L’évaluation d’un gonflement non traumatique du genou est un défi diagnostique passionnant. L’article suivant souligne l’importance d’une anamnèse minutieuse et examine plus en détail les résultats cliniques possibles et les diagnostics différentiels. Il donne également un aperçu des examens complémentaires utiles qui peuvent être demandés sur la base des diagnostics différentiels posés précédemment.
Un patient de 47 ans, par ailleurs en bonne santé, se présente à votre consultation pour un gonflement légèrement douloureux de l’articulation du genou droit, sans traumatisme, qui dure depuis trois semaines (Fig. 1).
Comment devez-vous procéder pour le diagnostic ? La première chose à faire est de déterminer s’il s’agit d’une cause mécanique ou inflammatoire. Les éléments qui plaident plutôt en faveur d’une cause mécanique sont par exemple un traumatisme, l’âge, une douleur au premier plan, une douleur surtout à l’effort, une petite quantité d’épanchement et l’absence de symptômes associés (tableau 1).
Si l’anamnèse (et les éventuels symptômes supplémentaires déjà connus) font plutôt penser à une cause inflammatoire, les deux prochaines questions importantes sont de savoir si d’autres articulations sont touchées (c’est-à-dire s’il s’agit vraiment d’une simple monarthrite ou d’une oligo- ou polyarthrite) et s’il existe d’autres symptômes concomitants (ou antérieurs) qui permettent de mieux cerner la question. Les autres examens complémentaires dépendent ensuite des considérations de diagnostic différentiel (tableau 2).
L’examen clinique de l’articulation du genou peut être orienté, surtout en cas de cause mécanique d’un gonflement de l’articulation du genou. Il s’agit ainsi de rechercher un élargissement des contours, une limitation des mouvements, une déviation des axes et une crépitation en cas de suspicion d’arthrose. Les signes méniscaux et les signes d’instabilité peuvent être des indices d’une lésion des structures internes.
En revanche, en présence d’une cause inflammatoire, les signes cliniques locaux supplémentaires d’échauffement ou de rougeur n’ont qu’une vague signification indicative. Même une gonarthrose activée peut présenter un échauffement.
Spondyloarthrite
Alors que la polyarthrite rhumatoïde ou les collagénoses (par exemple le lupus érythémateux disséminé) sont typiquement polyarticulaires (mais peuvent rarement débuter par une monoarticulation), une monarthrite, en particulier du genou, est une manifestation plus fréquente d’une maladie appartenant au groupe des spondyloarthrites (autrefois spondylarthopathies séronégatives) (tableau 3, figure 2).
On sait que ce groupe comprend des maladies caractérisées par les traits communs suivants : Inflammation au niveau de la colonne vertébrale et des articulations sacro-iliaques, inflammation des articulations périphériques (souvent oligoarticulaires et mettant l’accent sur les membres inférieurs), présence d’enthésopathies (inflammation de l’insertion des tendons) et association avec l’antigène HLA-B27. Le cas échéant, il existe des inflammations simultanées de la peau (typiquement le psoriasis) ou des muqueuses (arthrite réactive), des yeux ou des intestins. Il peut également y avoir un lien de causalité entre l’inflammation et certains agents pathogènes (par exemple, chlamydia, yersinia).
L’articulation la plus fréquemment touchée par une inflammation monoarticulaire est ici l’articulation du genou (qui peut d’ailleurs parfois être déclenchée par un traumatisme mineur). Dans le cadre de ce diagnostic de suspicion, il est souvent possible d’établir l’anamnèse du patient.
d’autres indices importants peuvent être trouvés.
Les questions essentielles sont donc
- D’autres articulations sont-elles enflées ?
- Existe-t-il des douleurs dorsales inflammatoires (douleurs dorsales nocturnes ou matinales, amélioration au mouvement, raideur matinale) ?
- Existe-t-il des enthésopathies (par exemple, des douleurs au talon à l’insertion du tendon d’Achille ou du fascia plantaire) ?
- Existe-t-il des symptômes cutanés/muqueux ?
- Symptômes d’organes ? (cœur, poumons, intestin gastrique, SNC)
- Symptômes infectieux antérieurs ou concomitants (surtout gastro-intestinaux ou urogénitaux) : diarrhée, dysurie ?
L’arthrite réactive est généralement aiguë et guérit en quelques semaines. Des évolutions chroniques sont toutefois possibles, de sorte qu’il faut également penser à une arthrite réactionnelle en cas de gonflement prolongé des articulations.
Arthrite cristalline
L’articulation du genou est un site prédictif de la goutte et de la maladie des dépôts de pyrophosphate de calcium (chondrocalcinose, pseudogoutte). Les signes typiques d’une telle gonarthrite sont l’apparition aiguë d’un gonflement des articulations et de fortes douleurs. La chondrocalcinose est la cause la plus probable de gonarthrite aiguë chez les personnes âgées. Le diagnostic définitif nécessite la détection des cristaux correspondants dans le ponctionnement articulaire. La mise en évidence d’une chondrocalcinose à la radiographie ou à l’échographie rend ce diagnostic probable, mais ne le prouve pas définitivement (Fig. 3).
Infection
Une éventuelle infection doit toujours être prise en compte dans le diagnostic différentiel d’une monarthrite. Il faut surtout y penser chez les patients dont les défenses immunitaires sont réduites (par ex. immunosuppression, diabète sucré, abus de drogues), après une infiltration ou une opération antérieure, ainsi qu’en cas de symptômes infectieux typiques associés tels que frissons ou fièvre.
Arthrite de Lyme
Une gonarthrite isolée (et non une polyarthrite !) est la manifestation classique et de loin la plus fréquente de la maladie de Lyme au stade III (stade tardif). La morsure de tique infectante ou une éventuelle manifestation précoce (par ex. érythème chronique migrant) remonte à de nombreux mois et l’anamnèse ne permet que rarement de les identifier. L’épanchement typique est plutôt peu douloureux et généralement de grande taille. La sérologie à partir du sérum (à ce stade, seuls les anticorps IgG sont généralement détectables) n’est que d’une utilité limitée pour le diagnostic. Si elle est positive, la maladie de Lyme est possible, mais en aucun cas prouvée. Si la sérologie est négative, ce diagnostic peut être exclu. Pour un diagnostic fiable, la détection directe de l’agent pathogène (PCR, “polymerase-chain-reaction”, c’est-à-dire détection de l’ADN de l’agent pathogène par biologie moléculaire) dans le ponctionnement articulaire ou éventuellement dans la biopsie synoviale doit être recherchée.
Ponction articulaire
L’examen de l’épanchement articulaire est indispensable, tant pour faire la distinction définitive entre une cause mécanique dégénérative et une cause inflammatoire que pour poser un diagnostic plus approfondi. L’analyse des points d’articulation est donc décisive(tableau 4, figures 4, 5, 6).
Plus le nombre de cellules est élevé, plus le point est trouble. Un point très trouble (purulent) fait penser en premier lieu à une infection ; cependant, un nombre très élevé de cellules peut parfois être trouvé dans les spondyloarthrites (p. ex. arthrite psoriasique ou arthrite réactive) ou les arthrites cristallines. Même si des cristaux peuvent être détectés dans un ponctionnement articulaire trouble et riche en cellules, il convient d’exclure une infection bactérienne concomitante. Un point sanguin indique une cause traumatique (hémarthrose), mais un épanchement sanglant peut également se produire en cas de chondrocalcinose ou, rarement, d’arthrose sévère, ou encore, très rarement, être causé par une lésion accidentelle d’un vaisseau synovial lors de la ponction elle-même.
La ponction du genou (Fig. 7) est réalisée sur un patient allongé, le plus simplement par voie latérale dans le recessus suprapatellaire.
Marquage du site d’injection à environ 1 cm en dessous du pôle supérieur de la rotule, puis désinfection correcte du site de ponction conformément aux instructions du produit utilisé (respecter le temps d’action). La ponction est effectuée en respectant strictement la technique “non-touch” en direction médio-crânienne (par exemple avec une aiguille de 22G [schwarz]) dans le recessus supra-patellaire. L’autre main peut être utilisée pour comprimer le récessus par voie médiale. Le port d’un masque est recommandé.
Un laboratoire utile
- Un laboratoire utile comprend les paramètres suivants :
- Généralités : réaction de sédimentation, CRP, hémogramme. les tests hépatiques et la créatinine. Éventuellement TSH basale
- Facteur rhumatoïde, AC anti-CCP, ANA (AC antinucléaires)
- Eventuellement sérologie Borrelia (exclut l’arthrite de Lyme si IgM et IgG négatives. Si IgG positif, arthrite de Lyme possible mais non prouvée. Si possible, PCR dans le prélèvement articulaire).
- Éventuellement LCR Chlamydia ou gonocoque dans les premières urines du matin (remarque : alors que les chlamydia sont une arthrite réactionnelle, les gonocoques peuvent être détectés directement dans le ponctionnement articulaire, dans le sens d’une arthrite infectieuse).
Peu utile et donc inutile : Acide urique dans le sérum, autres sérologies dans le sérum.
Une imagerie pertinente
Une radiographie conventionnelle est utile comme base. On peut ainsi rechercher une arthrose, des modifications traumatiques, des signes de chondrocalcinose ou une néoplasie.
En cas d’incertitude clinique, une échographie permet de vérifier la présence d’un épanchement ou d’une synovite. L’échographie constitue en outre un bon moyen de détecter les calcifications du cartilage ou les dépôts d’urate (arthropathie cristalline). En outre, lorsqu’un épanchement articulaire est d’origine inflammatoire, on constate souvent une hyperperfusion de la synoviale, ce qui peut être détecté par le power doppler.
Un examen IRM est utile s’il existe une cause clairement mécanique (épanchement dans une zone non inflammatoire), mais que celle-ci n’est pas suffisamment explicable par l’imagerie conventionnelle (par exemple, lésion du ménisque ou des ligaments, ostéonécrose).
La tomodensitométrie n’est utile que pour des questions spécifiques (notamment concernant les os). La scintigraphie n’est presque jamais indiquée.
Dr. med. Andreas Krebs
Dr. med. Andrea Stärkle-Bär
Littérature :
- Baker DG, Schumacher HR Jr : Monoarthrite aiguë. N Engl J Med 1993 ; 329(14) : 1013.
- Sack K : Monarthritis : diagnostic différentiel. Am J Med 1997 ; 102(1A) : 30S.
- Stanek G, et al : Lyme borreliosis. Lancet 2012 ; 379(9814) : 461.
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Il convient tout d’abord de réfléchir aux diagnostics différentiels les plus probables sur la base d’une anamnèse minutieuse et des principaux résultats cliniques.
- Ce n’est qu’alors que des examens complémentaires ciblés doivent être demandés.
- L’âge, d’autres plaintes ou résultats, tant au niveau de l’appareil locomoteur qu’extra-articulaire, ainsi que l’analyse de la ponction articulaire sont autant de facteurs qui guident le choix.
A RETENIR
- Tout d’abord les diagnostics différentiels les plus vraisemblables doivent être considérés à la lumière d’une anamnèse minutieuse et des résultats cliniques importants.
- Il faut ensuite demander des examens complémentaires ciblés.
- L’âge, les autres affections ou résultats aussi bien de l’appareil locomoteur qu’extra-articulaire ainsi que l’analyse de la fonction articulaire fournissent des orientations.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(4) : 17-20