Le traitement du lipœdème conforme aux directives repose sur quatre piliers. En cas d’efficacité insuffisante du traitement conservateur, une thérapie chirurgicale est recommandée (liposuccion).
La maladie est définie par une augmentation circonscrite et symétriquement localisée du tissu adipeux sous-cutané des jambes, et plus rarement des bras. Elle se caractérise par une sensibilité accrue au toucher et une douleur à la pression dans les régions du corps concernées. Les œdèmes sont également typiques, ainsi qu’une tendance à l’hématome après des traumatismes mineurs.
Classification diagnostique
Depuis 2017, le lipœdème fait l’objet d’une classification statistique internationale. Dans le CIM10-Catalogue-Français Modification, la maladie du lipœdème est répertoriée en fonction du stade (stade I-III) dans la catégorie “Autres troubles métaboliques” (CIM10-GM2019 : E88.20-E88.22) (tableau 1) [1].
Cette maladie touche presque exclusivement les femmes et se manifeste pendant les phases de changements hormonaux, comme la puberté, la grossesse ou, plus rarement, à la ménopause. On estime qu’environ 5% des Suissesses souffrent de lipœdème. Il n’existe malheureusement pas de données épidémiologiques valables issues d’études de grande envergure. Une accumulation familiale est observée dans environ 60% des cas. Des cas isolés d’hommes atteints sont liés à des traitements ou des troubles hormonaux (p. ex. hypogonadisme) ou à une cirrhose du foie. L’étiologie de la maladie est encore inconnue. Les mécanismes pathologiques, et en particulier le rôle spécifique des hormones ou des récepteurs hormonaux, restent obscurs et font l’objet d’efforts de recherche.
Synonymes autrefois fréquemment utilisés pour désigner la maladie : lipomatose dolorosa, lipohypertrophie dolorosa, lipohyperplasie dolorosa, obésité dolorosa, lipalgie, adiposalgie, syndrome du lipœdème douloureux, jambe colonnaire douloureuse.
Le diagnostic de lipœdème est uniquement basé sur des critères cliniques. L’anamnèse, l’inspection et la palpation permettent ici d’identifier les caractéristiques typiques :
- Patient de sexe féminin
- Début de la maladie pendant la puberté, la grossesse ou la ménopause
- Augmentation disproportionnée et symétrique du tissu adipeux des extrémités
- Saut de calibre proximal des articulations – mains et pieds – non concernés
- Douleur à la palpation
- Sensation de lourdeur et de tension, œdème
- Tendance à l’hématome
L’augmentation du tissu adipeux est due à l’hyperplasie et à l’hypertrophie des cellules graisseuses au niveau des membres concernés. Le système vasculaire lymphatique réagit d’abord en augmentant le drainage lymphatique. En raison de l’insuffisance de transport à haut volume qui en résulte, le tissu adipeux et conjonctif sous-cutané ne peut plus être suffisamment drainé, ce qui provoque des œdèmes. Le réflexe veino-artériel retardé et diminué favorise également l’œdème orthostatique. Au fil des ans, un lymphœdème secondaire, une fibrose du tissu adipeux sous-cutané, une sclérose et une papillomatose du derme peuvent se développer. Une fragilité capillaire accrue est à l’origine d’une tendance accrue à l’hématome.
Diagnostic différentiel
En premier lieu, le diagnostic différentiel doit porter sur la lipohypertrophie, l’obésité et le lymphœdème (tableau 2). Cette délimitation du lipœdème se fait également sur la base de caractéristiques cliniques : Augmentation de la graisse, disproportion, œdème, douleur à la pression et tendance aux hématomes. Les cinq caractéristiques sont exclusivement réunies dans le lipœdème. Le critère directeur du lipœdème est la douleur. En l’absence de symptômes douloureux, il ne s’agit pas d’un lipœdème. En cas de lipohypertrophie, avec une symptomatologie de culotte de cheval esthétiquement gênante, l’œdème et la douleur à la pression sont absents, une tendance à l’hématome peut être présente. L’obésité ne présente généralement pas de disproportion, les œdèmes sont possibles, la douleur à la pression et la tendance aux hématomes ne sont pas présentes. Le diagnostic du lymphœdème passe par l’œdème, la disproportion est présente, une augmentation de la graisse est possible ; il existe généralement une asymétrie. La douleur à la pression et la tendance aux hématomes ne sont pas présentes dans le lymphœdème.
Les autres diagnostics différentiels incluent le phlébœdème (œdème et signe cutané d’insuffisance veineuse chronique), le myxœdème en cas de dysfonctionnement de la thyroïde (œdème pâteux) et les maladies combinées : Lipœdème avec lymphœdème secondaire, lipœdème avec obésité concomitante, obésité avec œdèmes secondaires (œdème d’obésité), obésité avec fibromyalgie.
Suivi de l’évolution
Les paramètres suivants sont appropriés pour le suivi du lipœdème : Le poids corporel, l’indice de masse corporelle (IMC), le rapport taille/hanche (WHR), le rapport taille/hauteur (WHtR) et les mesures de la circonférence et du volume des extrémités (pérométrie). Un IMC élevé peut être trompeur dans le cas d’un lipœdème ; le WHR permet généralement de clarifier la situation. Ces paramètres sont également utiles dans les cas où le diagnostic différentiel est difficile, par exemple pour distinguer le lipœdème de l’obésité.
Les examens morphologiques et les examens fonctionnels du système vasculaire lymphatique ne sont pas diagnostiques dans le cas du lipœdème et ne sont donc pas nécessaires dans la routine clinique. L’échographie haute résolution, souvent utilisée, ne présente pas non plus de critères spécifiques pour le diagnostic du lipœdème, selon des études récentes.
Le lipœdème est une maladie chronique progressive, très variable d’un individu à l’autre et imprévisible. La classification se fait d’une part selon la localisation et d’autre part selon la morphologie (stade I-III, fig. 1). On distingue pour les membres inférieurs le type jambe entière, le type cuisse et le type jambe, et pour les membres supérieurs le type bras entier, le type bras entier et le type avant-bras. L’ordre mentionné reflète à chaque fois la fréquence d’occurrence en tendance décroissante.
Le stade peut être déterminé par les caractéristiques morphologiques suivantes :
- Stade I : surface de la peau lisse avec un sous-cutané épaissi de manière uniforme et d’apparence homogène
- Stade II : surface cutanée inégale, principalement ondulée, structures nodulaires dans l’hypoderme épaissi.
- Stade III : augmentation marquée de la circonférence avec des parties de tissu en surplomb (formation de fanons)
Une transition fluide du stade I au stade II, voire au stade III, est possible en fonction de l’évolution. L’intensité des symptômes du lipœdème n’est toutefois pas corrélée avec le stade. La douleur peut être beaucoup plus prononcée au stade I qu’aux stades avancés II ou III. Une documentation photographique ne peut donc très souvent pas tenir compte de la symptomatologie et de la souffrance des patientes ; dans de nombreux cas, c’est malheureusement la composante esthétique qui est mise en avant par l’image.
Lignes directrices thérapeutiques
Le traitement de la maladie vise à soulager ou à supprimer les symptômes (douleur, œdème et disproportion) et à éviter les complications. A un stade avancé, le risque de complications augmente (macération, infection cutanée bactérienne et mycosique, lymphœdème, érysipèle, déformation des jambes et des pieds avec gonarthrose en valgus, troubles de la marche avec répercussions fonctionnelles).
Il n’existe pas de traitement causal connu pour le lipœdème. Les mesures efficaces sur le plan symptomatique sont combinées individuellement et adaptées aux symptômes.
Depuis octobre 2015, la version entièrement révisée et mise à jour du guide allemand S1 sur le lipœdème (numéro de registre AWMF : 037-012) est disponible [2]. Le traitement de la maladie, conforme aux lignes directrices, se compose de quatre piliers au total :
- Thérapie conservatrice : elle comprend la thérapie physique complexe de décongestion KPE, avec une phase initiale de décongestion par bandage (1 à 2 semaines), suivie immédiatement d’une phase d’entretien avec des traitements de drainage lymphatique manuel (DLM) 1 à 2 fois par semaine, en combinaison avec une thérapie de compression quotidienne systématique (corset à mailles plates de classe II), la thérapie par le mouvement et les soins de la peau. La compression intermittente appareillée (CIA) est possible en soutien de la décongestion et de la réduction de l’œdème, mais elle ne peut pas remplacer la DLM et la compression.
- Traitement chirurgical : il est clairement défini comme une réduction du tissu adipeux par liposuccion sous anesthésie locale tumescente (technique assistée par vibration [VAL] ou technique au jet d’eau [WAL]) en utilisant des microcanules émoussées qui préservent les tissus, et éventuellement l’élimination ultérieure nécessaire des lambeaux de peau et de tissus excédentaires par des mesures de chirurgie plastique.
- Changement de régime alimentaire : un changement de régime alimentaire concomitant est souvent utile même chez les patientes de poids normal, mais dans tous les cas pour réduire le poids corporel en cas de surpoids ou d’obésité concomitants. Il convient d’éviter les pics de glycémie et d’insuline et de respecter des pauses suffisantes entre les repas (régime isoglycémique). Il n’existe pas de recommandation nutritionnelle universelle spécifique au lipœdème.
- Intensification de l’activité physique : il est recommandé d’augmenter l’activité physique. Les exercices dans l’eau (natation, aqua-jogging, aqua-érobic, aqua-cycling, etc.) sont particulièrement efficaces. Dans l’eau, les articulations sont soulagées du poids du corps, le flux lymphatique est stimulé par la pression de l’eau et l’exercice contre la résistance de l’eau permet de dépenser plus d’énergie. En outre, des exercices sportifs avec des mouvements sur le trampoline sont favorables.
Dans certains cas, un soutien psychothérapeutique peut s’avérer très utile. De nombreuses patientes se sentent stigmatisées par la maladie et son aspect disproportionné, son traitement conservateur, le port quotidien d’une gaine de contention et les séances régulières de drainage lymphatique qui prennent beaucoup de temps. Il n’est pas rare non plus que le médecin et la famille aient conseillé pendant des années de perdre du poids et de faire plus d’exercice, mais que la maladie ne soit pas diagnostiquée. Les patientes se sont senties coupables et impuissantes, ne se sentant pas capables de lutter contre leur surpoids apparent. Bien que ce ne soit pas non plus une question de motivation. Le fait que des troubles alimentaires ou un véritable surpoids s’y ajoutent s’explique très bien.
Un traitement médicamenteux ou un traitement par diurétiques pour éliminer la rétention de liquide dans les jambes n’est pas indiqué en cas de lipœdème, avec ou sans lymphœdème secondaire. La déshydratation de l’interstitium induite par les médicaments entraîne une augmentation de la teneur en protéines des tissus et donc, secondairement, une augmentation de l’œdème.
L’objectif du traitement conservateur du lipœdème est de réduire l’œdème, de soulager la douleur et de réduire la tendance aux hématomes. En règle générale, le traitement conservateur accompagne la patiente pour le reste de sa vie et limite parfois considérablement sa qualité de vie.
Le port d’une gaine rigide de classe II (avec couture à l’arrière), tricotée à plat et sur mesure – souvent en deux parties : par exemple, un pantalon capri et un bas au genou ou un short cycliste et un bas à la cuisse pour faciliter l’enfilage – est particulièrement nécessaire pendant la saison chaude, mais alors particulièrement difficile à tolérer.
La progression de la maladie ne peut être stoppée que par une intervention chirurgicale, une liposuccion sous anesthésie locale tumescente. Il s’agit d’une méthode chirurgicale établie, peu risquée et respectueuse des tissus, qui permet d’éliminer de manière ciblée et durable jusqu’à 85% des cellules adipeuses en excès. L’intervention entraîne jusqu’à 90% d’améliorations marquées en termes de douleur spontanée, de douleur à la pression, d’œdème, de tendance à l’hématome, de liberté de mouvement, de forme corporelle et donc d’amélioration de la qualité de vie et de l’estime de soi des patientes. Dans certains cas, il est ensuite possible de renoncer complètement à un traitement conservateur.
Situation en matière de politique de santé
Les études scientifiques sur le traitement chirurgical du lipœdème sont actuellement insuffisantes pour que la liposuccion soit reconnue comme une prestation de l’assurance maladie obligatoire en Allemagne, selon l’évaluation du comité fédéral commun G-BA. Par décision du G-BA du 18 janvier 2018, une directive d’essai sur la liposuccion a été publiée afin de vérifier l’utilité de la liposuccion en Allemagne dans le cadre d’une étude multicentrique qui doit encore être lancée [3].
La pétition déposée en juin 2017 au Palais fédéral auprès du Conseil national par l’Association Lipœdème Suisse, demandant une adaptation du catalogue des prestations de l’assurance obligatoire des soins (AOS) en ce qui concerne les mesures de traitement du lipœdème, a conduit à un réexamen de la situation.
Dans son rapport du 15.11.2018, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique recommande au Conseil national de ne pas donner suite à la pétition, car elle considère que la demande est satisfaite [4] : “La commission estime qu’il n’est pas nécessaire d’adapter le catalogue des prestations de l’assurance obligatoire des soins, car les coûts des prestations mentionnées sont déjà pris en charge aujourd’hui. La condition préalable à une prise en charge des coûts à la charge de l’AOS est un diagnostic confirmé de lipœdème avec une délimitation claire par rapport à une obésité des membres sans lipœdème. Le lipœdème entre dans la catégorie des maladies rares en raison du faible nombre de cas. Les problèmes de prise en charge des coûts par les assureurs ne seraient pas dus à l’absence de positions dans l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS ; RS 832.112.31), mais plutôt à une connaissance insuffisante de la maladie par une partie des médecins. La commission suggère donc à l’Association lipœdème suisse de chercher le contact avec la Société suisse des médecins-conseils et médecins d’assurance (SSMC), afin que le sujet soit abordé dans le cadre de la formation continue de la SSMC et dans le manuel des médecins-conseils, et que l’état des connaissances sur cette maladie rare soit ainsi élargi”. Le Conseil national rejette la pétition en date du 14.12.2018 [5].
Dans le manuel de la Société Suisse des Médecins-Conseils et des Médecins-Assurances SSMC, le chapitre spécifique “Angiologie” a déjà abordé en détail le sujet du lipœdème en janvier 2018 [6]. Il est un fait qu’actuellement, les demandes de prise en charge adressées aux caisses d’assurance-maladie suisses pour le traitement par liposuccion ne sont acceptées que dans de rares cas, même pour les patientes chez qui le diagnostic de lipœdème a été posé par un spécialiste (par ex. un angiologue ou un dermatologue) et dont les mesures thérapeutiques conservatrices se sont avérées insuffisamment efficaces au cours du traitement. Le refus de prise en charge de la liposuccion est très souvent motivé de manière standardisée par l’absence de preuve des 3 critères : Efficacité, adéquation et économicité (critères EAE) selon l’article 32 de la LAMal.
Il est intéressant de noter que, dans l’ensemble, les responsables politiques et les professionnels de la santé ont une appréciation très différente de la situation en matière de prise en charge des coûts. La victime est la patiente.
Littérature :
- DIMDI (Institut allemand de documentation et d’information médicales) : ICD-10-GM version 2019. www.dimdi.de/static/de/klassifikationen/icd/icd-10-gm/kode-suche/htmlgm2019/
- AWMF (Association des sociétés médicales scientifiques) : Guidelines : Lipœdème. Numéro d’enregistrement 037-012, www.awmf.org/leitlinien/detail/ll/037-012.html
- G-BA (Comité fédéral commun) : Décision. Directive d’essai : liposuccion pour le lipœdème. Date de la décision : 18/01/2018. www.g-ba.de/beschluesse/3202/
- CN (Conseil national) : Pétition Association suisse du lipoedème. Adaptation du catalogue de prestations de l’assurance de base obligatoire en cas de lipœdème. Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du 15 novembre 2018. www.parlament.ch/centers/kb/Documents/2017/Kommissionsbericht_SGK-N_17.2010_2018-11-15.pdf
- CN (Conseil national) : Pétition Association Lipœdème Suisse. Adaptation du catalogue des prestations de l’assurance de base obligatoire en cas de lipœdème. Rejet, 14.12.2018. www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=45074
- SGV (Société suisse des médecins-conseils et médecins d’assurance) : Manuel d’angiologie – lipœdème ; janvier 2018 www.vertrauensaerzte.ch/manual/4/angiologie/lipoedem/
- Hirslanden Klink St. Anna AG, Centre du lipœdème de Suisse centrale, Meggen
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2019 ; 29(2) : 39-40