Les troubles dépressifs font partie des maladies mentales les plus courantes, dont souffrent également de nombreuses personnes âgées. De nos jours, on se base sur un modèle d’explication biopsychosocial. Outre la psychothérapie et les mesures psychosociales générales, les patients gériatriques peuvent également bénéficier d’un traitement par antidépresseurs. Dans ce contexte, un traitement soigneusement adapté à chaque patient et à sa situation actuelle est important, y compris la prise en compte de la multimorbidité et de la polypharmacie.
Les causes et les facteurs de risque des troubles dépressifs chez les personnes âgées sont biopsychosociaux. De nombreux patients ont du mal à accepter une dépendance croissante et la perte d’autonomie qui en découle, explique le Dr Birgit Schwenk, médecin-chef en gériatrie, région hospitalière de Rheintal/Werdenberg/Sarganserland [1]. La perte des rôles sociaux et des personnes de référence ou de l’environnement domestique habituel ainsi que les troubles physiques corrélés à l’âge sont d’autres aspects susceptibles de provoquer une dépression. Certains médicaments peuvent également induire une humeur déprimée. Les troubles dépressifs, quelle que soit leur gravité, sont fréquents chez les personnes âgées, avec une prévalence de 25% chez les plus de 65 ans, selon l’oratrice. L’augmentation de la fragilité (“frailty”) s’accompagne d’une augmentation de la proportion de troubles dépressifs [2]. Les conséquences sont souvent graves et vont de la déficience cognitive à la perte d’autonomie, en passant par le placement en maison de retraite et les tendances suicidaires. Le traitement de la dépression chez les patients gériatriques comprend trois piliers : la psychothérapie, les antidépresseurs et les mesures psychosociales (tab. 1).
Symptômes atypiques fréquents chez les patients gériatriques
Il faut savoir qu’avec l’âge, la dépression se présente un peu différemment que dans d’autres groupes d’âge. Selon la CIM-10, les principaux symptômes d’un trouble dépressif sont connus pour être une humeur déprimée, une perte d’intérêt et de plaisir, ainsi qu’un manque de motivation et une fatigabilité accrue [3]. Selon cette classification, divers symptômes supplémentaires peuvent être présents en complément, comme des difficultés de concentration, une estime de soi altérée, des sentiments de culpabilité, une vision pessimiste, des pensées et des actes suicidaires ou des troubles du sommeil. Parmi les particularités des patients gériatriques dépressifs, il y a d’une part le fait que les tendances à la somatisation sont souvent au premier plan, et d’autre part l’impression que les personnes concernées sont généralement maussades et irritables, explique le Dr Schwenk. Comme les symptômes correspondants sont souvent considérés comme normaux en raison de l’âge, la dépression chez les personnes âgées n’est souvent pas traitée. L’intervenante recommande le test à deux questions comme outil de dépistage de la dépression permettant de gagner du temps dans le cabinet du médecin généraliste :
- Vous êtes-vous souvent senti(e) abattu(e), triste, déprimé(e) ou désespéré(e) au cours du dernier mois ?
- Au cours du dernier mois, avez-vous eu nettement moins envie et moins de plaisir à faire des choses que vous aimez habituellement ?
En cas de suspicion de trouble dépressif, il est conseillé de procéder à un diagnostic plus détaillé comprenant une anamnèse et un examen clinique, y compris des questionnaires standardisés. Les questionnaires d’auto-évaluation GDS (échelle de dépression gériatrique) et DIA-S (échelle de dépression chez les personnes âgées) sont conçus pour être utilisés chez les personnes âgées [4–6]. En outre, une analyse de sang complète fait partie de l’examen. Parmi les diagnostics différentiels importants avec les troubles dépressifs, l’oratrice cite la démence ou le délire hypoactif. Les dépressions non traitées peuvent souvent entraîner des suicides avec l’âge, mais ceux-ci ne sont souvent pas annoncés, rapporte l’intervenante [1].
Quel antidépresseur pour quel patient ?
L’éventail des médicaments antidépresseurs est aujourd’hui très large (tableau 2) [1,7]. Dans le groupe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS), le Dr Schwenk utilise de préférence le citalopram, l’escitalopram et la sertraline. Il convient de garder à l’esprit que ces substances peuvent avoir pour effet secondaire une hyponatrémie. La sertraline présente le profil bénéfice/risque le plus favorable de ce groupe de substances actives. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) sont également une classe importante d’antidépresseurs, en particulier en cas de comorbidité de la douleur, a déclaré l’oratrice. Toutefois, un syndrome des “jambes sans repos” peut apparaître comme symptôme associé. En ce qui concerne les antidépresseurs sérotoninergiques doubles (SARI), dont le mécanisme d’action combine l’inhibition de la recapture de la sérotonine et l’antagonisme 5-HT2, la trazodone est bien adaptée aux patients âgés, car elle a un effet bénéfique sur la cognition et des effets sur le sommeil. Dans la classe des agonistes des récepteurs de la mélatonine, l’efficacité de l’agomélatine a été démontrée jusqu’à l’âge de 75 ans dans une étude contrôlée par placebo et dans diverses études cliniques ouvertes [8]. En raison de son effet mélatonergique, cette substance active favorise le sommeil et a une influence positive sur la cognition [4]. Le profil d’effets secondaires s’est également avéré favorable, mais les valeurs hépatiques doivent être contrôlées régulièrement [9]. Un antidépresseur à action multimodale est la vortioxétine, un représentant de la classe des stimulateurs modulateurs de la sérotonine. Il existe également des preuves d’efficacité positives pour cet antidépresseur jusqu’à l’âge de 75 ans [10]. Chez les patients gériatriques, il est particulièrement important d’adapter le traitement psychotrope aux conditions individuelles. “Il s’agit toujours d’une thérapie individuelle”, a déclaré la conférencière.
Tenir compte de la multimorbidité et de la polypharmacie
La polypharmacie joue un rôle de plus en plus important chez les personnes âgées. Outre les profils d’effets secondaires, il convient donc d’accorder une attention particulière aux interactions potentielles. Il convient d’en tenir compte en utilisant le produit conformément à l’indication et en le titrant lentement. La règle de base ‘Start low, go slow’ est particulièrement importante pour cette population de patients. Dans quelles conditions faut-il être particulièrement vigilant ? Chez les patients diabétiques, les substances paroxétine et mirtazapine sont défavorables car elles ont des effets sur l’appétit et peuvent entraîner une prise de poids. Par ailleurs, il faut éviter d’utiliser la venlafaxine en cas d’hypertension artérielle, en raison d’un possible effet hypertenseur. “En général, les antidépresseurs tricycliques sont défavorables chez les personnes âgées, en raison de leurs effets secondaires”, ajoute le Dr Schwenk. Outre l’incontinence urinaire, les troubles cognitifs et le délire font partie des effets indésirables possibles de cette classe de médicaments. Les préparations à base de millepertuis seraient également plutôt défavorables, en raison du potentiel d’interaction.
De manière générale, il faut savoir que le début de l’effet des antidépresseurs peut prendre de quelques jours à quatre semaines, ce qui nécessite une certaine persévérance [1]. En début de traitement, de légers effets secondaires seraient fréquents (par exemple, des nausées), même avec des antidépresseurs par ailleurs bien tolérés. Que faire en cas d’efficacité insuffisante ? La première chose à faire est d’augmenter la dose. Si cela ne donne aucun résultat, il faut envisager de passer à un autre antidépresseur, voire de combiner deux médicaments. Par ailleurs, une augmentation peut être envisagée en collaboration avec un psychiatre (lithium, antipsychotiques). Pour le traitement antidépresseur d’entretien, le Dr Schwenk recommande une durée de 6 à 9 mois à dose constante [1]. En cas d’arrêt du traitement, l’antidépresseur doit être équilibré afin d’éviter autant que possible les phénomènes de sevrage.
Congrès : Collège de médecine générale 2021
Littérature :
- Schwenk B : Thérapie de la dépression chez les personnes âgées d’un point de vue gériatrique. Dr. med. Birgit Schwenk, Collège de médecine de premier recours, 24-26.6.2021
- Kopf D, Hummel J : La dépression chez le patient âgé fragile. Diagnostic et traitement. Z Gerontol Geriatr 2013 ; 46(2) : 127-133.
- Organisation mondiale de la santé : CIM-10, https://icd.who.int (dernière consultation 20.08.2021)
- Hatzinger M, et al. : Recommandations pour le diagnostic et le traitement de la dépression chez les personnes âgées. Praxis 2018 ; 107(3) : 127-144.
- Gauggel S, Birkner B : Validité et fiabilité d’une version allemande de l’échelle de dépression gériatrique. Z Klin Psychol 1999 ; 28 : 18-27
- Heidenblut S : Diagnostic de la dépression chez les patients gériatriques. L’évolution de l’échelle de dépression chez les personnes âgées (DIA-S). PhD thesis ; Université de Cologne : 2012.
- Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch, (dernière consultation 20.08.2021)
- Heun R, et al. : The efficacy of agomelatine in elderly patients with recurrent major depressive disorder : a placebocontrolled study. J Clin Psychiatry 2013 ; 74 : 587-594
- Howland RH : A benefit-risk assessment of agomelatine in the treatment of major depression. Drug Saf 2011 ; 34 : 709-773.
- Häggström L, et al. : Étude randomisée en double aveugle de la vortioxétine versus agomélatine chez des adultes atteints de TDM après une réponse insuffisante au traitement par ISRS ou IRSN. Eur Psychiatry 2013 ; 28(Suppl 1) : 1.
HAUSARZT PRAXIS 2021 ; 16(9) : 30-31 (publié le 18.9.21, ahead of print)
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2021 ; 19(6) : 36-37