Le microbiome cutané désigne l’ensemble des micro-organismes présents sur notre peau. Le microbiome d’une peau saine se caractérise par une grande variété d’espèces différentes de bactéries, de champignons et de virus. La composition du microbiome cutané varie de manière significative entre les différentes régions de la peau d’un individu. Le microbiome cutané joue probablement un rôle important dans l’apparition et l’évolution des maladies inflammatoires de la peau, telles que la dermatite atopique.
Le corps humain sain est un écosystème colonisé par différents micro-organismes. Selon les estimations actuelles, nous sommes composés d’à peu près autant de cellules bactériennes que de cellules humaines. L’ensemble de ces micro-organismes présents dans notre corps est appelé microbiome. Selon le système d’organes observé, on distingue par exemple le microbiome intestinal du microbiome vaginal, du microbiome des voies respiratoires ou du microbiome cutané. Dans l’article suivant, nous souhaitons nous pencher sur le microbiome cutané et son importance dans le développement des maladies de la peau. Enfin, la peau représente notre plus grand organe et constitue une interface importante avec notre environnement.
De nouvelles méthodes d’analyse ont permis d’étudier le microbiome cutané
La recherche sur le microbiome cutané a pris de plus en plus d’importance au cours des dernières années. L’étude du microbiome cutané complexe a été rendue possible par la large disponibilité de nouvelles méthodes d’analyse de biologie moléculaire. Le premier d’entre eux est le séquençage de nouvelle génération (NGS). Ce n’est que depuis l’introduction du NGS que l’ensemble de l’ADN contenu dans un échantillon de peau peut être analysé et attribué taxonomiquement à différents genres et espèces. Cela a permis de représenter pour la première fois l’image réelle et complexe du microbiome cutané. C’est un avantage décisif par rapport aux méthodes traditionnelles telles que la culture, qui ne permettent de cultiver que des micro-organismes sélectionnés et surtout faciles à cultiver, comme par exemple la bactérie Staphylococcus aureus et les étudier. Un groupe de travail de l’Institut national de la santé des États-Unis à Bethesda, MD, a été le fer de lance de l’introduction du NGS dans la recherche sur le microbiome cutané. Ce groupe de travail a réussi pour la première fois à représenter le spectre complet des bactéries et des champignons comme sur une carte de la peau. En ce qui concerne le microbiome bactérien de la peau, il a été démontré que les régions séborrhéiques du corps sont dominées par les propionibactéries, tandis que les corynébactéries prédominent dans les régions intertrigineuses et les protéobactéries sur les zones de peau sèche [1]. En ce qui concerne les champignons, la levure Malassezia spp. domine sur la plupart des zones corporelles étudiées, bien que la composition des différentes espèces de Malassezia varie considérablement entre les zones corporelles [2].
Le microbiome cutané est varié et spécifique aux régions
D’après les résultats des recherches menées jusqu’à présent, le microbiome d’une peau saine peut être défini selon deux principes. Premièrement, le microbiome d’une peau saine est caractérisé par une diversité particulière d’espèces microbiennes différentes. Inversement, une diversité limitée du microbiome cutané est mesurable dans les maladies de la peau telles que l’eczéma atopique. Ainsi, lors des poussées d’eczéma atopique, on observe une prolifération de S. aureus sur les zones cutanées touchées et une éviction des autres espèces bactériennes. Cependant, on ne sait toujours pas si cette multiplication de S. aureus est la cause ou plutôt la conséquence de la poussée d’eczéma [3]. Une fois l’eczéma guéri, la diversité du microbiote cutané se rapproche de celle d’une peau saine. Le deuxième principe d’une peau saine est que la composition du microbiome cutané est typique de chaque région de la peau d’un individu. Ainsi, le microbiome cutané au niveau du pli du coude est dominé par d’autres micro-organismes que celui de la joue. Il est intéressant de noter que ces différences entre les différentes régions de la peau sont beaucoup plus évidentes que les différences d’une région particulière de la peau entre deux individus. En bref, le microbiome cutané de votre coude est beaucoup plus proche du microbiome cutané de mon coude que du microbiome cutané de votre propre joue. Il n’existe que des spéculations sur les facteurs qui influencent la composition du microbiote sur certaines zones de la peau. Le pH de la peau, la teneur en lipides de la peau ou la température de surface pourraient jouer un rôle. Nous ne savons pas exactement.
Le microbiome cutané est important pour le développement des maladies de la peau
D’après tout ce que nous savons à ce jour, le microbiome cutané est essentiel à l’homéostasie de notre peau. La colonisation de notre peau par des commensaux, c’est-à-dire des micro-organismes bénéfiques, semble protéger contre la colonisation de la peau par des micro-organismes pathogènes. Cela peut s’expliquer, du moins en partie, par la production de peptides antimicrobiens par des bactéries commensales comme Streptococcus epidermidis. Ces peptides antimicrobiens sont efficaces contre les bactéries pathogènes telles que S. aureus et empêchent leur croissance. Le rôle du microbiome cutané dans l’apparition et l’évolution des maladies inflammatoires de la peau fait l’objet de recherches intensives. A titre d’exemple, la levure Malassezia spp. mérite une discussion approfondie, car elle n’est pas seulement le champignon le plus fréquent sur une peau saine, mais elle est également associée à diverses maladies de la peau. Il remet ainsi en question le paradigme microbiologique classique des microorganismes commensaux versus pathogènes.
La levure Malassezia spp. joue un rôle dans la dermatite atopique
La levure Malassezia spp. fait partie du microbiote cutané sain des humains et des mammifères [4]. Le genre comprend actuellement 14 espèces, dont neuf sont fréquemment observées sur la peau humaine (tableau 1). Ces espèces de Malassezia manquent d’enzymes propres pour synthétiser des lipides importants, c’est pourquoi on trouve Malassezia spp. en densité particulière sur les zones de peau séborrhéique comme la tête, le cou et la partie supérieure du tronc. Bien que Malassezia spp. soit donc un commensal classique, il semble être associé à des maladies de peau courantes ; par exemple au pityriasis versicolor, à l’eczéma séborrhéique et à la dermatite atopique. Nous allons maintenant nous pencher sur le rôle de Malassezia spp. dans la dermatite atopique (DA).
La DA est une maladie inflammatoire chronique de la peau qui se caractérise par un eczéma récurrent et très prurigineux [5]. La prévalence de la MA dans les pays industrialisés a triplé au cours des 30 dernières années. Dans ce cas, 15 à 30 % des enfants et jusqu’à 10 % des adultes sont concernés. Malgré son importance épidémiologique et en termes d’économie de la santé, la pathogenèse de la MA n’est pas encore totalement élucidée. Quoi qu’il en soit, la peau des patients atteints de DA se caractérise par une fonction barrière perturbée et un système immunitaire altéré par rapport aux personnes ayant une peau saine [5]. Ces deux facteurs semblent influencer le microbiome cutané. En effet, des études antérieures ont étayé le rôle pathogène de Malassezia spp., par ailleurs commensale, dans la MA. Ainsi, on remarque que plus de 50% des patients adultes atteints de DA sont sensibilisés à Malassezia spp. Ils présentent donc soit un prick-test cutané positif, soit des anticorps IgE spécifiques de Malassezia spp. dans le sérum. En comparaison, les personnes ayant une peau saine ne sont généralement pas sensibilisées à Malassezia spp. bien qu’elles soient également régulièrement colonisées par ce commensal [6]. En outre, le titre sérique des anticorps IgE spécifiques de Malassezia spp. est corrélé à la sévérité de l’eczéma atopique chez l’adulte [7]. Les mécanismes pathogéniques à l’origine de cette sensibilisation sont au moins partiellement élucidés.
La sensibilisation se fait par l’intermédiaire des protéines immunogènes (ou allergènes) des levures, qui traversent la barrière cutanée, typiquement perturbée dans la DA, pour atteindre les couches profondes de la peau, comme l’épiderme inférieur et le derme, où elles sont reconnues par les cellules dendritiques. Cette reconnaissance entraîne l’activation des lymphocytes T et B et, finalement, la production d’anticorps IgE spécifiques de Malassezia spp.
Jusqu’à présent, 14 allergènes ont été identifiés par Malassezia spp. qui déclenchent la production d’anticorps IgE. (Fig. 1, Tab. 2). Il y a quelque temps déjà, il a été prouvé que Malassezia spp. produisent et sécrètent plus d’allergènes dans un environnement au pH presque neutre, caractéristique de la peau des patients atteints de DA, que dans un environnement au pH acide, correspondant à une peau saine [8]. Cependant, certains allergènes n’entraînent pas seulement la production d’IgE, mais peuvent aussi provoquer directement de l’eczéma sur la peau. Par exemple, l’allergène Mala s 11, une superoxyde dismutase de manganèse de l’espèce Malassezia sympodialis, possède une séquence d’acides aminés homologue à 50% à la superoxyde dismutase de manganèse humaine dans les kératinocytes de la peau [9]. Une sensibilisation au Mala s 11 peut donc induire des lymphocytes T autoréactifs dirigés à la fois contre l’enzyme fongique et contre l’enzyme humaine très similaire dans les kératinocytes. Des essais cliniques ont montré que l’application de Mala s 11 sur la peau de patients atteints de DA provoquait effectivement de l’eczéma, probablement par ce mécanisme médié par les cellules T. Les résultats de ces essais ont été publiés dans le Journal of the American Society.
D’autres mécanismes par lesquels Malassezia spp. contribue à la formation d’eczéma ont été décrits, comme l’activation de récepteurs Toll-like et la libération ultérieure de médiateurs pro-inflammatoires par les cellules dendritiques ou les kératinocytes [10]. D’autres mécanismes possibles par lesquels Malassezia spp. contribue à l’inflammation dans la MA sont résumés dans la figure 2.
Importance pour la pratique
La détection d’une sensibilisation à Malassezia spp. peut être utile lorsqu’un traitement antifongique de la DA est envisagé. Pour mesurer les anticorps IgE spécifiques de Malassezia spp., il existe au moins deux kits de test commerciaux et standardisés : ImmunoCAP® m70 ou ImmunoCAP® m227, Thermo Scientific, www.phadia.com). Le test m227, contrairement au m70, est basé sur différentes espèces de Malassezia et semble donc avoir une sensibilité plus élevée. Il pourrait être intéressant d’essayer un traitement antifongique systémique avec des antifongiques azolés chez les patients atteints de DA qui sont sensibilisés à Malassezia spp. Les options de traitement systémique de la MA sont justement très limitées, car la ciclosporine est le seul médicament autorisé dans de nombreux pays pour le traitement systémique de la MA. Outre leur action antifongique proprement dite, les antifongiques azolés inhibent la sécrétion des interleukines pro-inflammatoires IL-4 et IL-5 par les Lzmphocytes. L’IL-4 et l’IL-5, en particulier, jouent un rôle pathogène important dans la MA.
Littérature :
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- Kong HH, et al : Changements temporels dans le microbiome cutané associés aux flambées de la maladie et au traitement chez les enfants atteints de dermatite atopique. Genome Res 2012 ; 22(5) : 850-859.
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- Glatz M, et al : Le niveau d’immunoglobuline E spécifique de Malassezia spp. est un marqueur de la sévérité de la dermatite atopique chez les adultes. Acta Derm Venereol 2015b ; 95(2) : 191-196.
- Selander C, Zargari A, Mollby R, Rasool O, Scheynius A : Un niveau de pH plus élevé, correspondant à celui de la peau des patients atteints d’eczéma atopique, stimule la libération des allergènes Malassezia sympodialis. Allergy 2006 ; 61(8) : 1002-1008.
- Vilhelmsson M, et al. : Analyse mutationnelle des résidus d’acides aminés impliqués dans la liaison des IgE à l’allergène Malassezia sympodialis Mala s 11. Mol Immunol 2008 ; 46(2) : 294-303.
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DERMATOLOGIE PRATIQUE 2016 ; 26(4) : 5-8