L’intelligence artificielle peut établir un premier diagnostic de mélanome avec une précision convaincante. Seuls les cas vraiment suspects devraient encore consulter un dermatologue. Les applications à effet photoaging renforcent en outre la sensibilisation préventive.
Le rapport entre les grains de beauté bénins excisés sur la base d’une suspicion et les mélanomes malins effectivement diagnostiqués constitue le Number Needed to Treat (NNT). Il s’agit du nombre de traitements (excisions) qui doivent être effectués pour atteindre un événement thérapeutique souhaité (mélanome enlevé). Elle est un indicateur de la précision du diagnostic en clinique et de l’utilisation efficace des ressources médicales. Une chirurgie inutile peut être évitée avec un NNT bas. Les spécialistes ont, selon les études [1,2], un NNT compris entre 6 et 8 environ. Dans les cabinets de médecins généralistes, il peut être de 17 ou (nettement) plus, les médecins généralistes s’intéressant à ce domaine obtiennent des valeurs NNT autour de 9.
Le programme commercial MoleMap (https://molemap.net.au), dans le cadre duquel des médecins australiens, néo-zélandais et américains spécialisés dans la détection précoce du mélanome proposent des “kits de contrôle” à bas seuil, se targue d’un NNT de 4. Les patients décident eux-mêmes s’ils souhaitent participer au programme de dépistage et dans quelle mesure. Il en a résulté une base de données de plus de six millions de lésions photographiées, soit au niveau macro (image clinique agrandie), soit au niveau micro (via dermatoscope, polarisé/non polarisé).
L’intelligence artificielle atteint un NNT de 7
Des chercheurs australiens d’IBM ont utilisé une partie de ces données, à savoir 40 173 images de 8882 patients, ainsi que les informations de diagnostic, pour apprendre à un réseau neuronal artificiel à diagnostiquer le mélanome. L’intelligence artificielle a ainsi appris à classer les lésions en “mélanome” et “non-mélanome” (carcinome basocellulaire, carcinome épidermoïde et douze maladies bénignes) sur la base de micro et macro-images. Les données de 80% des patients – sélectionnés au hasard – ont servi de base à l’algorithme d’apprentissage, les 20% restants ont servi de test pour la précision du modèle.
En fait, l’intelligence artificielle a atteint un NNT de 7 lorsqu’on a comparé le nombre de lésions recommandées pour le traitement par l’algorithme aux diagnostics de mélanome établis par les dermatologues de MoleMap. Traduit, cela signifie que : L’intelligence artificielle évoluait dans le cadre des valeurs des spécialistes.
La concordance avec le diagnostic des dermatologues était de 96,58% (micro), 96,34% (macro) et 96,75% (micro et macro combinés). L’aire sous la courbe (AUC) était supérieure à 0,9. Le test a donc discriminé proprement et de manière cliniquement pertinente.
En raison de sa bonne concordance avec le diagnostic des experts, l’algorithme pourrait être utilisé à l’avenir pour que seules les lésions réellement suspectes soient envoyées au dermatologue. Le taux de lésions éligibles est réduit et l’efficacité du test est augmentée. D’ailleurs, des développements similaires ont également été signalés en Suisse il y a quelques années (Skin App de la Haute école de Lucerne).
Le vieillissement artificiel via une application comme outil d’éducation ?
Des réflexions intéressantes sur la numérisation sont également venues d’Allemagne. Si l’exposition (non protégée) aux UV est le plus grand facteur de risque de cancer de la peau, ne peut-on pas sensibiliser davantage la population via les médias numériques ? Pourrait-on, par exemple, utiliser à cette fin les applications de modification du visage, largement répandues et dont l’objectif premier est le divertissement ? La procédure est bien connue : Il faut un “selfie” de son propre visage qui, en un clic, apparaît soudainement vieilli ou rajeuni de plusieurs années, mélangé avec le portrait d’un autre (face-swap) ou changé de sexe.
Des chercheurs allemands ont conceptualisé une application de ce style qui “fait apparaître” le photoaging et le cancer de la peau sur le visage de l’utilisateur. Concrètement, l’apparence future peut être observée en 3D et sur une durée de vie de cinq à trente ans (selon que l’on se protégeait ou non quotidiennement du soleil). Les effets d’un vieillissement prématuré de la peau dû aux UV sont ainsi rendus visibles et tangibles. Les carcinomes épidermoïdes et les mélanomes s’ajoutent à l’apparence en cliquant sur un bouton. Le résultat est à nouveau adapté à l’utilisation de la protection solaire. Il fournit également des informations sur les probabilités et les risques de développer un cancer de la peau. Dans une optique d’apprentissage, l’application vous montre comment vous protéger au mieux du soleil et comment reconnaître les lésions cutanées suspectes.
Pour tester l’accueil réservé à l’application par le groupe cible, 25 étudiants des deux sexes ont été interrogés par questionnaire anonyme à l’hôpital universitaire d’Essen. Une échelle de Likert à cinq niveaux a été utilisée pour recueillir différents points de vue sur l’application auprès des personnes âgées de 22 ans en moyenne (tableau 1). Les réactions ont été majoritairement positives.
En mai 2017, l’application a été publiée, accompagnée d’une affiche correspondante pour l’intégration dans les cours d’école. En se concentrant sur l’esthétique/la cosmétique, les chercheurs espèrent un gain en termes de sensibilisation, en particulier chez les jeunes groupes à risque. Bien entendu, le projet offre ainsi une certaine surface d’attaque. Une réduction correspondante du contenu et un traitement divertissant de la problématique sont-ils vraiment la voie à suivre en matière de prévention du cancer de la peau ? Les réponses à ces questions seront différentes, mais il est certain que la jeune génération doit être sensibilisée à ce sujet et que les arguments habituels en faveur de la protection solaire ne s’appliquent pas à toutes les populations. Les calculs de risques abstraits peuvent manquer leur objectif, une campagne de prévention et un traitement adaptés au groupe cible peuvent être profitables dans ce contexte.
Source : 9e Congrès mondial du mélanome, 18-21 octobre 2017, Brisbane
Littérature :
- Sidhu S, et al : The number of benign moles excised for each malignant melanoma : the number needed to treat. Clin Exp Dermatol 2012 Jan ; 37(1) : 6-9.
- Rosendahl C, et al : The impact of subspecialization and dermatoscopy use on accuracy of melanoma diagnosis among primary care doctors in Australia. J Am Acad Dermatol 2012 Nov ; 67(5) : 846-852.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2017 ; 27(6) : 42-43