Le bénéfice d’une restriction en sel dans l’hypertension artérielle fait l’objet de controverses depuis de nombreuses années. Environ la moitié des hypertendus et près d’un tiers des normotendus sont sensibles au sel. Une augmentation de l’apport en sel favorise l’augmentation de la pression artérielle via la rétention de sodium et d’eau. Selon les études, la restriction en sel entraîne une réduction de la pression artérielle systolique et diastolique, une diminution de l’albuminurie et une inhibition de la progression de l’insuffisance rénale existante. Les lignes directrices de l’ESH et de l’ESC recommandent une restriction du sel à 5-6 g/jour. Une alimentation pauvre en sodium et riche en potassium (avec des fruits et des légumes) a des effets bénéfiques sur la pression artérielle et réduit l’incidence des événements cardiovasculaires.
Dès le Moyen Âge, l'”or blanc” était utilisé non seulement comme agent de conservation, mais aussi comme épice, commercialisé sur les routes du sel et largement distribué. La perception du goût salé se fait par les parties latérales de la langue. Elle est génétiquement déterminée, variable d’un individu à l’autre et peut être conditionnée par les habitudes alimentaires dès l’enfance [1]. Le sel, en tant qu’assaisonnement, renforce les arômes des aliments et, en conséquence, les aliments pauvres en sel sont perçus comme fades par de nombreuses personnes. Une consommation élevée de sel entraîne, via l’augmentation de l’osmolarité sérique, une sensation de soif accrue, voire impérieuse selon la quantité consommée (ce que les restaurateurs apprécient en raison de l’augmentation de leur chiffre d’affaires !) De nombreux médecins reconnaissent qu’une consommation excessive de sel présente des risques pour la santé. Les bénéfices d’un régime pauvre en sel seront présentés ici en termes de pression artérielle et d’effets cardiovasculaires.
Aspects du débat sur la restriction du sel
La question de savoir s’il vaut la peine de restreindre le sel en cas d’hypertension artérielle fait l’objet d’un débat controversé depuis de nombreuses années entre les médecins des différentes spécialités. De nombreuses études sur ce sujet présentent des faiblesses méthodologiques.
Les cardiologues considèrent qu’il existe un lien entre l’augmentation de la consommation de sel de cuisine et la pression artérielle dans le sens du développement à long terme d’une hypertension artérielle avec hypertrophie ventriculaire gauche consécutive et insuffisance cardiaque, bien que des études prospectives pronostiques avec réduction thérapeutique de la consommation de sel ne soient pas disponibles [2].
Les neurologues reconnaissent dans la consommation excessive de sel un facteur de risque vasculaire en termes d’apoplexie avec une mortalité accrue. Ils considèrent l’hypertension artérielle et l’accentuation médiée par le sel comme le facteur pathogène dominant, avec des modifications fonctionnelles et structurelles de la paroi artérielle [3]. Une consommation élevée de sel à long terme entraîne un dysfonctionnement endothélial et une rigidification des parois artérielles, médiés par l’augmentation du stress oxydatif, la diminution de la dégradation des radicaux libres, la biodisponibilité réduite de l’oxyde nitrique et la réponse vasodilatatrice plus faible de l’oxyde nitrique [4].
Environ la moitié des hypertendus et près d’un tiers des normotendus réagissent à une restriction de l’apport en sel de cuisine par une baisse de la pression artérielle et sont donc considérés comme sensibles au sel. Les patients âgés, les hypertendus, les personnes obèses, les patients souffrant d’insuffisance rénale et les non-caucasiens présentent un risque de sensibilité accrue au sel. Les déterminants de la sensibilité au sel sont l’expansion du volume extracellulaire et la stimulation du système nerveux sympathique [5]. Le test dit du sang salé est basé sur la sédimentation d’érythrocytes dans deux solutions d’électrolytes de concentrations différentes en sodium, ce qui permet de déterminer la sensibilité érythrocytaire au sel in vitro [6–8].
L’eau corporelle totale et la teneur en sodium du corps jouent un rôle central dans la régulation de la pression artérielle et dans le développement de l’hypertension. D’un point de vue néphrologique, une augmentation de l’apport en sel via la rétention de sodium et d’eau favorise une augmentation de la pression artérielle et peut être à l’origine d’une hypertension artérielle. En outre, une consommation excessive de sel joue un rôle dans la genèse des calculs rénaux [9]. L’augmentation de l’apport en sodium entraîne, tant expérimentalement que cliniquement, une augmentation aiguë ou permanente de la pression artérielle [10]. Il a ainsi été montré qu’un doublement de l’apport en sel de 5 à 10 g/24 heures peut entraîner une augmentation transitoire et adaptative du volume extracellulaire de 1 à 1,5 litres [11]. La gestion d’une augmentation de l’osmolarité sérique médiée par le sel avec une expansion secondaire du volume extracellulaire est complexe in vivo en raison de mécanismes rénaux et autres tels que neurohuméraux. Une régulation dermique de l’homéostasie du sodium par les macrophages est actuellement discutée : Les macrophages semblent réguler le volume sanguin via les canaux lymphatiques en fonction du sel [12].
Le sodium et le potassium exercent des effets vasomoteurs en influençant les cellules musculaires lisses, c’est-à-dire que le sodium a un effet vasoconstricteur et le potassium un effet vasodilatateur au niveau cellulaire, ce qui explique l’influence favorable des aliments contenant du potassium (légumes et fruits) [13].
Situation des études et guidelines
Les experts de l’initiative K-DIGO ont identifié 16 études sur la réduction de l’apport en sel comme probantes et ont constaté une réduction de la pression artérielle systolique et diastolique, une diminution de l’albuminurie et une inhibition de la progression de l’insuffisance rénale existante grâce à la restriction en sel [14].
Les épidémiologistes considèrent que le principal bénéfice d’une réduction modérée de la consommation de sel est une diminution de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires par réduction de la pression artérielle [15].
En 2013, les auteurs de la Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC) ont recommandé une restriction en sel à 5-6 g/jour dans leurs lignes directrices [16]. Ils se réfèrent à des études selon lesquelles une réduction de l’apport quotidien en sel de 9-12 à 5 g/jour, comme c’est généralement le cas en Europe, a un effet antihypertenseur modéré de 1-2 mmHg dans la population normotendue et un effet plus prononcé de 4-5 mmHg chez les hypertendus [17].
Une étude récente suggère que soit le mode d’action différent de l’aldostérone, soit directement une réduction de l’apport en sel pendant la grossesse, entraîne une baisse de la pression artérielle [18].
L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires poursuit une stratégie du sel avec une réduction de la consommation quotidienne de sel de cuisine d’environ 9-10 actuellement à 8 g/jour d’ici 2016 et s’appuie sur les recommandations de la Commission fédérale de l’alimentation. L’objectif à long terme est de restreindre le sel à moins de 5 g/jour [19].
Restriction de sel, qu’est-ce que cela signifie dans la pratique ?
Le rein sain filtre de manière glomérulaire environ 25’000 mmol de sodium par jour et en résorbe la plus grande partie dans le tubule proximal pour n’en excréter que 200 mmol/jour dans l’urine [20]. La quantité de chlorure de sodium consommée peut être évaluée en mesurant l’urine de 24 heures et l’évolution. Dans le cas d’un apport élevé en sodium déterminé de cette manière, l’effet d’un régime réduit en sel sur la pression artérielle du patient peut être directement observé.
La réduction de la pression artérielle obtenue par la restriction en sel ne doit pas être surestimée – ainsi, selon les études, elle est d’environ 4,0/2,0 mmHg chez les hypertendus et de 1,5/0,7 mmHg chez les sujets normotendus [5]. En cas d’hypertension artérielle sévère résistante au traitement, un effet antihypertenseur additif peut être obtenu par une restriction en sel de l’ordre de 20/10 mmHg [10,21].
Les diurétiques ont un effet négatif sur la réabsorption tubulaire du sodium. Les diurétiques sont des salurétiques et entraînent un drainage rénal médié par le sel de l’eau en excès. Presque tous les antihypertenseurs peuvent être associés à des diurétiques, qui exercent un effet antihypertenseur additif, en fonction de la fonction rénale et des circonstances associées.
En résumé, une alimentation pauvre en sodium et riche en potassium (fruits et légumes) influence favorablement la pression artérielle et diminue la survenue d’événements cardiovasculaires.
Un livre de diététique provençal du Moyen Âge classe même les aliments riches en sel parmi les principales causes de mort prématurée, car ils ont le même effet que “la colère, la douleur (…), le pain dur et de mauvais goût, le vin aigre (…) et une femme querelleuse” [22].
Remerciements : Je remercie le Dr Georg Meffert, spécialiste en médecine interne générale et en néphrologie, Berne, pour sa relecture critique du manuscrit.
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