Lors du quatrième congrès JHaS à Thoune, le Dr Niklaus Labhardt, Liestal, a parlé des souvenirs de voyage dans le cabinet du médecin généraliste. Il a notamment évoqué la dengue, une maladie qui gagne du terrain dans le monde entier et qui, associée à des complications hémorragiques, peut avoir des conséquences dangereuses si elle n’est pas traitée. De même, l’infection aiguë par le VIH et, bien sûr, le paludisme doivent toujours être pris en compte chez les voyageurs de retour de voyage.
Le Dr Niklaus Labhardt, Liestal, a présenté un cas clinique en guise d’introduction : Une femme de 33 ans rentre en Suisse après un voyage de deux semaines à Java suivi d’un séjour de six jours à Bali sur . Elle souffre de fortes douleurs dorsales dans la région lombaire et d’une légère éruption maculaire sur le dos des deux pieds. La veille de son retour, elle ressent une forte persistance de la céphalée, qui s’étend des deux côtés de la tête vers l’occipital. A peine arrivé à la maison, la fièvre monte rapidement (>39 degrés et frissons). C’est ainsi qu’elle se présente maintenant chez le médecin. Elle a l’impression que les articulations des coudes et des genoux sont enflées et ressent de fortes douleurs dans les deux hanches. L’anamnèse révèle qu’elle a subi de nombreuses piqûres de moustiques et qu’elle n’a pas pris de traitement prophylactique contre le paludisme. L’état montre une discrète conjonctivite bilatérale. La soi-disant “grosse goutte” est trois fois négative.
“Quels sont les diagnostics les plus fréquents de fièvre après un séjour sous les tropiques ? Dans la plupart des cas, le diagnostic reste incertain (22%), suivi du paludisme (21%), de la diarrhée (15%), des affections respiratoires (14%) et de la dengue (6%) [1]. Les résultats des sérologies pour les leptospires, le chikungunya et les rickettsies étaient négatifs chez cette patiente. Pour la dengue, les taux d’IgM et d’IgG étaient négatifs, mais l’antigène (“non-structural protein 1″, NS1) était positif. Le diagnostic était donc une infection aiguë par la dengue”, a expliqué le Dr Labhardt.
Dengue : une maladie à la conquête du monde
La dengue est transmise par le moustique tigre égyptien (Stegomyia aegypti, anciennement Aedes aegypti), principalement le matin et en fin d’après-midi. Il s’agit d’un “volatile nerveux” anthropophile, c’est-à-dire préférant les villes, , qui mord à plusieurs reprises différentes personnes . Il existe quatre types de virus de la dengue, l’immunité est spécifique à chaque type et de longue durée. Au total, 2,5 milliards de personnes vivent dans des zones à risque de dengue (Asie > Amérique latine > Afrique), ce qui représente 50 à 100 millions de cas par an. 500 000 d’entre eux doivent être hospitalisés, principalement des enfants.
“On s’attend à ce que la dengue devienne un problème de santé publique pour l’ensemble de l’humanité au cours du 21e siècle, et non plus seulement pour les pays tropicaux comme on le pensait jusqu’à présent. Des cas autochtones de dengue ont déjà été documentés en France et en Croatie. En Suisse aussi, le moustique tigre progresse de plus en plus vers le nord en traversant les Alpes”, explique le Dr Labhardt. Elle se présente sous trois formes : la forme atypique bénigne (fièvre indifférenciée, plus fréquente chez les enfants), la forme classique et la forme hémorragique (généralement en cas de seconde infection par un autre sérotype). Les symptômes de la forme classique sont les suivants
- Forte fièvre
- Gonflement des ganglions lymphatiques
- Maux de tête (rétro-orbitaires, lors de mouvements oculaires)
- Myalgies et arthralgies
- Hyperesthésie (par ex. jet de la douche)
- Symptômes gastro-intestinaux
- Symptômes respiratoires éventuels
- Exanthème, souvent non spectaculaire (rougeur généralisée les deux premiers jours, éruption cutanée ressemblant à une rougeole le troisième à cinquième jour).
Le laboratoire montre généralement une leucopénie, une thrombopénie et une augmentation des transaminases.
Si des complications hémorragiques surviennent, elles se manifestent généralement lors de la fièvrerie, trois à cinq jours après le début des symptômes. Le laboratoire révèle alors une thrombocytopénie sévère et une augmentation des transaminases. Les signes cliniques typiques sont des pétéchies, des saignements spontanés, des douleurs abdominales et une détérioration de l’état général pouvant aller jusqu’au choc.
En outre, on observe des épanchements pleuraux, des ascites et des œdèmes de la vésicule biliaire. Il est donc important de procéder à un suivi clinique des patients atteints de dengue aiguë, même après la disparition de la fièvre. Les facteurs de risque de la fièvre hémorragique de dengue (FHD) sont résumés dans le tableau 1.
Options thérapeutiques et diagnostics différentiels
Le traitement est symptomatique. Les AINS doivent être évités. Le pronostic de la forme classique est bon (convalescence souvent prolongée), celui de la DHF l’est moins (mortalité jusqu’à 50% sans traitement, avec traitement dans les pays industrialisés <1%).
Un diagnostic différentiel possible avec la dengue est le chickungunya (transmission d’homme à homme par les moustiques Aedes). Cliniquement, la maladie se manifeste par une forte fièvre pendant deux à cinq jours, une polyarthralgie massive (“breaking bone disease”) et un exanthème environ le troisième jour chez plus de 50% des patients. Le laboratoire révèle une lymphopénie et une thrombopénie. Les complications sont très rares.
Infection aiguë par le VIH et paludisme
“Venons-en maintenant à l’infection aiguë par le VIH. Ici, il faut dans tous les cas dire qu’un test VIH fait partie du bilan de tout voyageur revenant avec de la fièvre. En cas de syndrome de séroconversion aiguë, la plupart des experts recommandent aujourd’hui de commencer immédiatement le traitement : une thérapie antirétrovirale hautement active (HAART) précoce réduit rapidement la charge virale et donc l’infectiosité, et améliore probablement le pronostic à long terme”, a résumé le Dr Labhardt. Pour le médecin généraliste, cela signifie qu’en cas de syndrome de séroconversion aiguë, il faut immédiatement consulter un spécialiste du VIH.
Environ 216 millions d’épisodes de paludisme sont signalés chaque année dans le monde, dont 81% en Afrique. C’est d’ailleurs là que se produisent la plupart des décès. En Suisse, le nombre de cas de paludisme déclarés est en baisse. Les migrants vivant ici et rendant visite à leurs amis et à leur famille en Afrique constituent le plus grand groupe à risque. Ils consultent moins souvent un conseiller en voyage et prennent donc moins souvent une prophylaxie (par ex. Malarone®, Supracycline®, Mephaquin®) .
“Malheureusement, il n’existe à ce jour aucun symptôme ou résultat d’examen clinique qui permette de diagnostiquer ou d’exclure le paludisme”, a déclaré le Dr Labhardt. L’étalon-or pour le diagnostic du paludisme reste la “grosse goutte”. En l’absence de savoir-faire en matière de microscopie, le test rapide de paludisme combiné à un frottis sanguin peut être utilisé en urgence pour exclure un paludisme grave, en attendant que la “goutte épaisse” puisse être évaluée par une personne experte. Le traitement d’un paludisme non compliqué se fait avec Riamet® (4 cp. 2× par jour [D1] et 4 bl. 1× par jour. [D2 und 3]) ou Malarone® (4 cp 1×/jour pendant trois jours).
Source : “Ansteckend oder abstossend, auf jedenfalls virulent : Reisesouvenirs in der Hausarztpraxis”, séminaire au congrès JHaS, 5 avril 2014, Thoune
Littérature :
- Wilson ME, et al : Fever in returned travelers : results from the GeoSentinel Surveillance Network. Clin Infect Dis 2007 Jun 15 ; 44(12) : 1560-1568.
SPÉCIAL CONGRÈS 2014 ; 5(2) : 18-19