Autrefois téméraire, aujourd’hui thérapie standardisée : la transplantation hépatique orthotopique donne à de nombreux patients l’espoir d’une vie normale.
Plus de 10 000 transplantations hépatiques sont réalisées chaque année en Europe, contre environ 150 en Suisse (Fig. 1) [1]. Le nombre de patients sur la liste d’attente ne cesse d’augmenter, tout comme le nombre de personnes qui décèdent sur la liste d’attente parce qu’un organe compatible n’a pas été disponible à temps. Alors qu’il y a 30 ans, une transplantation hépatique orthotopique (OLT) nécessitait des chirurgiens téméraires et des patients courageux, les progrès réalisés dans les techniques chirurgicales, la gestion périopératoire et les traitements immunosuppresseurs ont fait de l’OLT un traitement sûr et hautement standardisé. Des receveurs et donneurs nettement plus âgés et multimorbides ont façonné et modifié le profil de risque au cours des dernières années. Cependant, pour de nombreux patients, l’OLT reste la seule chance de retrouver une vie normale.
Indications pour une transplantation hépatique
Les indications de la TLO peuvent être divisées en insuffisance hépatique aiguë, complications d’une hépatopathie chronique à un stade avancé de la cirrhose du foie et maladies métaboliques hépatiques avec manifestations systémiques. (Tab. 1). Dans ce contexte, le diagnostic de cirrhose ne conditionne pas nécessairement la nécessité d’un TLO, mais l’indication doit être posée en fonction de l’évolution clinique, en tenant compte des complications et de la possibilité de les traiter [2].
En Suisse, l’attribution des organes de donneurs est centralisée par Swisstransplant et est réglementée par la loi. En Allemagne, en Autriche et en Suisse, le score MELD, qui se compose de l’International Normalized Ratio (INR), de la bilirubine et de la créatinine, est utilisé pour l’allocation des greffons. Dans la pratique clinique quotidienne, outre ces paramètres, il existe de nombreux symptômes qui entraînent une réduction considérable de la qualité de vie (par ex. prurit, ascite réfractaire au traitement) ou qui sont associés à une mortalité accrue sur la liste d’attente (notamment l’hyponatrémie chez les patients cirrhotiques). Après une évaluation individuelle, cela peut justifier la demande d’un régime spécial. Certaines indications se voient attribuer un score élevé indépendamment du score MELD calculé, notamment les carcinomes hépatocellulaires (CHC) ainsi que certaines complications systémiques et maladies métaboliques (par ex. syndrome hépatopulmonaire, polyneuropathie amyloïde familiale).
En règle générale, les patients cirrhotiques doivent être adressés à un centre de transplantation après l’apparition d’une première décompensation (par exemple, hémorragie variqueuse, ascite, encéphalopathie hépatique), car le pronostic de la maladie s’en trouve considérablement aggravé. En cas de diminution constante de la fonction de synthèse hépatique, il convient de se présenter au plus tard lorsque le score MELD >10 est atteint. A partir d’un MELD de ≥15, les bénéfices d’un OLT l’emportent sur les risques associés, de sorte qu’une inscription sur la liste d’attente peut s’avérer judicieuse. Le délai d’attente est très variable en fonction de l’évolution clinique, mais il faut généralement compter un peu moins d’un an. En cas d’insuffisance hépatique aiguë avec détérioration rapide de la fonction de synthèse hépatique, un listing hautement urgent peut également être envisagé. Si l’évolution clinique fait suspecter une insuffisance hépatique aiguë, il convient de prendre contact le plus tôt possible avec un centre de transplantation. Il convient de distinguer cette situation de l’aggravation aiguë d’une hépatopathie chronique, pour laquelle un listing hautement urgent n’est pas possible.
Dans le cas d’un référencement régulier, les clarifications nécessaires avant le référencement actif sont organisées et coordonnées par la coordination des transplantations. Dans le cadre d’un traitement ambulatoire, il convient de tenir compte des recommandations en matière d’infectiologie concernant les vaccinations ou les thérapies à suivre avant une éventuelle transplantation.
Mesures pendant la phase d’attente
Lors de la prise en charge des patients inscrits sur la liste OLT, il convient de veiller à ce qu’un dépistage échographique du CHC soit effectué tous les six mois. Les thérapies de pontage, qui empêchent la progression dans l’intervalle avant le TLO, doivent impérativement être envisagées en cas de CHC [3]. Dans le cadre du suivi clinique, il convient en outre de vérifier la malnutrition et le métabolisme catabolique avec perte de tissu musculaire, y compris chez les patients obèses (mot-clé “obésité sarcopénique”) [4]. Une intervention précoce et agressive avec optimisation de l’état nutritionnel ou amélioration de la fonction musculaire peut améliorer considérablement le résultat après OLT (mot-clé “préhabilitation”). Il faut ici une équipe bien rodée composée d’hépatologues et de chirurgiens de transplantation, d’anesthésistes et de médecins de soins intensifs, de coordinateurs de transplantation, de soins infirmiers spécialisés, de diététiciens et de physiothérapeutes, ainsi que du médecin de famille, de la famille et, enfin, du patient.
D’éventuelles décompensations ou détériorations de l’état général doivent faire suspecter une infection et doivent être examinées à cet égard. En cas de détérioration de la fonction de synthèse hépatique ainsi que de décompensation, il est indispensable d’informer rapidement le centre de transplantation qui suit le patient.
Ceci est particulièrement important car une infection systémique ou une septicémie constitue une contre-indication absolue à l’OLT, notamment en ce qui concerne l’immunosuppression nécessaire par la suite. De même, le TLO est contre-indiqué en présence d’une tumeur maligne extrahépatique active ou d’une tumeur maligne intrahépatique localement avancée ou disséminée. En revanche, les comorbidités psychiatriques, y compris l’abus d’alcool, sous réserve d’une abstinence d’alcool d’au moins six mois, ne constituent pas des contre-indications absolues et doivent faire l’objet d’une évaluation interdisciplinaire au cas par cas.
Aspects chirurgicaux généraux
Ces dernières années, non seulement la survie après OLT s’est nettement améliorée (survie à 1 an de 83%, survie à 5 ans de 71%), mais aussi le temps de récupération complète [5]. Des durées d’opération nettement plus courtes (4h contre 12h auparavant >) et une meilleure gestion périopératoire permettent souvent d’extuber très rapidement, avec un séjour aux soins intensifs réduit en conséquence. En 2018, la durée moyenne de séjour postopératoire dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de l’Île à Berne <était de 24 heures et la durée médiane de séjour à l’hôpital de 8 jours. À quelques exceptions près, les patients peuvent généralement retourner directement dans leur environnement familial. La figure 2 donne un aperçu détaillé des techniques chirurgicales utilisées pour l’implantation de l’organe du donneur.
Type de foie du donneur
En Suisse, la grande majorité des patients reçoivent un foie d’un donneur décédé. Il s’agit généralement d’un donneur souffrant d’une lésion ou d’une maladie cérébrale primaire, avec une perte irréversible des fonctions de l’ensemble du cerveau, y compris du tronc cérébral (ce que l’on appelle la mort cérébrale ; en anglais, on parle également de donneur “donation after brain death”, “DBD”). Une autre possibilité consiste à prélever un foie chez un donneur en arrêt circulatoire persistant, ce qui entraîne secondairement la mort par manque de perfusion du cerveau et du tronc cérébral. Il s’agit ici d’un donneur dit “DCD”, “donation after circulatory death”. Dans le cas d’un don de foie entre vifs, seule une partie du foie est prélevée. Cette procédure est principalement utilisée dans les pays où la loi, la religion et la culture interdisent le don de corps.
Le don de foie entre vifs est également très bien adapté aux programmes de transplantation pédiatriques, car les enfants devraient sinon attendre très longtemps avant de trouver un organe approprié. Dans toute la Suisse, le don de foie entre vifs est rarement pratiqué. Une possibilité d’élargir le pool de donneurs est l’utilisation d’organes marginaux (“extended criteria donor”), c’est-à-dire la transplantation d’organes plus âgés (>65-70 ans), d’organes présentant un degré plus élevé de stéatose ou de donneurs anciennement positifs à l’hépatite C, etc. Les foies DCD entrent également dans cette catégorie. Dans le monde entier, des efforts sont faits pour réduire le risque dans ces situations en utilisant différentes machines de perfusion, généralement ex situ. Il existe des protocoles basés sur l’hypothermie (+/- ajout d’oxygène), selon lesquels le foie est préconditionné afin de prévenir les complications postopératoires telles que la cholangiopathie ischémique. D’autres groupes utilisent la perfusion machine normothermique pour mieux évaluer la fonction des organes avant l’implantation. Les premiers rapports sont prometteurs, mais il reste à voir quels protocoles finiront par s’imposer et si les deux méthodes (dans toutes leurs variations) sont équivalentes [6].
Complications postopératoires précoces
Bien que le TLO soit devenu beaucoup plus sûr au cours des dernières années, il reste des obstacles potentiels à surmonter. Le tableau 2 donne un aperçu des complications précoces les plus fréquentes après un TLO [7–9]. Globalement, la morbidité postopératoire peut atteindre 78% avec un taux de mortalité à 30 jours de 5,7% [7]. Par ailleurs, les problèmes des voies biliaires et les infections restent le tendon d’Achille d’OLT. Ces derniers peuvent être considérablement réduits en utilisant les doses les plus faibles possibles d’immunosuppresseurs et en pratiquant des vaccinations adéquates. Dans la grande majorité des cas, les sténoses des voies biliaires doivent être traitées par endoscopie, au moyen d’une papillotomie, d’une dilatation et de la pose d’un stent. En l’absence de réponse, une révision chirurgicale avec mise en place d’une hépaticojejunostomie reste souvent la seule solution définitive. Le traitement des problèmes intrahépatiques diffus des voies biliaires est difficile. Un phénomène qui peut notamment se produire plus fréquemment lors de transplantations DCD (cholangiopathie diffuse ischémique). Dans certaines circonstances, la retransplantation peut être la seule option thérapeutique valable dans cette situation.
En particulier pour les patients récemment transplantés, il est essentiel de prendre contact avec le centre de transplantation dès que l’on soupçonne des complications, afin de discuter de la marche à suivre.
Suivi à long terme
Les complications à long terme, qui peuvent survenir dans les mois ou les années suivant une OLT, doivent être prises en compte dans la prise en charge des patients transplantés, car elles influencent considérablement le pronostic à long terme. Les principaux systèmes d’organes concernés et les mesures recommandées sont résumés dans le tableau 3 [10].
La prévention systématique et le contrôle strict des facteurs de risque cardiovasculaire ont une influence pertinente sur la survie à long terme après OLT. Il convient notamment de vérifier régulièrement la présence d’un diabète sucré et d’une hypertension artérielle et de les traiter à bas seuil par des mesures d’hygiène de vie ou des médicaments. En présence de facteurs de risque tels que l’obésité ou l’abus de nicotine, des conseils sur l’adaptation du mode de vie sont indiqués, éventuellement au moyen de conseils spécifiques sur l’alimentation ou l’arrêt du tabac.
Objectif thérapeutique : amélioration de la qualité de vie
L’OLT peut aujourd’hui être considérée comme une “intervention de routine” hautement spécialisée, avec une faible mortalité périopératoire et, si l’indication est posée correctement, un très bon résultat à long terme. L’objectif principal n’est pas seulement de libérer le patient de sa maladie chronique à court terme, mais de lui permettre de retrouver une bonne qualité de vie à long terme, sans restrictions importantes dans sa vie quotidienne. En cas de manque d’organes persistant, il faut toutefois espérer qu’à l’avenir, d’autres thérapies, comme par exemple la thérapie cellulaire avec des cellules souches ou l’utilisation de foies “bioartificiels”, remplaceront la nécessité d’une OLT “classique”.
Messages Take-Home
- Les patients cirrhotiques doivent être adressés à un centre de transplantation dès l’apparition de la première décompensation ou au plus tard lorsqu’ils atteignent un score MELD >10.
- “Préhabilitation” avec optimisation précoce et agressive de l’état nutritionnel et de la fonction musculaire améliore de manière décisive le résultat après OLT.
- Les progrès de la chirurgie, de l’anesthésie et du traitement périopératoire des patients après OLT ont permis de réduire considérablement les risques, avec une récupération généralement rapide et une courte durée d’hospitalisation.
- Les problèmes de voies biliaires et les infections sont les principales complications postopératoires et une orientation rapide vers le centre de transplantation est absolument indiquée.
- Un contrôle strict des facteurs de risque cardiovasculaire doit être entrepris, car il influence considérablement la survie à long terme après OLT.
Littérature :
- Swisstransplant. Rapport annuel 2017. www.swisstransplant.org/fileadmin/user_upload/Swisstransplant/Jahresbericht/SWT_Geschaeftsbericht_A4_2017_de_def_web.pdf, accessed on 17.12.2018
- Martin P, et al : Evaluation for liver transplantation in adults : 2013 practice guideline by the American Association for the Study of Liver Diseases and the American Society of Transplantation. Hépatologie 2014 ; 59(3) : 1144-1165
- Association européenne pour l’étude du foie. Lignes directrices pour la pratique clinique de l’EASL : Prise en charge du carcinome hépatocellulaire. Journal of hepatology 2018 ; 69(1) : 182-236.
- Association européenne pour l’étude du foie. EASL Clinical Practice Guidelines on nutrition in chronic liver disease. Journal of hepatology 2019 ; 70(1) : 172-193.
- Registre européen des transplantations hépatiques, données de réception. www.eltr.org, dernière consultation 03.01.2019.
- Jia JJ, et al : Machine perfusion for liver transplantation : A concise review of clinical trials. Hepatobiliary & pancreatic diseases international. HBPD INT 2018 ; 17(5) : 387-391.
- Agopian V, et al : The evolution of liver transplantation during 3 decades : analysis of 5347 consecutive liver transplants at a single center. Ann Surg 2013 ; 258(3) : 409-421.
- Kochhar G, et al : World J Gastroenterol 2013 ; 19(19) : 2841-2846.
- Piardi T, et al : World J Hepatol 2016 ; 8(1) : 36-57.
- Lucey MR, et al : Prise en charge à long terme de la transplantation hépatique adulte réussie : guide de pratique 2012 de l’American Association for the Study of Liver Diseases et de l’American Society of Transplantation. Liver transplantation 2013 ; 19(1) : 3-26.
CARDIOVASC 2019 ; 18(1) : 20-25