Le terme de dermatite atopique a été introduit en 1933 pour désigner certains eczémas chroniques touchant principalement les enfants, afin de souligner leur lien avec les maladies allergiques telles que l’asthme et le rhume des foins. Cette dénomination a depuis été adoptée dans le monde entier, du moins par les médecins spécialistes. En effet, les patients et même le langage courant utilisent plutôt le terme simple de dermatite atopique ou plus simplement encore d’eczéma, les mots eczéma et dermatite étant d’ailleurs synonymes. En France, on a longtemps utilisé le terme d’eczéma constitutionnel, mais il faut dire que cette expression n’est pas non plus immédiatement compréhensible. Enfin, il a été constaté que cette dermatite ou cet eczéma ne répondait pas toujours aux critères d’une maladie atopique, qui sont essentiellement un résultat positif au test intradermique et une augmentation des IgE circulantes. C’est pourquoi on a commencé à parler de “dermatite atopiforme” ou de “dermatite atopique intrinsèque”, des termes techniques qui restaient toutefois mystérieux pour les non-spécialistes. Il serait peut-être préférable de parler d’eczéma infantile. Tout le monde comprendrait. Mais il est difficile de changer les habitudes : Les articles scientifiques et les textes officiels parlent de la dermatite atopique et nous vous imitons ici, du moins pour le moment.
L’atopie est une prédisposition génétique familiale à développer des réactions immunologiques excessives de type immédiat.
Cette réactivité est caractéristique tant en ce qui concerne les stimuli antigéniques que l’expression humorale et cellulaire. Les stimuli, les antigènes, qui sont de préférence appelés allergènes ou atopènes dans ce contexte, ne sont pas des substances non physiologiques telles que des médicaments ou des substances toxiques. Il s’agit plutôt de protéines présentes dans notre environnement quotidien immédiat. Les acariens, par exemple, auxquels personne ne peut échapper, les poils des animaux domestiques, le pollen des plantes qui nous entourent, ainsi que le lait et les œufs, qui font partie de nos aliments les plus courants.
La manière dont les allergènes de notre environnement entrent en contact avec notre système immunitaire est tout aussi habituelle : par l’air que nous respirons, par les aliments que nous consommons et par la peau si celle-ci est anormalement perméable.
Les immunoglobulines impliquées
La réactivité atopique est à son tour particulière : elle met en jeu une classe rare d’immunoglobulines, les IgE. Les IgE sont produites par les lymphocytes B. Elles sont également présentes dans le système immunitaire. Cela se produit sous l’influence d’une classe de lymphocytes T spécialisés dans les réactions immunitaires de type allergique, appelés TH2. Certains polymorphismes génétiques affectant ces cytokines et leurs récepteurs, dont celui de l’interleukine 4, rendent les personnes atteintes particulièrement vulnérables à la dermatite atopique. Les IgE ne circulent qu’en très petites quantités dans le sang.
On les trouve plutôt dans les tissus. Ils se lient à des récepteurs spécifiques situés à la surface de certaines cellules, comme les éosinophiles ou les basophiles. C’est cette liaison qui déclenche la réaction allergique. Au cours de la dermatite atopique, on trouve des récepteurs IgE sur les cellules de Langerhans épidermiques, qui présentent les allergènes au système lymphatique.
L’importance d’une augmentation des IgE
Lorsque les IgE (immunoglobulines E) ont été découvertes à la fin des années 1960, on pensait disposer d’un test sanguin pour diagnostiquer les allergies. En présence d’un eczéma de cause inconnue, par exemple, un examen normal aurait
Le taux sanguin d’IgE peut exclure un eczéma atopique, tandis qu’un taux élevé peut le confirmer. Malheureusement, ces attentes ont dû être revues à la baisse.
Les faux positifs et les faux négatifs sont beaucoup trop nombreux pour que ce test puisse être considéré comme fiable. Pour la même raison, les tests cutanés pour le diagnostic des réactions allergiques immédiates ne constituent pas une avancée dans le diagnostic de l’eczéma.
L’éviction des allergènes : une mesure discutée mais discutable
Si l’on ne dispose pas de tests immunologiques fiables pour le diagnostic, peut-on au moins soulager l’eczéma en éliminant certains allergènes ? Cette idée semble prometteuse. Si un patient développe une urticaire après un traitement à la pénicilline, il devrait suffire de ne plus lui administrer de pénicilline pour qu’elle ne se manifeste plus. En éliminant les poils de chat de l’environnement d’un enfant atopique testé positif, on devrait donc pouvoir faire disparaître son eczéma ou du moins le soulager. Cependant, la situation est beaucoup plus compliquée. Dans le cas de la dermatite atopique, les tests positifs prouvent uniquement une constitution atopique et non que l’eczéma est une réaction allergique aux poils de chat. Ainsi, après de nombreuses études cliniques de grande envergure ont commencé ces dernières années à renoncer totalement aux mesures d’éviction des allergènes ou, plus généralement encore, aux mesures visant à modifier l’environnement. La liste des espoirs ainsi déçus est longue : en ce qui concerne l’alimentation, les modifications du lait n’apportent rien, à moins qu’elles ne soient motivées par des problèmes digestifs ; les probiotiques se sont finalement révélés inefficaces malgré des premiers essais prometteurs. Très peu d’hôpitaux pratiquent des tests de provocation en double aveugle (après un régime d’élimination préalable), seul moyen de diagnostic permettant de prouver le lien de causalité entre un aliment et l’apparition de l’eczéma. Les études sur l’allaitement et la diversification alimentaire précoce ont donné des résultats contradictoires.
Même si l’allaitement est généralement recommandé, il n’est pas possible d’assurer que l’enfant sera préservé de l’eczéma par la suite. En ce qui concerne les allergènes respiratoires, les nombreuses études menées ces dernières années ne permettent pas de conclure que les mesures d’éviction ont un effet positif sur la dermatite atopique. Cela concerne surtout les eczémas causés par la poussière ou les animaux domestiques.
La dermatite atopique une maladie de l’épiderme
On savait depuis longtemps que l’eczéma n’était pas la seule anomalie de la dermatite atopique. Une sécheresse de la peau, appelée xérose atopique, est également très fréquente, ainsi que d’autres signes considérés comme des critères secondaires de la dermatite atopique. La véritable signification de cette sécheresse cutanée atopique a été mise en évidence en 2006, lorsqu’une équipe de généticiens écossais a pu montrer que des mutations dans le gène codant pour la protéine filaggrine constituaient un facteur prédisposant au développement de la dermatite atopique.
La filaggrine est une protéine dont le nom provient de sa fonction, qui consiste en l’agrégation mutuelle des filaments de kératine dans les kératinocytes du stratum granulosum. La filaggrine est ensuite décomposée en petites molécules hydrophiles qui participent à l’hydratation du stratum corneum. De cette manière, la filaggrine est à la fois importante pour la kératinisation, c’est-à-dire la dernière étape du processus de différenciation de l’épiderme, et pour l’hydratation de la peau. Un déficit complet en filaggrine caractérise l’ichtyose vulgaire, la plus fréquente des ichtyoses héréditaires. En outre, le lien entre les deux maladies, l’ichtyose vulgaire et la dermatite atopique, a été mis en lumière par l’étude de familles de patients atteints d’ichtyose et de dermatite atopique concomitante.
Des anomalies épidermiques … aux anomalies immunologiques
Cette découverte a inspiré de nombreux travaux(1) qui ont permis de confirmer la présence fréquente de mutations de la filaggrine chez les patients atteints de dermatite atopique. Il a également été démontré qu’un tel déficit en filaggrine est caractéristique des cas graves de dermatite atopique et, surtout, des cas de dermatite atopique associée à l’asthme. Le mécanisme de la relation entre le déficit en filaggrine et l’asthme a été élucidé par des expériences animales sur des souris :
En raison des malformations épidermiques les allergènes de l’air ambiant peuvent traverser le stratum corneum et stimuler les cellules dendritiques de l’ épiderme et du derme, ce qui déclenche une sensibilisation aux IgE. L’épiderme atopique ne manque pas seulement de filaggrine : D’autres protéines jouent un rôle dans le processus de kératinisation, comme la loricrine, qui constitue le principal composant de l’enveloppe cornifiée des cornéocytes, ou la Claudine, qui assurent la cohésion (tight junctions) des kératinocytes, sont également insuffisantes. Certaines protéases fonctionnent de manière excessive, ce qui entraîne à la fois la formation de pellicules et l’inflammation. On comprend ainsi pourquoi la sécheresse de la peau et l’inflammation de l’eczéma sont présentes simultanément.
Enfin, les lipides intercellulaires de l’épiderme présentent une composition anormale avec un déficit en acides gras de la classe oméga-6. Dans le modèle traditionnel expliquant la dermatite atopique, une inflammation immunologique provoque des lésions de l’épiderme, de l’eczéma et une sécheresse de la peau. Dans le modèle le plus récent, les malformations épidermiques sont considérées comme originelles et déclenchent, avec ou sans participation immunologique, un eczéma inflammatoire.
Il est tout à fait possible de combiner ces deux façons différentes de voir les choses. Ainsi, un concept global a été proposé, dans lequel la dermatite atopique est d’abord une maladie de l’épiderme, puis un problème immunologique – avec des allergènes exogènes et des staphylocoques anormalement nombreux sur la peau – et enfin une maladie auto-immune, dans laquelle l’inflammation s’auto-entretient, ce qui entraîne un eczéma chronique (2).
Un nouveau concept de carrière atopique
Ces découvertes apportent un nouvel éclairage sur le concept de carrière atopique. Ce concept a été proposé pour mettre en évidence le fait que les différentes manifestations atopiques s’enchaînent au cours de la vie : La dermatite atopique débute dans les premiers mois de vie ; l’allergie alimentaire apparaît dans les deux premières années de vie ; l’asthme se manifeste dans la petite enfance et les rhinoconjonctivites allergiques chez les jeunes adultes. Le concept de carrière atopique est controversé. D’une part, il a été prouvé que la tendance à la bronchoconstriction chez les asthmatiques ultérieurs existe dès la naissance, indépendamment de la présence ou non d’une dermatite atopique. D’autre part, il n’est pas conseillé d’évoquer le risque d’asthme chez les enfants, dont peu seront finalement réellement asthmatiques.
Peut-on prévenir les sensibilisations respiratoires ?
Cependant, la découverte du rôle des malformations épidermiques ouvre de nouvelles perspectives : Selon des données convaincantes, l’origine des sensibilisations respiratoires réside dans la pénétration transépidermique des allergènes présents dans l’air. On peut donc espérer prévenir les sensibilisations respiratoires en traitant la sécheresse cutanée atopique avec des émollients.
Un traitement complexe
La dermatite atopique résulte donc d’une interaction complexe entre des gènes – des gènes du système immunitaire et des gènes de protéines épidermiques – et des facteurs environnementaux spécifiques à la peau, à l’air et à l’alimentation. Malheureusement, les gènes ne peuvent pas être influencés et il a été démontré que l’hypersensibilité atopique n’est que peu influençable, même par des modifications de l’environnement. Cependant, les nouvelles connaissances fournissent une base rationnelle pour une stratégie de traitement dont l’efficacité est bien établie. Ce traitement, qui semble simple en théorie, est en réalité complexe. Elle doit ainsi être adaptée à la situation de chaque patient et prendre en compte les facteurs personnels, familiaux et psychologiques dans le cadre d’une approche globale.
Correction de l’anomalie épidermique
Tous les experts s’accordent à dire que l’utilisation d’émollients doit être la base du traitement de tout patient souffrant de dermatite atopique. L’utilisation régulière d’un émollient permet de renforcer les éléments structurels du stratum corneum et d’améliorer sa fonction. Le terme de fonction barrière désigne le rôle principal de l’épiderme, qui est d’assurer l’intégrité de l’organisme et notamment d’empêcher efficacement la pénétration d’allergènes et de micro-organismes provenant de l’environnement.
La fonction de barrière est quantifiée en laboratoire par la mesure de la perte d’eau transépidermique (TEWL) ou par la mesure directe de la teneur en eau de la peau (cornéométrie). Toutefois, ces tests ne sont pas effectués à l’hôpital. Pour simplifier, on part plutôt du principe qu’une peau d’apparence lisse et souple dispose d’une fonction de barrière normale. Un épiderme bien hydraté empêche également la pénétration de staphylocoques.
qui sont exceptionnellement présents sur l’épiderme atopique. Cette colonisation par des staphylocoques démontre les mécanismes déficients de l’immunité innée qui, en temps normal, constitue la première ligne de défense de l’épiderme contre les infections. Le rôle des staphylocoques dans la dermatite atopique est peu connu. Les épidémies d’infection sont relativement rares. On pense que les staphylocoques ont une fonction immunologique de type “superantigène” et sont donc impliqués dans le déclenchement des poussées inflammatoires. Les avantages potentiels de l’utilisation d’antiseptiques et d’antibiotiques font encore l’objet de controverses.
Le traitement de l’inflammation et de ses conséquences
Il est indispensable de traiter la xérose atopique par l’application quotidienne d’émollients. Elle réduit la fréquence et la durée des poussées de dermatite atopique, mais ne peut pas les supprimer totalement. En cas d’eczéma aigu et prurigineux, un traitement local par corticoïdes est indispensable et bénéfique. Le traitement local par corticoïdes est certainement le plus efficace de tous les traitements dermatologiques, mais aussi le moins connu. Et ce, bien que leur mise en œuvre soit simple, leur efficacité remarquable et leurs effets secondaires pratiquement inexistants, à condition qu’ils soient correctement utilisés. Un traitement par tacrolimus topique peut également être administré à partir de l’âge de deux ans. Les corticoïdes oraux ne jouent pratiquement aucun rôle dans le traitement de la dermatite atopique. Ils entraînent rapidement une dépendance dont il est difficile de se défaire. En revanche, les corticoïdes locaux, je le répète, sont efficaces et sûrs.
L’utilité des antihistaminiques H1 a fait l’objet de nombreux travaux. L’expérience clinique reconnaît leur potentiel dans le traitement de la dermatite atopique. Cependant, ils n’agissent pas sur l’inflammation atopique, dans laquelle l’histamine ne joue pas un grand rôle. On pense que les antihistaminiques pourraient être utiles principalement pour leur effet antiprurigineux..
Écouter et informer
Certes, la dermatite atopique est d’abord une maladie de l’ épiderme. Mais par sa chronicité et l’intensité des démangeaisons, elle peut aussi entraîner des conséquences généralisées, parfois plus graves : Il s’agit en premier lieu des troubles du sommeil provoqués par les démangeaisons, qui ont un impact négatif sur l’ensemble des activités de la journée, tant pour l’enfant que pour ses parents. Les échelles d’évaluation de la qualité de vie, qui mesurent l’impact général, psychologique et social des maladies chroniques, montrent que cet impact est considérable dans le cas de la dermatite atopique.
La détermination de cette mesure générale devrait être effectuée chez tous les patients. Dans la majorité des cas, un traitement standard bien conduit permet d’obtenir une amélioration suffisante. Ce traitement standard nécessite plusieurs consultations ainsi qu’une écoute attentive. Toutefois, pour certains patients, il faut aller plus loin. C’est là qu’interviennent les établissements qui offrent une prise en charge plus intensive. Les stations thermales jouent ce rôle de manière efficace, en combinant hydrothérapie, traitement dermatologique intensif et éducation des patients. Depuis peu, des centres dermatologiques proposent des ateliers ou créent des écoles dédiées à la dermatite atopique. De telles structures permettent d’offrir un suivi intensif, des informations sur la maladie et des formations sur les soins corrects. Pour certaines familles, ces services sont irremplaçables et les aident à se sortir de situations apparemment inextricables.
Résumé
Cet aperçu des principaux éléments de la physiopathologie de la dermatite atopique permet de comprendre pourquoi cette maladie occupe une place aussi importante dans la recherche et la pratique dermatologique. Le point de départ est un déficit structurel du stratum corneum, la couche située à la surface de la peau, dont l’importance capitale n’a été reconnue que récemment. Ensuite, tout s’enchevêtre : La xérose entraîne des démangeaisons, une inflammation, un grattage, des infections et une sensibilisation générale. Les démangeaisons provoquent un handicap fonctionnel important, pèsent sur l’humeur, pèsent sur la vie quotidienne et provoquent une souffrance personnelle et familiale. Tous ces maux peuvent-ils être atténués par une amélioration de la fonction épidermique ?