle. Ils se rencontrent sur un pied d’égalité, dans un esprit d’estime : le patient en tant qu’expert, avec la connaissance de son symptôme/problème et de son vécu individuel de la maladie, le médecin en tant qu’expert, avec la connaissance des contextes et des possibilités médicales. Ce sont des bases indispensables à tout processus thérapeutique, avec ou sans moyens techniques modernes.
Créer une réalité commune
Le patient est déstabilisé par un symptôme qu’il perçoit et qu’il ne parvient pas à classer. Il cherche lui-même des solutions, s’informe ici et là, y compris auprès de “Dr. Google”. Il se crée ainsi une image intérieure de ce qu’il ressent. Une image qui, sans connaissance précise de l’anatomie et de la physiologie, peut être assez surréaliste ou mystique : “Ma vertèbre cervicale est déplacée” ou “Une épine est dans mon dos”. Le patient construit sa réalité individuelle. Il les conçoit généralement de manière catastrophiste et élabore souvent un scénario du “pire” (“Est-ce peut-être le cancer ?”). L’incertitude et l’inquiétude le conduisent finalement chez le médecin ; dans la “Classification internationale des soins primaires, 2e édition” (ICPC-2), “la peur de…” est en effet un diagnostic à part entière.
Lors de la consultation, la patiente décrit ce qu’elle perçoit. Le médecin transforme son symptôme en une image biochimique et physiopathologique grâce à ses connaissances médicales. Il crée sa réalité médicale abstraite.
Par ses questions, le médecin sonde la construction de la réalité personnelle de la patiente. Ensemble, ils créent une réalité commune. A partir de là, ils décident des examens complémentaires nécessaires et possibles en fonction des objectifs et des solutions. Ils établissent une “évaluation” acceptable pour les deux et décident d’un processus thérapeutique. Les incertitudes inhérentes à toute décision sont également gérées en commun, de même que le succès ou l’échec.
Écouter activement et poser les bonnes questions
Le médecin écoute la patiente de manière active et empathique. Il reprend des faits factuels sur l’obtention d’un diagnostic médical, mais prend également en compte la composante émotionnelle derrière les faits. Il veut comprendre l’être humain dans son ensemble.
Par ses questions, le médecin cherche à approfondir les informations médicales pertinentes. En outre, elle veut faire participer activement le patient à l’événement, l’inciter à réfléchir à l’origine de son symptôme ou de son problème – à ses liens et interactions avec son environnement, à ses répercussions sur son entourage familial, professionnel et social. En demandant des précisions, elle demande à la patiente de lui expliquer exactement ce qu’elle veut dire. Elle déclenche ainsi chez la patiente d’autres réflexions sur sa maladie et son vécu de la maladie, sur le sens qu’elle donne à sa maladie et sur les possibilités de voir les “choses” avec un regard élargi.
Ensemble, ils créent une orientation et explorent les attentes et les objectifs auxquels le patient aspire. Ils confrontent ces attentes aux possibilités et aux nécessités médicales et cherchent des solutions. Et ils n’oublient pas de répartir les tâches et de clarifier la mission qui incombe au médecin.
Gérer l’incertitude et la peur
L’incertitude/l’insécurité et l’insécurité/la peur jouent toujours un rôle, tant chez le patient que chez le médecin. Ils imprègnent tout ce que nous faisons et ne faisons pas. Le patient se sent menacé dans son existence vitale ; le médecin se préoccupe de ne rien manquer, mais de bien comprendre le symptôme et de conseiller le patient sur le meilleur examen et le meilleur traitement possibles. Prendre en compte l’incertitude/l’insécurité, l’aborder et lui donner l’espace nécessaire est essentiel pour un traitement réussi.
Par exemple, un patient de 40 ans, traité pour une hypertension légère, se plaint en consultation de sensations de piqûres répétées dans le thorax gauche. Le médecin l’interroge à l’aide des questions ICE (“Ideas, Concerns, Expectations”) pour savoir ce qu’il pense et ce qu’il craint sur la base de sa construction de la réalité. Il s’avère alors que le patient est tombé sur un diagnostic d’infarctus du myocarde en faisant une recherche sur Google, ce qui l’a beaucoup effrayé et l’a conduit à consulter. La suite de l’anamnèse révèle que les picotements en forme de points apparaissent occasionnellement et pendant quelques secondes, jamais lors d’un effort physique. Le patient peut également décrire ce qui le préoccupe actuellement dans sa vie. Après avoir reçu des informations médicales adaptées à la situation sur les caractéristiques des douleurs cardiaques, le médecin et le patient se rendent compte que les élancements ne sont pas liés au cœur, mais à la paroi thoracique. La discussion du profil de risque de maladie coronarienne dessine un résultat très favorable. Le patient ne peut pas améliorer son mode de vie sain. Dans cette situation, il n’y a rien d’autre à faire pour prévenir un infarctus du myocarde que de continuer à traiter la tension artérielle de manière fiable. Un risque résiduel minime de mort subite d’origine cardiaque subsiste, comme pour tout le monde. En fin de compte, la vie reste entachée d’incertitude. Le médecin et le patient créent une réalité commune. Ils estiment tous deux qu’un électrocardiogramme n’est pas nécessaire. Une mesure de la pression artérielle sur 24 heures, qui avait été convenue auparavant et qui n’a pas été effectuée à plusieurs reprises, doit maintenant avoir lieu. Elle doit démontrer si le traitement médicamenteux actuel de l’hypertension, avec sa composante d’hypertension de cabinet médical, déploie un effet antihypertenseur suffisamment bon au quotidien, et notamment s’il entraîne une baisse nocturne suffisante de la pression artérielle. Le patient se sent compris, le médecin est sûr d’avoir correctement évalué la situation avec le patient et qu’ils suivent une voie thérapeutique appropriée. Le médecin et le patient sont satisfaits.
Bien sûr, l’inverse existe aussi. Passer outre le vécu de la maladie du patient, avec sa construction de la réalité souvent catastrophiste, et fonder la suite du traitement uniquement sur la réalité du médecin peut facilement conduire à des aberrations médicales, même en cas de diagnostic “clair”.
Prenons un exemple : le même patient se présenterait à la consultation et serait préoccupé par son élancement dans la partie gauche de la poitrine. Il ne serait pas interrogé sur sa construction de la réalité. Le médecin parle de douleur à la paroi thoracique sans explication. Le patient resterait obstinément déstabilisé. Ils ont fait un ECG par sécurité et ont également prélevé du sang pour déterminer la troponine. L’ECG a révélé un bloc de branche droit partiel, comme cela se produit également chez les personnes en bonne santé cardiaque. Il resterait une incertitude pour le patient et pour le médecin. L’étape suivante a consisté, pour plus de sécurité, à effectuer un examen échocardiographique et ergométrique, en espérant que ces mesures apporteraient une clarté définitive. Mais ils ont à nouveau montré un petit changement qui devrait être clarifié davantage par une coronarographie ou un scanner cardiaque pour être tout à fait sûr. Un “cauchemar” médico-technique pourrait en résulter.
La consultation, un outil moderne à l’effet thérapeutique
La consultation est le plus ancien “outil de traitement” du médecin et elle reste l’instrument le plus efficace, même dans un cabinet (de médecine générale) moderne, équipé de toutes les possibilités médico-techniques. Une consultation soigneusement organisée par le médecin, centrée sur la personne et la solution, produit son propre effet thérapeutique. Lors de la consultation, le médecin et le patient trouvent un parcours de qualité axé sur les besoins du patient. Vous découvrez ce qui est nécessaire au patient pour qu’il puisse atteindre son bien-être en fonction de ses besoins. Ils discutent de ce qu’il peut lui-même apporter. Ils décident quelles ressources médico-techniques ils veulent utiliser de manière ciblée, si d’autres aides sont nécessaires et lesquelles.
Lors de la consultation, le médecin et le patient s’arrêtent pour réfléchir. Ils pèsent chaque étape de l’examen et de la thérapie avant de la franchir. Cela leur permet de “rester sur la bonne voie”, de faire ce qui est nécessaire et de s’abstenir de ce qui ne l’est pas. Une consultation ainsi conçue est utile pour le patient, satisfait le médecin traitant et les maintient tous deux en bonne santé [4,5].
Messages Take-Home
- Le médecin ne peut saisir le vécu unique de la maladie d’un patient que dans le cadre d’une rencontre humaine avec le patient. En écoutant activement et en posant des questions, la consultation a déjà un effet thérapeutique.
- Grâce à l’interaction entre la relation et la technique, le médecin et le patient élaborent ensemble une médecine appropriée, personnalisée, efficace et de qualité.
- Le patient est l’expert de son vécu individuel de la maladie, le médecin connaît le contexte médical et les possibilités de traitement.
Littérature :
- Tadjung R, et al : Referral rates in Swiss primary care with a special emphasis on reasons for encounter. Swiss Med Wkly 2015 ; 145 : w14244.
- Luchsinger, Philippe : Médecins de famille et pédiatres. La recette d’une Suisse en bonne santé. Pourquoi il vaut la peine d’investir dans la médecine de famille. Points de vue 2018 ; 2 : 4-6.
- Health Consumer Powerhouse : Indice européen des consommateurs de produits de santé 2018. https://healthpowerhouse.com/media/EHCI-2018/EHCI-2018-report.pdf, dernière consultation 13.03.2019.
- Bircher L, Kissling B : “J’imagine une médecine …”. Échange de lettres entre une jeune médecin et un médecin généraliste expérimenté. Zurich : rüffer & rub, 2018.
- Kissling B, Ryser P : La consultation médicale. Orienté vers les solutions systémiques. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, à paraître à l’automne 2019.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2019 ; 14(4) : 5-7