La protection solaire est un sujet récurrent qui revient en force au printemps, lorsque les journées s’allongent et que les heures d’ensoleillement augmentent. Quel rapport au soleil faut-il recommander aux patients et à quoi faut-il faire particulièrement attention en matière de photoprotection ? Dans une interview accordée à DERMATOLOGIE PRAXIS, le professeur Stephan Lautenschlager, médecin-chef du service ambulatoire de dermatologie du Stadtspital Triemli, répond aux principales questions. En outre, il traite de l’apport en vitamine D et des aspects épidémiologiques.
Dr. Lautenschlager, l’exposition au soleil est une cause de cancer de la peau – la plupart des gens le savent aujourd’hui. Quelles autres maladies de la peau peuvent être déclenchées par une exposition excessive aux UV ?
Prof. Dr Lautenschlager :
Outre les aspects positifs de l’exposition au soleil sur la peau tels que la chaleur, l’amélioration de l’humeur, l’augmentation du confort et la synthèse de la vitamine D, il faut malheureusement mentionner une multitude d’effets secondaires en plus de la cancérogénèse UV, des coups de soleil ainsi que des dommages chroniques de la peau dus à la lumière. Ainsi, de nombreux médicaments peuvent déclencher des réactions photodynamiques, notamment en cas d’exposition simultanée aux UVA. En ce qui concerne les réactions phototoxiques, qui sont beaucoup plus fréquentes, il faut surtout mentionner les tétracyclines. Ces réactions peuvent se manifester sous forme de dermatite, de pigmentation, de photonycholyse ou de ce que l’on appelle une pseudoporphyrie. Les déclencheurs typiques de la photoallergie sont l’hydrochlorothiazide et la phénothiazine. Les réactions phyto-photoallergiques, par exemple après un contact avec le cerfeuil géant, sont également à mentionner dans ce contexte. En raison de leur fréquence, il faut également mentionner les photodermatoses proprement dites – les photodermatoses idiopathiques (notamment la photodermatose polymorphe et l’urticaire solaire) -, les porphyries étant très rares.
Il faut également mentionner les réactions photo-provoquées sur la peau malade, comme dans certaines formes de lupus érythémateux, de mucinoses, de dyskératose folliculaire et de dermatoses bulleuses. Il est bien connu que des maladies telles que l’herpès labial, mais aussi parfois le lichen rugueux ou le psoriasis vulgaire, peuvent apparaître ou s’aggraver sous l’effet des UV. Les effets négatifs des rayons UV sont importants sur le plan cosmétique dans le cas du chloasma et de la rosacée. Le spectre des modifications cutanées déclenchées par les UV est donc très large.
Existe-t-il même un bronzage sain de la peau ou doit-on s’efforcer de garder la peau la plus pâle possible ?
En fait, contrairement à la croyance populaire, un bronzage sain n’existe pas. Il est bien connu que le bronzage de la peau est un mécanisme de défense contre les rayons UV. Après une journée de baignade au soleil, des centaines d’erreurs d’ADN qui se sont produites sont réparées pendant la nuit. Comme la Suisse est devenue une société de plein air et que de nombreuses activités de loisirs se déroulent à l’extérieur, il faut donc trouver le bon moyen de gérer le soleil. Il serait en outre réjouissant que le cliché du bronzage sain et sportif sous nos latitudes puisse être quelque peu corrigé.
Quel est le type de protection solaire le plus judicieux ?
Sur la base de nombreuses études, il s’est avéré que, premièrement, la réduction de l’exposition au soleil, deuxièmement, la protection solaire textile et, troisièmement, l’application correcte de produits de protection solaire appropriés sont, dans cet ordre, les plus importants. Cependant, pour des raisons pratiques, la protection vestimentaire efficace a souvent moins de chances d’être utilisée chez nous que la crème solaire.
Quelles sont les différences entre les crèmes solaires, en dehors de l’indice de protection ?
Outre le large éventail de formes galéniques différentes, allant par exemple du Fluide Extrême à la Pâte, il convient avant tout de distinguer les filtres solaires physiques (inorganiques) des filtres chimiques (organiques). Afin de garantir une photoprotection optimale, les écrans solaires modernes à large spectre contiennent souvent un nombre différent de ces deux composants. Les micropigments inorganiques (dioxyde de titane et oxyde de zinc), qui réfléchissent principalement les rayons UV, ont souvent l’inconvénient de donner à la peau une certaine coloration blanche, ce qui peut être considéré comme gênant d’un point de vue cosmétique.
Quelles sont les précautions à prendre lors de la manipulation des crèmes solaires (quand les appliquer, quelle quantité, à quelle fréquence les répéter) ?
De loin, le facteur le plus important pour l’efficacité est l’application d’une quantité suffisante. La quantité appliquée lors du test des produits de protection solaire est de 2 mg/cm2, ce qui, pour un adulte de taille moyenne, représente environ 30 g pour une application sur tout le corps. Cette quantité n’est pratiquement jamais appliquée. Il est également important que la répartition soit uniforme, ce qui peut être particulièrement difficile dans le dos et à la limite du maillot de bain. En cas d’utilisation d’un écran solaire organique, le produit doit être appliqué 15 à 30 minutes, de préférence, avant le début de l’exposition au soleil. Pendant ce temps, les filtres peuvent pénétrer dans l’épiderme. Il est également préférable d’aller à l’ombre après la durée de protection définie par l’indice de protection solaire et de ne pas réappliquer de crème. En revanche, il est nécessaire de renouveler l’application de l’écran solaire après une baignade ou une transpiration prolongée ou après s’être essuyé. En principe, il est essentiel de ne pas abuser des produits de protection solaire pour prolonger l’exposition au soleil.
Faut-il tenir compte des différentes saisons pour se protéger du soleil – et si oui, comment ?
En fonction de la température, la galénique de la protection solaire doit être prise en compte. En hiver notamment, il est préférable d’utiliser une base grasse plutôt qu’aqueuse pour le ski afin d’éviter d’éventuels dommages dus au froid. En conséquence, les bases aqueuses peuvent être utilisées plutôt à des températures plus chaudes. En l’absence de maladies cutanées nécessitant une application tout au long de l’année, il n’est pas nécessaire d’appliquer quotidiennement un écran solaire en hiver sous nos latitudes (à l’exception du séjour en montagne).
Une protection solaire systématique présente-t-elle un risque de carence en vitamine D ?
Les communiqués de presse ne cessent de saper les efforts de prévention du cancer de la peau en recommandant l’exposition au soleil pour la formation de vitamine D. Les médias ne sont pas en mesure de fournir des informations sur les effets de l’exposition au soleil. A l’exception de cas isolés (comme par exemple suite à la prévention stricte des UV chez les patients atteints de xeroderma pigmentosum), l’application d’une protection solaire systématique du printemps à la fin de l’automne ne devrait pas entraîner de risque significatif de carence en vitamine D. La production de vitamine D par l’organisme ne nécessite qu’une très faible dose de rayons UVB, par exemple quelques minutes par jour par temps ensoleillé avec une exposition au soleil du visage, des mains et des avant-bras. Il va de soi que l’équilibre en vitamine D et le métabolisme osseux doivent être contrôlés chez les personnes, en particulier les personnes âgées, vivant dans des maisons de soins sans aucune exposition au soleil et, si nécessaire, faire l’objet d’une substitution per os.
Est-il utile de “pré-bronzer” sa peau dans un solarium ou de fréquenter un solarium pour prévenir une carence en vitamine D ?
De nouvelles données montrent que le risque de développer un mélanome augmente considérablement en cas de bronzage préalable en solarium, même si l’on évite les coups de soleil, car la quantité totale de rayons UV augmente. Les données indiquent un risque de mélanome quatre fois plus élevé chez les utilisateurs de solarium, même en l’absence d’antécédents de coups de soleil. Il convient en outre de préciser que le solarium n’émet pratiquement que des UVA, qui n’ont aucune importance pour la formation de vitamine D dans la peau.
Qu’en est-il de la protection solaire pour les personnes souffrant d’une maladie de la peau (acné, psoriasis, dermatite séborrhéique, etc.) ?
Comme pour la saison, la base du produit joue ici un rôle. Les produits comédogènes et très gras ne conviennent probablement pas à un patient souffrant d’acné ou de séborrhée prononcée, alors qu’ils peuvent être utiles à un patient souffrant de psoriasis.
La Suisse a le taux d’incidence de mélanome le plus élevé d’Europe. Comment évaluez-vous la situation concernant le rayonnement UV et les maladies de peau correspondantes en Suisse – la situation s’est-elle améliorée ces dernières années en ce qui concerne la protection solaire ?
En fait, nous, les Suisses, avons une place de leader peu glorieuse dans ce domaine. Cependant, comme c’est souvent le cas, différentes raisons sont déterminantes. Outre l’exposition certainement élevée aux UV dans le cadre d’un comportement de loisirs correspondant ainsi que l’utilisation malheureusement encore libérale des solariums, il convient de mentionner l’espérance de vie élevée. En outre, de plus en plus de patients immunodéprimés présentent des tumeurs cutanées. Toutefois, la qualité du diagnostic et l’enregistrement systématique dans des registres jouent également un rôle important dans le nombre élevé de tumeurs cutanées.
Entretien : Andreas Grossmann
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2015 ; 25(2) : 21-23