La preuve scientifique qu’une protection solaire conséquente permet de prévenir efficacement l’apparition de tumeurs cutanées épithéliales et de mélanomes se heurte à diverses craintes de la part de la population concernant les effets secondaires et les risques des produits de protection solaire. Il s’agit en particulier des rapports sur une éventuelle activité hormonale des filtres solaires chimiques, de la question de la sécurité des filtres physiques de taille nanométrique et, enfin et surtout, de la crainte d’un éventuel déficit en vitamine D du squelette en croissance sous des mesures rigoureuses de protection solaire. L’objectif de cet article est de faire le point sur les données actuelles concernant ces questions et de formuler des recommandations pour la pratique quotidienne.
Le fait que les rayons UV entraînent l’induction de tumeurs cutanées malignes est bien connu et bien documenté. Les UVB (longueur d’onde 280-320 nm) et les UVA (320-400 nm) ont tous deux des propriétés cancérigènes. Ce dernier est également central dans les processus de vieillissement de la peau.
Les coups de soleil sévères pendant l’enfance constituent l’un des principaux facteurs de risque modifiables du mélanome [1], qui continue d’afficher une incidence croissante et un mauvais pronostic à un stade avancé. Alors que pour les tumeurs cutanées épithéliales (carcinome basocellulaire, carcinome spinocellulaire), les données sont relativement claires quant à l’influence positive de l’utilisation régulière de produits de protection solaire sur le développement de tumeurs, l’incertitude a longtemps régné à ce sujet pour le mélanome. Il existe cependant depuis peu la première étude randomisée et contrôlée qui a pu documenter une nette réduction de l’incidence de la mélanomyose en cas d’utilisation systématique de produits de protection solaire [2].
A la lumière de ces éléments, il est surprenant que la connaissance de ces relations soit encore très limitée dans la population générale et en particulier chez les enfants et les adolescents. Une étude récente menée auprès d’élèves du nord-ouest de la Suisse a révélé que seul un tiers des personnes interrogées avait de bonnes connaissances en matière de protection solaire et de risques [3]. Plus de la moitié des participants ont également connu au moins un coup de soleil au cours de l’année précédant l’enquête et, malgré une meilleure connaissance des élèves plus âgés, ces derniers se sont protégés des rayons UV de manière beaucoup moins systématique que les jeunes répondants. De plus, il semble que les parents protègent leurs enfants en particulier dans les situations à haut risque (séjour à la plage), alors que l’exposition quotidienne au soleil (jeux dans le jardin) est négligée [4]. Or, cette dernière représente une grande partie de la dose UV cumulée. Ces faits montrent clairement que la protection solaire doit faire partie intégrante des contrôles pédiatriques de routine ainsi que de toute consultation dermatologique.
Produits de protection solaire – Effets et risques potentiels
La prophylaxie de l’exposition est la première chose à faire en matière de protection solaire, tant pour les enfants que pour les adultes. Outre la recherche de l’ombre pendant les heures de midi (11h-15h ), il faut particulièrement veiller à couvrir la plus grande partie possible du corps des enfants avec des vêtements légers, sachant que la protection contre les UV des vêtements foncés est meilleure que celle des vêtements blancs et que la protection des vêtements mouillés tend vers zéro. De plus en plus souvent, des vêtements avec protection solaire intégrée sont également disponibles chez les grands distributeurs. De même, les lunettes de soleil et le chapeau sont obligatoires.
Les écrans solaires, disponibles dans toutes les galéniques possibles et imaginables, jouent également un rôle important. On distingue les filtres organiques, qui provoquent une absorption des rayons UV, et les filtres physiques, qui entraînent une réflexion et une diffusion du rayonnement [5].
Le niveau requis du facteur de protection solaire (FPS) fait l’objet de controverses. Officiellement, l'”American Academy of Pediatrics” (AAP) recommande l’utilisation d’un produit avec un FPS 15 ou plus [6], tandis que les sociétés dermatologiques exigent des facteurs de protection nettement plus élevés. Le FPS est le quotient du temps de seuil érythémateux avec protection solaire divisé par le temps de seuil érythémateux sans protection solaire. Malheureusement, il y a beaucoup d’opinions erronées sur ce que ces chiffres signifient réellement. Par exemple, on pense souvent que la protection offerte par un FPS 15 ne sera pas doublée ou quadruplée en passant à un FPS 30 ou à un FPS 60, car le pourcentage de rayons UV filtrés (absorbés) n’augmente que de 5%. Cela signifierait que : L’efficacité de la protection ne s’améliore que très peu lorsque le facteur de protection solaire augmente. L’efficacité de la protection ne se réfère toutefois pas au rayonnement filtré (absorbé), mais au rayonnement qui atteint effectivement l’épiderme/le derme. Avec un FPS 15, environ 6,7% des rayons UV atteignent l’épiderme/le derme, avec un FPS 30, environ 3,3% et avec un FPS 60, environ 1,7% – ce qui correspond à un doublement ou un quadruplement de l’efficacité de la protection solaire. (Fig. 1, ainsi que www.youtube.com/watch?v=8cc8qRr7oMQ).
Ces faits, ainsi que l’observation que la quantité d’écran solaire appliquée est en réalité inférieure à la moitié de la quantité recommandée et utilisée lors des tests, soit 2 mg/cm2, suggèrent que l’application d’un produit contenant au moins un FPS 30 est raisonnable. Par exemple, la quantité de crème solaire recommandée pour une fillette de 8 ans pour traiter l’ensemble de son tégument sur une surface corporelle de 0,85 m2 est de plus de 16 g, ce qui correspond à peu près à la taille d’une balle de golf. De plus, les produits dont la protection contre les UVA représente au moins un tiers du FPS sont à privilégier. Ces derniers sont marqués du sigle UVA (fig. 2) .
Ces dernières années, des rapports faisant état d’une absorption systémique importante et d’une activité hormonale des filtres solaires organiques ont fait la une des journaux à plusieurs reprises.
Les composés concernés sont notamment la benzophénone-3 (oxybenzone), l’octyl-méthoxycinnamate et le 3-(4-méthyl-benzylidène)camphre, la plupart des données étant issues d’études in vitro. Une étude clinique menée sur 32 adultes a montré que toutes les substances sont absorbées lorsqu’elles sont appliquées sur une grande surface, le taux d’absorption étant le plus élevé pour la benzophénone-3 [7]. Une influence significative sur les taux d’hormones sexuelles n’a pas été démontrée malgré une utilisation à grande échelle et à forte dose, bien que le risque puisse être plus élevé chez les très jeunes enfants en raison d’un rapport surface corporelle/poids moins favorable et de systèmes métaboliques immatures. Pour cette raison, il est probablement judicieux d’utiliser des produits sans les filtres mentionnés, en particulier le benzophénone-3, au cours des premières années de vie, tout en notant que ce composé est également présent dans de nombreux autres produits cosmétiques, tels que les shampooings pour cheveux. Les ingrédients de la plupart des produits solaires et autres produits cosmétiques peuvent être facilement consultés sur www.codecheck.info.
En outre, les filtres solaires organiques peuvent provoquer des irritations cutanées et, dans de rares cas, des réactions photoallergiques.
Ces raisons ont conduit à notre recommandation, ainsi qu’à celle de plusieurs autres organismes, de n’utiliser que des filtres solaires physiques (dioxyde de titane, oxyde de zinc) pendant la première année de vie, bien que cette recommandation ne repose pas sur des données solides. Ces derniers temps, la taille des particules des filtres physiques a en outre été progressivement réduite afin de diminuer l’effet “blanchissant” indésirable des produits. La taille des particules est désormais de l’ordre du nanomètre, ce qui a à nouveau suscité des inquiétudes en matière de sécurité. Cependant, plusieurs études n’ont pas démontré de perméation au-delà du stratum corneum, de sorte que ces composés peuvent probablement être considérés comme sûrs [8].
Protection solaire et vitamine D
Ces dernières années, de plus en plus d’éléments indiquent que la vitamine D a des effets beaucoup plus importants sur le corps humain qu’on ne le pensait auparavant. La majeure partie de la vitamine D active est produite sous l’effet des UV-B dans la peau. Plusieurs études ont montré que l’utilisation systématique de produits de protection solaire entraînait une diminution significative du taux de vitamine D systémique. Cependant, les conditions de l’étude ne correspondent probablement pas aux “conditions réelles” et les mesures de protection solaire n’entraînent pas de baisse significative du taux de vitamine D chez la plupart des personnes dans leur vie quotidienne [9]. Ceci contrairement à des situations particulières, comme par exemple les patients atteints de xeroderma pigmentosum ou d’albinisme oculocutané, où une protection solaire maximale et donc des contrôles du taux de vitamine D sont certainement indiqués.
Les rayons UV étant un cancérigène important, les recommandations de certains experts concernant les expositions quotidiennes de courte durée sans protection au soleil doivent être fermement rejetées et la préférence doit être donnée à une supplémentation en vitamine D. Dans ce contexte, les nouvelles recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) visant à étendre la substitution en vitamine D aux trois premières années de la vie sont très appréciées (www.bag.admin.ch/themen/ernaeh rung_bewegung/05207/13246/index.html).
Recommandations concrètes pour la protection solaire des enfants
- Des mesures de protection solaire (rester à l’ombre lorsque cela est possible, s’habiller, utiliser un produit solaire avec un FPS d’au moins 30) doivent être prises à chaque fois que l’on se trouve à l’extérieur.
- Éviter l’exposition directe au soleil jusqu’à l’âge de six mois. En cas d’impossibilité, application localisée d’un écran solaire.
- Dans les premières années de la vie, les filtres purement physiques sont préférables.
- Crème solaire en quantité suffisante et appliquer suffisamment souvent, environ toutes les deux à trois heures, en particulier après la baignade ou en jouant dans le sable (abrasion). Pour cette raison, les produits combinés avec des répulsifs (DEET) sont à proscrire.
- Substitution de la vitamine D conformément aux recommandations de l’OFSP. Dans les situations à risque d’hypovitaminose D, des dosages appropriés sont recommandés.
Littérature :
- Russak JE, Rigel DS : Facteurs de risque pour le développement d’un mélanome cutané primaire. Dermatologic clinics 2012 ; 30 : 363-368.
- Green AC, Williams GM, Logan V, Strutton GM : Réduction du mélanome après l’utilisation régulière d’une protection solaire : suivi d’un essai randomisé. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 257-263.
- Reinau D, Meier C, Gerber N, Hofbauer GF, Surber C : Sun protective behaviour of primary and secondary school students in North-Western Switzerland. Swiss Med Wkly 2012 ; 142 : w13520.
- Li J, Uter W, Pfahlberg A, Gefeller O : A comparison of patterns of sun protection during beach holidays and everyday outdoor activities in a population sample of young German children. Br J Dermatol 2012 ; 166 : 803-810.
- Quatrano NA, Dinulos JG : Principes actuels de l’utilisation des écrans solaires chez les enfants. Current opinion in pediatrics 2013 ; 25 : 122-119.
- Section on D, Balk SJ : Ultraviolet radiation : a hazard to children and adolescents. Pédiatrie 2011 ; 127 : 588-597.
- Janjua NR, Mogensen B, Andersson AM, et al. : Absorption systémique des crèmes solaires benzophénone-3, octyl-méthoxycinnamate, et 3-(4-méthyl-benzylidène) camphre après application topique sur tout le corps et niveaux d’hormones de reproduction chez l’homme. J Invest Dermatol 2004 ; 123 : 57-61.
- Newman MD, Stotland M, Ellis JI : The safety of nanosized particles in titanium dioxide- and zinc oxide-based sunscreens. J Am Acad Dermatol 2009 ; 61 : 685-692.
- Norval M WH : L’utilisation chronique d’un écran solaire réduit-elle la production de vitamine D à des niveaux insuffisants ? Br J Dermatol 2009 ; 161 : 732-736.
DERMATOLOGIE PRAXIS 2013 ; N° 2 : 4-6